Archives mensuelles : novembre 2012

« Our space » : la nouvelle plateforme délibérative européenne destinée aux jeunes

À un an des élections européennes, une nouvelle plateforme délibérative est lancée par l’UE. « Our space – the virtual youth space » est le MySpace des jeunes européens pour parler, contribuer, partager, participer et voter « sur ce qui est décidé pour vous, sans vous ». L’objectif est de proposer un espace commun aux jeunes européens et aux décideurs politiques…

Quel est le bilan des initiatives délibératives et participatives européennes antérieures ?

Comme le rappelle Thomas Delahais dans « Les effets de programmes européens de participation citoyenne sur l’action publique européenne : les cas de Plan D et Debate Europe » : les résultats des nombreuses initiatives européennes, notamment en ligne, ont souvent été très limités.

De 2006 à 2009, « la Commission européenne a investi 10 millions d’euros dans une centaine de débats organisés à travers toute l’Europe, dont un certain nombre de projets participatifs, voire délibératifs, à l’échelle européenne. Or, malgré la bonne volonté de leurs organisateurs et la bonne tenue, en général, de ces débats, leur caractère innovant aussi, leurs effets sur la sphère publique et sur ses acteurs se sont généralement révélés à peine perceptibles, voire totalement absents.

Les initiatives délibératives et participatives de la Commission européenne se confrontent toujours, selon Thomas Delahais à la « difficulté des fonctionnaires à accepter la parole de citoyens “qui ne représentent qu’eux mêmes” ».

Que faut-il attendre du MySpace des jeunes européens ?

Qu’en sera-t-il des effets attendus ou induits par « Our space » à la lecture des principales limites constatées dans les projets précédents ?

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Our space aura-t-il des effets utilisables pour l’action publique, dans le cadre du processus électoral ?

Sûrement, est-ce l’effet attendu le plus recherché si le projet réussi, encore que les jeunes participants seront recrutés parmi des jeunes déjà engagés et que tout dépendra de l’implication des candidats aux élections européennes.

Our space produira-t-il des résultats utiles pour l’action publique, en vue de proposer une solution à des problèmes européens ?

Sans doute, est-ce l’effet attendu le moins susceptible d’être obtenu, compte tenu de l’étendue relativement limitée des législations européennes, de la méconnaissance répandue des politiques publiques européennes et que tout dépendra de la qualité du community management.

Our space sera-t-il communiqué aux bonnes personnes, notamment les participants, sans même parler des destinataires des conclusions ?

Comme dans la plupart des actions de l’UE, la publicisation est réduite et ce n’est pas la page Facebook (360 like) ou le compte Twitter (264 followers) qui suffiront à ce que la participation ne se limitent pas, comme trop souvent, aux publics proche de l’UE.

Au total, « Our space » représente une réelle innovation : la 1e plateforme pan-européenne de dialogue entre les jeunes et les politiques sur l’Europe. Reste à savoir si c’est également une opportunité pour mobiliser les jeunes à voter aux élections européennes.

Quel est l’impact chiffré de l’UE à Bruxelles : fonctionnaires européens, diplomates, journalistes, lobbyistes ?

Selon une étude réalisée en 2011 par le Bureau de Liaison Bruxelles – Europe, au total, la présence européenne (et internationale) générerait de 13 à 14 % de l’emploi et du PIB bruxellois, ce qui représente environ 100 000 postes, dont 30 000 dans les institutions européennes, 15 à 20 000 lobbyistes, 5 000 diplomates et environ 1 000 journalistes…

1. Impact démographique de l’UE sur Bruxelles

1.1. Impact démographique des institutions européennes

Globalement, les Européens vivant à Bruxelles du fait de leur emploi dans les institutions européennes représente un total de 31.491 personnes :

Commission européenne : 21.635 personnes y travaillent à Bruxelles au 1e octobre 2011. Ce chiffre reprend différentes catégories du personnel mais ne compte pas les experts nationaux détachés (905), les prestataires de services, les intérimaires et les stagiaires (environ 650 par sessions de 5 mois).

Parlement européen : 5 549 personnes à Bruxelles au 1er septembre 2011. Ce chiffre décompte les 736 députés européens, les 1.600 assistants accrédités et les 3.600 fonctionnaires titulaires, les contrats à durée déterminée et les contractuels travaillant auprès du secrétariat général et des groupes politiques ainsi que les stagiaires officiels (150 par semestre à Bruxelles et +/- 100 pour les groupes politiques par an) puisque les stagiaires des eurodéputés ne sont enregistrés nulle part.

Conseil de l’Union européenne : 3.091 personnes à Bruxelles

Comité économique et social européen : 800 personnes et Comité des Régions : 506 personnes

1.2. Impact démographique des métiers liés à l’UE

Les Européens qui travaillent à Bruxelles du fait de la présence des institutions européennes dans des organisations non gouvernementales, des bureaux de lobbying, des représentations régionales, des organes de presse représentent :

Lobbyistes : entre 15.000 à 20.000, Bruxelles est la ville qui compte le plus grand nombre de lobbyistes au monde après Washington.

Initialement, le Parlement européen et la Commission européenne tenaient, séparément, un registre de lobbyistes (« lobby register »). En juin 2011, le Parlement européen et la Commission européenne ont lancé un nouveau registre de transparence public et commun. Au 26 octobre 2012, il y a 5 450 entités enregistrées dans le registre. L’ancien registre de la Commission comprenait plus de 4.000 organisations, celui du Parlement 1.700.

Le guide Lobby Planet de 2005 de l’ONG Corporate Europe Observatory, avance un chiffre de 15.000 lobbyistes, dont 70 % servent directement ou indirectement les intérêts d’entreprises, 20 % défendent les intérêts de régions, villes ou institutions internationales et 10 % ceux des ONG (dont les syndicats et les groupes de défense de l’environnement).

D’autres sources pertinentes sont le guide EPAD (European Public Affairs Directory) et celui du Stakeholder.eu – The Directory for Brussels. Le site Stakeholder.eu reprend des données concernant plus de 4.500 bureaux et 14.000 adresses personnelles, dont 162 bureaux d’avocats internationaux, 80 think tanks, 208 bureaux de consultance, 300 ONGs, 800 fédérations internationales…

Presse internationale : Bruxelles est l’un des plus grands centres de presse au monde. En 2011, on dénombre 951 journalistes accrédités auprès de la Commission européenne et 368 techniciens46 accrédités (cameramen, photographes…), ce qui fait un total d’environ 1.319 personnes travaillant pour la presse internationale. L’accréditation auprès de la Commission est reconnue également par le Conseil et par le Parlement. Durant la tenue des Conseils européens, le nombre des journalistes présent augmente de manière significative et fluctue entre 1.500 et 2.000.

Représentations régionales : plus de 300 représentations d’autorités régionales et locales auprès de l’UE. Un certain nombre de ces représentations, comme la plupart des Länder allemands, possèdent une infrastructure impressionnante et emploient parfois jusqu’à 50 collaborateurs ; les représentations plus petites ne comptent que quelques personnes.

Diplomates : Bruxelles compte 5.415 diplomates, chiffre le plus élevé au monde. 2.105 diplomates travaillent pour les représentations permanentes auprès de l’UE. Le nombre de missions diplomatiques auprès de l’UE atteint un total de 555.

Personnel des institutions internationales (hors du cadre de l’UE) : près de 4.000 personnes travaillent au siège politique de l’OTAN à Bruxelles et 2.000 personnes travaillent pour les délégations permanentes des États membres ou pour les représentations nationales militaires.

2. Impact économique de l’UE pour Bruxelles

Près de 56 % des congrès qui se déroulent à Bruxelles sont organisés par des institutions européennes. Chaque année à Bruxelles, plus de 70.000 réunions et événements réunissent plus de 7 millions de participants.

Selon Eurostat, Bruxelles se situe au 3e rang des régions les plus riches de l’UE après Londres et Luxembourg – le PIB par habitant à Bruxelles s’élève à presque 2,5 fois la moyenne européenne.

2.1. Impact économique des institutions européennes

Il n’est pas évident de quantifier précisément l’impact socioéconomique de la présence de l’Union européenne et de ses institutions sur Bruxelles. Sur les secteurs tels que l’HORECA (hôtellerie, restauration et cafés), le commerce et le tourisme, on estime que ce sont 28.000 emplois qui sont créés de façon indirecte.

2.2. Occupation de bureaux

Les cinq principales institutions européennes et les organismes leur étant associés occupent 1,9 millions de m² de superficie de bureaux. Si l’on ajoute l’espace occupé par les autres acteurs européens (parmi lesquels les lobbies, les bureaux régionaux, les ONG…) le chiffre se porte à 3,3 millions de m², soit 30 % de l’espace de bureaux total disponible à Bruxelles. La Commission européenne occupe actuellement 66 bâtiments à Bruxelles et ce pour une surface totale de bureaux d’environ 860.000 m².

2.3. Démographie

181.655 des Bruxellois non-Belges sont de nationalité européenne, soit le groupe majoritaire d’étrangers dans la ville (environ 60 % des non-Belges de Bruxelles), ce qui représente 30 % de la population bruxelloise. Les Français, avec 46.006 habitants, forment la communauté la plus importante.

Ainsi, l’impact démographique et économique de l’UE sur Bruxelles (100 000 personnes) se décompose à égalité entre les institutions européennes et les emplois commerciaux et touristiques induits par l’UE (30 000 personnes chacun) tandis que les lobbyistes (15 à 20 000) sont beaucoup plus nombreux que les diplomates (5 000) ou les journalistes (environ 1 000).

« Clicktivism » : mythe et réalité sur les campagnes de mobilisation citoyennes pan-européennes en ligne

A partir d’une analyse de 10 initiatives citoyennes européennes « pionnières », Stéphane Carrara explore l’état de l’e-participation européenne – entre mythe des promesses de « cyber-démocratie européenne » et réalité des pratiques de mobilisation pan-européennes en ligne…

Internet entre rhétorique démocratique et intérêts prosaïques

En théorie, le principe d’encourager l’utilisation d’Internet dans les initiatives citoyennes européennes est « le point le plus consensuel » :

  • Internet est un moyen idéal pour les organisateurs afin de recueillir le soutien des citoyens ;
  • Internet est un média idéal pour la Commission afin de faire connaître les propositions et le suivi juridique.

Mais qu’en est-il en pratique de l’e-participation européenne ?

Sur les 10 campagnes de mobilisation citoyennes pan-européennes en ligne étudiées par Stéphane Carrara avant l’entrée en vigueur des initiatives citoyennes européennes, Internet est « l’outil de collecte de signatures le plus précieux pour compenser le manque de ressources » : réduction des coûts de campagne et des frais de collecte des signatures.

Autrement dit, Internet est d’autant plus idéal pour tenir les promesses d’une « cyber-démocratie européenne » que c’est le seul outil qui prosaïquement permet vraiment de réduire les coûts de mobilisation au niveau pan-européen.

Internet comme outil de propagation, de conviction et de participation

Chaque organisateur a une vision très idéalisée d’Internet comme l’outil en mesure d’atteindre les trois défis auxquels ils sont confrontés :

  1. diffusion d’informations relatives à l’existence de leur campagne,
  2. argumentation à l’appui de celle-ci,
  3. action via la collecte de signatures à partir d’un nombre significatif d’États membres.

Défi de la diffusion : Internet permet-il d’atteindre un vaste public ?

Tous les organisateurs comptent sur une diffusion significative auprès d’un vaste public européen grâce à leur site et aux médias sociaux alors que la plupart du temps, les informations sur leurs campagnes circulent par le biais de bulletins électroniques.

Pour rappel, le niveau d’accès à Internet des ménages européens se situe à 73% en 2011 dans l’UE.

Défi de l’argumentation : Internet permet-il de convaincre de manière décisive ?

La possibilité d’argumenter est largement corrélée au niveau du multilinguisme des sites, souvent limité à quelques langues européennes. De plus, pour convaincre, il est souvent préférable de dialoguer, une possibilité d’interagir directement avec les partisans potentiels souvent absente. Enfin, l’objet doit être très court tout en contenant une idée forte, intelligible et universelle.

Seul le professionnel de pétition électronique Avaaz.org combine à la fois multilinguisme (10 langues européennes) et utilisation vraiment intégrée de dispositifs interactifs avec Facebook ou Twitter.

Défi de la collecte de signatures : Internet permet-il d’agir sans effort ?

En matière de collecte et d’authentification des données, même les campagnes pilotes les plus exigeantes ne respectent pas la norme du règlement final des initiatives citoyennes européennes.

En matière de « clicktivism », c’est-à-dire de participation de citoyens à des pétitions en ligne, les citoyens se trouvent plutôt du côté des organisateurs qui ont la tentation d’utiliser le minimum de données personnelles afin d’atteindre rapidement le million de signatures et se découragent face aux exigences d’authentification dans la collecte des signatures.

En clair, le « clicktivism », cette mobilisation politique peu implicante en ligne, n’est pas prêt de se réaliser avec les contraintes exigées par les initiatives citoyennes européennes.

Bilan : les e-initiatives citoyennes européennes ouvrent de nouvelles possibilités, mais rencontrent aussi de nouveaux obstacles

Malgré l’enthousiasme des organisateurs sur les potentiels de l’e-démocratie, les pionniers des mobilisations citoyennes européennes ne permettent pas de conclure qu’Internet apporte un tournant révolutionnaire. Seuls 15,85% du total des signatures recueillies le sont par Internet…

En tenant compte des barrières linguistiques (usage systématique de l’anglais), combinés avec la capacité d’utiliser Internet, seulement un tiers de la population de l’UE est « doublement qualifié » pour éventuellement y participer.

Tant que les contraintes d’authentification resteront fortes, Internet pourrait jouer encore longtemps un rôle relativement faible dans la collection de signatures, à moins que de nouveaux dispositifs techniques telle que la signature électronique aient un impact décisif en allégeant les coûts de participation.

Ainsi, les mobilisations pan-européennes en ligne ne semblent pas la panacée de l’e-participation mais représentent cependant une nouvelle étape dans les tentatives de construire une cyber-démocratie européenne.