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Mieux communiquer l’Europe ?

Opinion Corner, l’e-magazine de l’agence de communication bruxelloise Mostra, consacre un numéro spécial « Mieux communiquer l’Europe ? ». Á défaut de propositions pour révolutionner la politique actuelle de communication de l’UE, les réflexions d’une vingtaine de responsables politiques, de journalistes, de professionnels de la communication et de représentants des institutions de l’UE et des États membres…

LA PROBLÉMATIQUE : malgré des moyens non négligeables, l’Europe souffre manifestement d’un problème d’image

  • Pourquoi l’UE éprouve des difficultés à faire passer son message auprès des citoyens de l’Union ?
  • Comment communiquer une «chose» certes importante, mais souvent si complexe et tellement ennuyeuse ?
  • Qui est responsable de l’état actuel de la communication européenne : les médias, la Commission européenne ou les gouvernements nationaux ?
  • Faut-il organiser des campagnes de relations publiques plus efficaces (et augmenter encore les budgets de communication…) ou cela risque-t-il de susciter un effet repoussoir auprès des citoyens européens ?
  • Quel est le meilleur canal pour faire passer le message de l’Europe – la télévision, la presse écrite, le web ou les «médias sociaux» ?

LES DÉFIS

De nombreux problèmes confortent l’éloignement entre l’UE et les citoyens

D’une part, les citoyens estiment que l’UE est très éloignée : la plupart d’entre eux se disent mal informés, ne savent pas à qui s’adresser s’ils ont un problème, estiment que les institutions européennes communiquent trop peu avec eux (leur voix n’est pas prise en compte dans l’UE) et se plaignent que les médias ne réservent pas assez de place à l’Europe.

D’autre part, l’UE reste très éloignée pour des raisons parfois intrinsèques et donc difficiles à résoudre :

  • Il n’y a pas d’espace public européen, il n’est pas possible de dialoguer à travers les barrières des cultures.
  • Le fait de devoir communiquer dans les 23 langues officielles de l’UE constitue un obstacle supplémentaire.
  • L’UE est complexe : ses institutions n’ont pas d’équivalents nationaux et ses processus de décision sont extrêmement difficiles à expliquer.
  • Les politiques de l’UE sont menées à l’échelle d’un continent et en fonction d’enjeux mondiaux, ce qui semble loin – à tort – des préoccupations quotidiennes.

Les critiques portent sur une politique de communication de l’UE trop « techno » et « verticale », trop ancrée dans le passé et trop centrée sur les « anciens médias »

  • Prend les gens de haut : On croit qu’il suffit d’envoyer un message aux gens et que ceux-ci vont réagir d’une certaine manière. Les gens ne veulent pas qu’on leur parle comme ça. Ils veulent être partie prenante au débat.
  • Sourd à la critique : À Bruxelles, on est soit «avec nous» ou «contre nous». Il n’y a rien entre les deux. On est face à une sorte de refus institutionnel de répondre à la critique.
  • Utilise mal Internet : Les sites institutionnels sont médiocres, mal conçus, difficiles d’accès pour l’utilisateur et créent des barrières énormes à l’acquisition de l’information et de la connaissance.

La responsabilité de la communication sur l’Europe incombe-elle aussi aux États nationaux ?

Les citoyens attendent des gouvernements nationaux qu’ils soient les canaux privilégiés de transmission de l’information concernant l’Europe. Aux yeux du public, leurs États nationaux faillissent à cette tâche : leur gouvernement ne fournit pas assez d’informations concernant l’Europe.

Tony Connelly, correspondant de RTE, estime que beaucoup de dirigeants nationaux font preuve d’hypocrisie quand il s’agit de communiquer sur l’Europe. Ils sont prêts à reprendre les succès de l’UE à leur compte, mais toujours prompts à blâmer « Bruxelles » pour les échecs.

Les journalistes sont-ils responsables de l’ignorance générale concernant l’Europe et du scepticisme grandissant envers ses institutions ?

Le public européen semble en être persuadé en ce qui concerne l’ignorance générale : les médias ne donnent pas assez d’informations concernant l’Europe.

Pourquoi les sujets européens sont-ils si rares ? Les rédacteurs rechignent à aborder les sujets concernant «Bruxelles» car ils considèrent l’UE comme grise, ennuyeuse et sans visage.

Autre problème : la plupart des médias ne disposent que d’un seul correspondant pour couvrir l’Union européenne, ce qui a tendance à réduire la qualité de la couverture médiatique.

LES DÉBATS

Entre parfaire les méthodes et développer les messages : qu’est-ce qui est le plus important ?

Le problème principal de l’Europe en matière de communication avec le public n’est pas le manque de ressources, d’outils ou même de compétences. C’est que les leaders européens ne sont pas parvenus à développer une « ligne narrative » ou un ensemble de messages clairs à communiquer aux citoyens.

Robert Manchin, directeur de Gallup Europe, souligne: « Tant que nous n’aurons pas une idée claire de ce qu’est cette vaste entreprise européenne, nous serons incapables de nous entendre sur la manière de la promouvoir. »

Jusqu’où l’Europe doit-elle aller pour faire passer son message auprès du public : comment vendre l’Europe ?

Pour certains, la marque « Europe » peut être promue aussi efficacement qu’un produit de grande consommation. Matt Browne du Center for American Progress pense que l’Union devrait vanter ses succès plus agressivement et affirmer ses valeurs avec plus de force. « Il n’y a absolument aucun risque à mettre l’Union européenne trop en avant », bien au contraire…

D’autres, minoritaires, exprimée notamment par Lorraine Mullaly, ex-directrice d’Open Europe, soutiennent que les tentatives de l’UE de convaincre le public européen de ses succès relèvent de la propagande. Il vaut mieux éviter toute promotion, sinon subtile.

LES SOLUTIONS

Des conseils généraux pour améliorer la communication européenne

  • Montrer les bénéfices concrets que l’Europe apporte aux gens, selon Niels Jorgen Thogersen, ancien Directeur de la Communication à la DG Communication de la Commission européenne.
  • Ne pas éviter la controverse et susciter un débat public sur l’Europe.
  • S’appuyer sur les citoyens pour communiquer sur l’Europe, selon Benoît Thieulin.

Les réponses aux problèmes de communication de l’Europe ne se trouvent pas à Bruxelles mais dans les médias et les gouvernements

Alors que les sondages indiquent que les citoyens considèrent les gouvernements comme leur première source d’information concernant l’Europe et qu’ils veulent en savoir plus au sujet de l’Europe, mais sont frustrés par le manque d’informations européennes dans les médias, la solution?

Il faut sortir de la «bulle» bruxelloise et parler de choses qui intéressent le commun des mortels, dit Hugues Beaudouin, correspondant de LCI/TF1 à Bruxelles (une chaîne de télévision qui n’a pas eu de correspondant pendant longtemps).

« Quand les gens voient les bénéfices réels de l’Union européenne, ils la soutiennent. Quand ils n’en voient pas les bénéfices, ils n’ont pas de raison de la soutenir », selon Anna Tuz, Directrice adjointe du Département de l’Information européenne au Ministère polonais de l’Intégration européenne.

Des préconisations pour une meilleure politique de communication de l’UE

  • Donner plus d’importance à Internet et tirer parti des médias sociaux.
  • Répliquer plus rapidement aux désinformations concernant l’Europe.
  • Fonctionner de manière plus décentralisée.

LA CONCLUSION : l’UE doit se reconnecter avec les citoyens

Certes, une critique ouverte s’abat sur la manière dont les institutions européennes se sont efforcées de communiquer avec le public. Trop de «prêchi-prêcha» et pas assez d’écoute. L’UE est trop réticente face à la critique et trop hésitante à engager un vrai débat avec le public. Elle s’est trop appuyée sur la presse écrite et pas assez sur les médias web pour communiquer son message. Elle n’a pas réussi à développer une «ligne narrative» convaincante de l’UE à l’intention d’une nouvelle génération d’Européens, qui considère la paix, la prospérité et la liberté de travailler et de vivre à l’étranger comme allant de soi.

Mais l’UE – et la Commission européenne en particulier – a amélioré ses outils de communication au cours des dernières années et les gouvernements et médias nationaux n’échappent pas à la critique. L’UE doit se concentrer davantage sur les bénéfices concrets qu’elle apporte aux citoyens et moins parler de questions institutionnelles ennuyeuses ou de nobles objectifs politiques. Les institutions de l’UE doivent faire un effort pour se mettre à l’écoute des gens, les encourager à participer au débat politique, et utiliser plus efficacement les nouveaux moyens de communication – le web et les médias sociaux.

Le temps est venu pour l’UE de lancer son prochain grand projet – se reconnecter avec les citoyens qu’elle est censée représenter…

L’UE parvient-elle à entrer en contact avec vous ?

C’est à cette question sur la communication de l’UE que des étudiants étaient invités à plancher dans le cadre d’une compétition remportée par Conor Slowey, étudiant en dernière année de droit et de sciences politiques à la Queen’s University de Belfast….

Une compétition « à l’anglo-saxonne » entre étudiants organisée par l’une des antennes du réseau « Europe Direct » les plus actives sur le web social

La compétition « à l’anglo-saxonne » avec jury de sélection composé d’un panel d’experts et récompense pécuniaire pour le lauréat (£200) était organisé par l’antenne de Leeds du réseau « Europe Direct » rassemblant 16 centres au Royaume-Uni et 500 en Europe, dont le but est d’agir comme interface entre l’UE et ses citoyens au niveau local.

L’antenne « Europe Direct Leeds » est sans doute l’une des plus actives en matière de communication sur les réseaux sociaux et donc à destination des jeunes, notamment étudiants :

  • un site construit comme un blog avec une timeline des publications récentes, une manière d’ouvrir le débat via les commentaires ouverts sur chaque article ;
  • un groupe Facebook établissant des liens vers des événements, des groupes ou des albums photos à caractère européen, une tentative de créer un réseau propre à l’UE ;
  • un compte Twitter très actif avec plus de 3 000 twitts et 750 followers, une occasion de créer le lien entre l’actualité quotidienne et les enjeux européens.

Un vainqueur, Conor Slowey, faisant valoir que la Commission européenne devrait utiliser les médias grand public via l’Internet pour faire connaître ses politiques et susciter des débats

La dissertation porte un réquisitoire fort que l’on ne peut que partager : « en tant que citoyen intéressé, je n’ai que rarement ressenti les effets de la stratégie de communication de la Commission européenne. (…) Si l’objectif de la stratégie de communication de la Commission était une sensibilisation accrue du public pour une plus grande participation à la politique de l’UE, alors le taux de participation pour les élections européennes de 2009 indique que cela n’a pas été atteint, même si la diminution du taux de participation a quelque peu ralenti : la chute entre 1999 et 2004 étant de 4,04%, comparativement à une baisse de 2,47% entre 2004 et 2009. »

Certes, comme le reconnaît Conor Slowey « la tâche d’améliorer la communication de l’UE est difficile à cause de la diversité linguistique de l’Union, du marché fracturé des médias, du manque d’une culture européenne forte au niveau des partis politiques, et de la nature technique de la plupart des questions de politique européenne ».

« Mais la Commission peut faire plus. La politique européenne doit devenir plus attrayante si l’on veut encourager la participation des citoyens et générer des articles dans les journaux. La Commission doit devenir plus politique. (…) La Commission peut susciter un débat sur les politiques qui encourageraient la participation des citoyens, le débat et l’interaction avec les députés sur des sujets d’intérêt personnel, ce qui permettrait également d’augmenter la familiarité et la connaissance des institutions de l’UE et de leur fonctionnement. »

La dissertation soutient alors une proposition à laquelle on ne peut que souscrire : « en tant que blogueur, je reçois la plupart de mes informations sur l’UE de l’Internet, c’est un grand espace où la Commission doit concentrer ses efforts de communication pour informer et potentiellement dialoguer avec les gens ».

Ainsi, « les stratégies de la Commission vers les médias grand public et vers l’Internet doivent être complémentaires. Les gens utilisent Internet pour suivre des choses qui les intéressent ou dont ils ont entendu parler dans les grands médias ou par des amis. »

Par conséquent, la Commission devrait axée sa communication sur l’accessibilité des informations par le biais de son site Web, et à travers les réseaux sociaux. « Plus il est facile d’accéder aux informations de la Commission, plus elles seront utilisées dans les débats et discussions à travers le journalisme traditionnel ou par les blogueurs, et plus il sera probable que de tels débats soient présents dans les grands médias. »

« Très peu de gens sont intéressés pour apprendre sur un sujet qui ne les touchent pas ou pour lequel ils ne peuvent pas participer ». Il faut donc que la Commission « fasse preuve d’audace » pour encourager la participation et « s’ouvrir elle-même à la critique et à la possibilité d’une défaite législative plus publique ». Il faut également que la Commission justifie par les conséquences concrètes dans la vie quotidienne que çà « vaut la peine de participer soit dans les médias traditionnels, en ligne ou avec les députés nationaux et députés européens ».

Conclusion: « c’est une tâche difficile mais nécessaire ».

Lire la dissertation intégrale en anglais

Spécial 500e billet : alors, c’est quoi la communication européenne ?

Qu’il s’agisse de la communication de l’Union européenne émise par la Commission ou le Parlement européen par exemple ou de la communication sur l’Europe réalisée notamment par les États membres – au fil des 500 billets publiés – quelles sont les controverses de ce qu’il convient d’appeler la « communication européenne » ?

Faut-il que la communication européenne vise à rapprocher l’UE des citoyens ou à installer le dialogue entre les citoyens et l’UE et entre les citoyens européens ?

La fausse bonne idée consiste à vouloir rapprocher l’Union européenne des citoyens européens. Une telle démarche se rapporte à imaginer que la holding d’un groupe multinational touche directement ses clients. Communiquer sur l’Europe devient alors mission impossible à cause :

  • des barrières linguistique et culturelle et des obstacles structurels comme l’absence d’espace public européen (ni médias, ni canaux de communication) ;
  • le respect du principe de subsidiarité disqualifie l’UE pour une relation de proximité ;
  • la démocratie représentative nécessite une distance entre le peuple et les élus.

La bonne idée semble davantage se trouver dans un double mouvement visant pour reprendre la comparaison à faire en sorte que les clients consomment tous les jours les produits et services de la multinationale. Communiquer sur l’Europe revient alors à tenter de :

  • placer les citoyens au cœur des politiques publiques européennes en encourageant les citoyens à débattre de l’Union et en incitant les décideurs à prendre en compte cette participation dans les politiques européennes ;
  • placer l’Europe au cœur de la vie quotidienne des citoyens en favorisant l’implication des États membres, de la société civile et des médias dans une meilleure information et un meilleur dialogue sur les politiques européennes.

Faut-il que la communication européenne adopte une approche « corporate » visant à créer une « image de marque » autour des valeurs européennes ou une approche « marketing » tournée vers à les « preuves concrètes », les « bénéfices » du produit UE ?

D’aucuns proposent une véritable labellisation des prises de parole européennes via une « marque UE » aisément reconnaissable par les Européens – quelle que soit l’institution source – favorisant ainsi une unification des émetteurs et une harmonisation des messages.

Cette approche ferait reposer la marque sur un prolongement/renouvellement de la valeur fondamentale de l’UE : de la paix (en période de guerre froide) à la norme (en période de mondialisation).

Les messages de la « marque UE » s’articuleraient autour d’une explicitation des projets de l’UE sous l’angle de la régulation : climatique et environnementale pour protéger la planète du changement climatique ou ’économique et financière pour sauvegarder l’économie sociale de marché…

D’autres envisagent un marketing-mix qui ne consiste plus à communiquer sur les promesses de l’Europe (exemple : la monnaie unique apporte le plein emploi), mais à simplifier pour tendre vers l’unique selling proposition qui va marquer les esprits du plus grand nombre (exemple : 1 Conseil européen = 1 enjeu).

Cette approche ferait reposer le « produit Europe » sur les bénéfices concrets dans la vie quotidienne des Européens de la construction européenne.

L’Europe serait ainsi une valeur d’usage courante orientée autour de la protection, de la simplification des démarches, de l’harmonisation des normes de sécurité, de la défense des consommateurs, de la valorisation de la diversité culturelle…

Faut-il que la communication européenne s’inscrive dans une logique de court terme avec des prestations de services auprès des parties prenantes ou dans une logique de long terme et de formation civique, notamment auprès des jeunes ?

La priorité de la communication européenne doit-elle se concentrer hic et nunc sur des efforts au bénéfices des parties prenantes :

  • simplifier le travail des journalistes, au-delà des accrédités à Bruxelles avec des formations afin de leur permettre de mieux comprendre les institutions communautaires et des sources aisément exploitables, fortement contextualisées…
  • simplifier le travail des acteurs décentralisés, notamment les élus locaux avec des outils d’analyse de l’opinion (Eurobaromètre flash rapide et thématisé) ou des outils pour comprendre l’UE et des messages pour qu’ils se valorisent en parlant de l’UE…

La priorité de la communication européenne doit-elle favoriser la mise en place d’un « cours d’éducation civique européenne », à destination des acteurs de l’Europe de demain.

  • c’est l’avis du Comité économique et social européen : « Comment concilier dimension nationale et dimension européenne dans la communication sur l’Europe » adopté le 10 juillet 2008, dont la rapporteur Béatrice Ouin « recommande au niveau européen, de mettre à disposition un socle commun de connaissances » rassemblant l’essentiel de l’histoire et des valeurs européennes pour former les jeunes.
  • c’est également la résolution « Dialogue actif avec les citoyens sur l’Europe » adoptée le 24 mars 2009 par le Parlement européen qui « relève qu’il est nécessaire de défendre un modèle actif d’éducation civique européenne qui donne aux jeunes la possibilité de s’investir directement dans la vie publique et de s’engager ».

Déficit démocratique de l’Europe : entre mythe et réalité ?

Il n’y a pas de concept sur l’Europe plus soumis à de multiples interprétations que la notion de « déficit démocratique » devenu un lieu commun – depuis son apparition dans les années 1980 – sur une construction européenne qui se serait construite sans consulter les peuples. Tentative de décryptage de ce paradoxe qui veut que l’Europe, qui est un espace démocratique, souffre cependant d’un déficit démocratique, mais lequel ?

Le déficit démocratique est une réalité.

Ce point de vue semble le plus évident. Il en recouvre pour autant plusieurs réalités :

Réalité historique : une sorte d’effet boomerang, selon Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, Chercheur à l’IRIS : « le déficit démocratique serait le résultat politique du mode de production historique de la Communauté économique européenne puis de l’Union européenne ».

La construction de l’UE apparaît comme le fruit d’une stratégie de contournement, de tâtonnements et de compromis intergouvernementaux, un palliatif de l’impossible grande stratégie fédéraliste et politique.

Réalité politique : un symptôme du manque de pédagogie des responsables politiques, selon René Andrau dans « Dieu, l’Europe et les politiques » : « la construction européenne n’est pas compatible avec les valeurs républicaines : les communautés se substituent à la nation, la gouvernance à la souveraineté populaire, les droits fondamentaux de la personne aux droits de l’homme et du citoyen… »

La construction de l’UE apparaît comme la réalisation d’un projet aux procédures et aux institutions qui ne correspondent pas à la culture et aux pratiques politiques nationales.

Réalité sociologique : une forme de procès en élitisme, selon Olivier Costa et Paul Magnette « Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne » : une minorité agissante, multilingue, experte et modernisatrice, unie par une culture des intérêts communs, aurait « utilisé des registres peu politisés pour promouvoir les institutions et les politiques supranationales ».

La construction de l’UE apparaît comme une période d’invention empirique marquée par l’importance accordée au droit et aux avancées jurisprudentielles.

Réalité médiatique : un déficit de visibilité, selon Julien Navarro, Docteur en science politique, Chercheur associé à SPIRIT – Sciences Po Bordeaux : C’est sans doute là que réside le principal déficit démocratique de l’Union européenne aujourd’hui : dans l’absence d’intérêt médiatique véritable pour les institutions et les politiques de l’Union européenne.

La construction de l’UE apparaît sous la forme d’une faible visibilité médiatique récurrente conduisant à minimiser l’importance des élections européennes et à régulièrement renforcer l’abstention.

Le déficit démocratique est un mythe.

Ce point de vue semble plus iconoclaste. Il en demeure pas moins instructif.

Mythe de bureaucrate : une invention d’eurocrate, selon la thèse de Luuk van Middelaar, auteur de « Passage à l’Europe : histoire d’un commencement » présenté dans l’interview donné hier sur ce blog : « C’est une métaphore de comptable : les entrées et les sorties doivent correspondre. Transposée à la politique, cette image propage l’idée selon laquelle un EX-ercice du pouvoir européen peut seul être contrôlé et balancé par une IN-fluence du Parlement. »

Mythe de politiste : une inquiétude injustifiée, selon Andrew Moravcsik, professeur de science politique et directeur du Programme sur l’Union européenne de l’Université de Harvard : « évalué à l’aune des critères prévalant dans les démocraties industrielles avancées plutôt qu’à celle d’une démocratie plébiscitaire ou parlementaire idéale, l’UE bénéficie d’une légitimité démocratique (…) L’UE redresse, plus qu’elle ne crée, les distorsions dans la représentation politique, la délibération et les outputs ».

Ainsi, entre visions mythique ou réaliste, la notion de « déficit démocratique » révèle surtout une Europe « à la recherche de son public », en crise de légitimité, en interrogation d’abord sur un plan symbolique, en raison probablement de l’absence d’un espace public européen, espace symbolique propre à l’Union européenne.

Reste à savoir sur quelle(s) stratégie(s) – synthétisée par Luuk van Middelaar – faut-il s’appuyer pour lutter contre ce fléau :

  • stratégie « allemande » mettant l’accent sur la thématique identitaire (culture et symboles) ?
  • stratégie « romaine » misant sur les « clientélismes » intéressés des politiques communes (de la PAC à la PESC) ?
  • stratégie « grecque » enfin portant haut les valeurs de « citoyenneté » (« pétition », « parlement », constitution etc…) ?

Interview exclusive de Luuk van Middelaar, auteur de « Passage à l’Europe : histoire d’un commencement »

Auteur néerlandais d’une thèse sur la construction européenne « exemplaire », en raison – selon la première critique proposée en français par Christophe de Voogd – « d’exigence théorique et de connaissance des réalités quotidiennes et de ce vigoureux engagement intellectuel sans la moindre concession partisane », Luuk van Middelaar a répondu à nos questions…

Question : Dans votre thèse, vous décrivez l’Europe à partir d’une distinction entre trois sphères (interne, externe et intermédiaire). Où placez-vous les peuples européens ?

Les trois sphères que je distingue concernent la façon dont les États européens ont organisé leurs rapports:

  • diplomatie traditionnelle façon « concert européen » dans la sphère externe;
  • un système institutionnel régi par un Traité pour les États participants, appelé dans le langage courant « Bruxelles », dans la sphère interne (Commission, Parlement, Cour avant tout);
  • une situation hybride où les États membres se rendent compte qu’ils partagent plus que les règles de ce Traité mais qu’ils sont condamnés (parfois malgré eux) à un vivre-ensemble dans le monde, comme un club d’Etats, dans une sphère intermédiaire qui s’est progressivement constitué et formalisé, par exemple dans les Sommets (Conseils européen) de chefs d’Etat et de gouvernement.

Quant aux peuples, en tant que peuples, ils se trouvent historiquement dans la sphère externe, où les États se confrontent, où le chacun pour soi règne entre nations. Le grand effort européen de la nouvelle sphère interne a été de vouloir les « européaniser », de faire basculer les allégeances des États-nations vers l’Europe.

Par exemple, avec la citoyenneté européenne, dont on espérait qu’elle pouvait sous-tendre (supporter) constitutionnellement la sphère institutionnelle du Parlement et de la Commission. Or on voit que ce grand bond n’a pas donné ce résultat. Même si les gens revendiquent désormais une identité européenne partielle, les identités nationales restent dans la quasi-totalité des États-membres dominants.

Depuis une quinzaine d’années l’effort se déplace donc vers la sphère intermédiaire, un objectif moins ambitieux mais beaucoup plus réaliste. Si les peuples ne vont pas devenir des Européens tout court, comment faire pour qu’ils se sentent au moins partie d’un même club européen? C’est tout le défi.

Question : A l’échelle de ce que l’Europe représente concrètement (50 ans d’histoire, 1% du budget des États membres, 15% des normes), ne pensez-vous pas que les « pro-européens » comme les « anti » ont réussi à surévaluer le poids réel de l’Europe ?

Non, je ne crois pas que des questions d’identité ou de formes politiques se mesurent en fonction du budget de l’objet en question. En plus, cela dépend de la façon dont on pose la question. Si on la retourne en parlant du poids ou du passé de l’État-nation ou de la démocratie nationale, qui sont le revers de la question Europe (ou au moins perçues comme telles) on est moins surpris de l’intensité du débat.

Question : Que pensez-vous du « déficit démocratique » : Quel est votre diagnostic ? Quelles serait vos remèdes ?

Le « déficit démocratique » est un terme inventé par les idéologues de la sphère interne: en 1979, à l’occasion des premières élections directes du Parlement européen, par un haut fonctionnaire de la Commission. C’est une métaphore de comptable; les entrées et les sorties doivent correspondre. Transposée à la politique, cette image propage l’idée selon laquelle un EX-ercice du pouvoir européen peut seul être contrôle et balancé par une IN-fluence du Parlement. Du coup, on ne se posait plus la question si le problème n’est pas dans les sorties (trop de décisions) ou si d’autres entrées existent (les parlements nationaux par exemple), puisque la réponse était contenu dans le diagnostic: davantage de pouvoir pour « Strasbourg ». Cela a permis au Parlement européen depuis 30 ans d’agrandir son pouvoir avec chaque modification du Traité, sans toutefois que les citoyens suivent.

Il nous faut donc nous débarrasser de ce terme. Je ne nie pas qu’il y a un vrai problème entre le pouvoir européen, tels qu’il est exercé par les États-membres collectivement, vis-à-vis de leurs peuples individuels. Cela demande avant tout un travail des politiciens nationaux: expliquer chez soi, en tant que ministre ou chef de gouvernement, qu’on porte des responsabilités européennes, impliquer les parlements nationaux et à travers eux les opinions publiques nationales. Il faudrait tirer tout ce monde dans le bain de la sphère intermédiaire européenne.

Reste le désir de drame, de conflits, d’histoires, sans lesquelles un corps politique ne peut pas respirer. Ici on voit qu’en Europe, la nécessité du compromis entre États est plus forte que le besoin de drame et de lutte qu’éprouve le public. Le succès d’après-guerre, dépolitiser et dé-dramatiser le jeu politique, se retourne comme point faible. L’Europe fait bailler.

Question : Quel est votre évaluation de la stratégie de Margot Wallström consistant à placer l’Europe au cœur de la vie quotidienne des citoyens ?

Depuis 2005 et l’échec de la stratégie symbolique constitutionnelle, la stratégie de communication de la Commission met l’accent sur les « résultats » ou les « avantages » que porte l’Europe aux citoyens. Cela a l’air modeste, mais ce n’est pas terriblement crédible. En règle générale, l’avantage de l’un est le désavantage pour un autre. Plus de subventions pour les uns, c’est plus d’impôts pour des autres. Plus de protection sociale se traduit parfois en moins de compétitivité économique. Le droit de se faire soigner à l’étranger (et dieu sait que je suis pour) a pour contre-effet l’angoisse de voir les lits de l’hôpital dans sa ville occupés par des étrangers (si vous permettez cette expression pour les habitants d’autres Etats-membres). Etc. Donc il s’agit à chaque fois de choix politiques, qu’il faut assumer comme tels. En dernière analyse, cela ne va pas sans un récit d’une identité et d’un espace démocratiques partagés.

Question : Que pensez-vous du projet de fusion entre la DG Communication et la DG Education & Culture qui semble à l’étude au sein de la Commission afin de cibler plus massivement les jeunes, la cible stratégique pour l’avenir de l’UE ?

Cela n’a pas grand intérêt. L’action de la DG éducation et culture a toujours été très proche des efforts de légitimer l’action européenne. Qu’on pense à « Erasmus », le programme devenue une vraie « marque », ou aux efforts pour amadouer les milieux intellectuels et artistiques avec des subventions. Là encore, je ne suis pas contre, l’État-national ne fait pas autrement, mais il faut appeler un chat un chat.