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La communication du Parlement européen pour les élections européennes : la métamorphose de la chenille technocratique au papillon (presque) : leçons et perspectives d’avenir

Nous voilà au terme de notre exploration. Quinze ans, quatre campagnes majeures décortiquées, des millions d’euros dépensés, des centaines de milliers de citoyens mobilisés (ou pas), et une courbe de participation qui nous a fait passer du désespoir à un optimisme prudent. Si l’on devait résumer cette folle épopée de la communication électorale du Parlement européen, on pourrait dire qu’on est passé d’une chenille un peu grise et très institutionnelle à un papillon aux couleurs certes encore un peu réglementaires, mais nettement plus vibrant et connecté au monde réel. Mais au-delà de la métamorphose, quelles sont les vraies leçons à tirer ? Et surtout, où diable ce papillon va-t-il voler demain ?

Les grandes mues : ce qui a (vraiment) changé en 15 ans

Si l’on prend un peu de recul, plusieurs transformations fondamentales sautent aux yeux :

  1. Du monologue descendant au dialogue (parfois cacophonique) : Fini le temps où Bruxelles dictait le message unique. L’ère est à l’hybridation : une stratégie centrale qui donne le cap, mais une exécution qui s’appuie massivement sur l’énergie décentralisée des citoyens, des ONG, des partenaires locaux (together.eu en est le symbole). On a compris que la confiance et l’authenticité ne se décrètent pas, elles se construisent sur le terrain.
  2. De l’information factuelle à la connexion émotionnelle (et narrative) : On ne mobilise pas avec des chiffres et des directives. Les campagnes qui marquent sont celles qui racontent une histoire, qui touchent aux valeurs, aux peurs, aux espoirs. Le concept de la vidéo « bébé » de 2019 a eu plus d’impact que toutes les brochures sur les fonds structurels réunies (n’en déplaise à leurs auteurs).
  3. Du média roi à l’écosystème omnicanal : La télé et l’affiche ont toujours leur place, mais le centre de gravité s’est déplacé vers le digital, les réseaux sociaux, les influenceurs, le contenu viral. Surtout, l’approche est devenue intégrée : chaque canal renforce l’autre, du tweet à l’illumination d’un monument, en passant par le café-débat.
  4. De l’événementiel électoral à l’ébauche d’une relation continue : Le Parlement a compris qu’on ne construit pas une relation de confiance en ne parlant aux citoyens que tous les cinq ans. Des initiatives comme together.eu ou les programmes jeunesse visent à tisser un lien plus permanent, à faire vivre l’engagement européen au quotidien. On n’y est pas encore totalement, mais l’intention et les moyens sont là.

Les dragons qui veillent toujours : les défis qui ne disparaissent jamais (hélas)

Malgré ces progrès indéniables, certains défis semblent aussi persistants que les débats sur le siège du Parlement européen :

  • Le casse-tête du multilinguisme : Traduire, c’est bien. Faire résonner culturellement et émotionnellement un message dans 24 langues (et plus si affinités régionales), c’est une autre paire de manches. Un défi créatif et budgétaire permanent qui frôle parfois la quadrature du cercle.
  • Le funambulisme de la neutralité : Comment inciter à voter pour l’Europe sans faire campagne pour un camp ? Comment défendre la démocratie sans être accusé de partialité ? Une ligne de crête de plus en plus étroite dans un paysage politique polarisé. Chaque campagne ravive ce débat.
  • La conquête de la majorité silencieuse (et sceptique) : Toucher les « déjà convaincus », c’est facile (enfin, presque avec de gros moyens). Aller chercher ceux qui se sentent loin, qui doutent, qui ne votent jamais… ça reste le Graal, et la partie la plus difficile de l’équation.
  • La justification du coût : Même si le coût par citoyen reste dérisoire comparé aux campagnes nationales, les budgets globaux (des dizaines de millions) font tiquer. Démontrer le « retour sur investissement » en termes de participation (et au-delà) reste un impératif constant face aux critiques.
  • La guerre de l’information : La désinformation et les narratifs hostiles sont devenus des éléments structurels du paysage. La communication institutionnelle doit intégrer une dimension de veille, de défense et de contre-offensive permanente. Ce n’est plus une option, c’est une nécessité vitale.

Au-delà des campagnes : pourquoi tout cela est (vraiment) important

Ces campagnes, au fond, ne servent pas qu’à faire grimper un taux de participation. Elles sont le laboratoire où s’invente, par essais et erreurs, la communication d’une démocratie supranationale unique au monde. Elles contribuent, lentement, imparfaitement, à :

  • Tisser un espace public européen : En mettant les mêmes sujets sur la table au même moment, en créant des moments partagés (débats, actions symboliques), elles aident à construire une conversation civique par-delà les frontières.
  • Renforcer la légitimité démocratique : En expliquant les enjeux, en incitant au vote, elles participent à la vitalité démocratique de l’UE et à la légitimité de ses institutions, notamment du Parlement.
  • Façonner une identité européenne ? Sans tomber dans l’angélisme, ces campagnes, en mettant en avant des valeurs et des enjeux communs, contribuent à forger un sentiment d’appartenance et une conscience citoyenne européenne.
  • Inspirer ailleurs : Le modèle d’engagement citoyen développé par le Parlement est regardé avec intérêt par d’autres institutions internationales et même par la Commission européenne, signe d’un certain leadership acquis en la matière.

Demain, tous communicants européens ? (ou sinon juste des chatbots très polis ?)

Alors, que nous réserve l’avenir ? Difficile de lire dans le marc de café (ou dans les algorithmes). Mais on peut esquisser quelques pistes :

  • L’IA au service de l’hyper-personnalisation (éthique ?) : Imaginez recevoir des informations électorales parfaitement ciblées sur vos préoccupations, dans votre langage… L’IA offre des possibilités vertigineuses, mais soulève autant de questions éthiques sur la manipulation et la vie privée.
  • Vers des expériences immersives ? Une visite virtuelle du Parlement en Réalité virtuelle ? Des simulations de débats ? Des serious games pour comprendre le fonctionnement de l’UE ? La technologie pourrait offrir de nouvelles formes d’engagement plus ludiques et incarnées.
  • La bataille de l’attention : Dans un monde saturé d’informations et de sollicitations, la communication européenne devra être encore plus créative, plus surprenante, plus authentique pour simplement… exister.
  • Le citoyen, toujours au centre : Quelle que soit la technologie, la clé restera probablement l’humain. La capacité à créer de vraies communautés, à susciter des conversations authentiques, à donner du pouvoir aux citoyens restera primordiale.

En conclusion, la communication électorale du Parlement européen est un chantier permanent, fascinant, parfois frustrant, mais absolument essentiel. Elle reflète les défis et les ambitions d’un projet politique unique. Elle nous rappelle que connecter une institution aussi complexe que l’UE avec 450 millions de citoyens divers est un art délicat, un mélange de stratégie, de créativité, de technologie et… d’une bonne dose d’optimisme.

Car au final, que ce soit via un spot télévisé, un tweet, un débat local ou une plateforme en ligne, le message fondamental reste le même, et il nous concerne tous : this time, and every time, it’s (still) our choice.

Élections européennes 2024 : la communication de l’UE en mode résilience (et les défis pour demain)

Nous voici dans notre voyage à travers 15 ans de campagnes électorales du Parlement européen arrivé au dernier scrutin. Après les tâtonnements de 2009, la tentative d’électrochoc de 2014 et le « big bang » citoyen payant de 2019, la campagne pour les élections de juin 2024 s’inscrit dans une logique de consolidation, mais aussi d’adaptation à un monde toujours plus complexe et incertain. Guerre aux portes de l’Europe, crise climatique persistante, montée des extrêmes, désinformation galopante… Le décor est planté, et la communication doit s’ajuster, encore une fois…

« Use Your Voice. Or Others Will Decide For You. » – le ton se durcit

Le slogan choisi pour 2024 : « Use your voice. Or others will decide for you. »marque une évolution notable par rapport à l’optimisme de « Choose Your Future » en 2019. Le ton est plus direct, plus grave, presque comminatoire.

Il ne s’agit plus seulement d’inviter à choisir son avenir, mais d’alerter sur les conséquences de l’abstention : laisser le champ libre à d’autres forces (sous-entendu, potentiellement anti-démocratiques ou anti-européennes). Les objectifs principaux s’inscrivent dans la continuité, mais avec une urgence accrue :

  • Maintenir (voire améliorer) la dynamique de 2019 : Consolider le rebond de participation, notamment chez les jeunes (beaucoup de 18-24 ans qui avaient pu être touchés en 2019 peuvent dorénavant voter en 2024).
  • Combattre l’apathie et la désinformation : Dans un contexte de polarisation et de « fake news », réaffirmer l’importance du vote éclairé. Les campagnes de manipulation de l’information et d’influence étrangère font dorénavant parties du paysage.
  • Souligner l’enjeu démocratique : Positionner le vote comme un acte de défense des valeurs fondamentales européennes face aux menaces internes et externes. L’audience cible reste large, mais avec un focus sur le « moveable middle » : les citoyens pro-démocratie mais qui ont besoin d’une motivation supplémentaire pour se déplacer.

L’héritage de 2019 est optimisé – together.eu et partenariats sont renforcés

La stratégie de 2024 capitalise largement sur les succès de 2019, en affinant les outils et en élargissant les alliances :

  • together.eu en pleine action : La plateforme citoyenne, héritage direct de « This time I’m voting. », est le fer de lance de la mobilisation sur le terrain. Des milliers de volontaires et d’organisations partenaires sont activés dans tous les pays pour relayer les messages et organiser des actions locales. C’est la confirmation du modèle hybride institution/citoyens.
  • Des partenariats plus profonds et diversifiés : Le Parlement ne se contente plus des ONG traditionnelles. Il collabore avec des autorités locales (mairies), des bibliothèques, des écoles, des influenceurs « organiques » cherchant à toucher les citoyens dans leur environnement quotidien et via des relais de confiance variés.
  • Visibilité et symbolique accrues : Les actions spectaculaires se multiplient, comme l’illumination de plus de 60 monuments emblématiques à travers l’Europe aux couleurs de l’UE le 9 mai. L’objectif : créer des moments médiatiques forts et rappeler l’échéance de manière positive et unificatrice.
  • Lutte intégrée contre la désinformation : Face aux risques accrus, la communication intègre une dimension de « myth-busting » et s’appuie sur les capacités de fact-checking de l’UE (via le hub dédié). Une équipe de « réponse rapide » est mise en place pour contrer les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux.
  • Un budget record : L’investissement atteint de nouveaux sommets, estimé entre 30 et 35 millions d’euros, soit environ 0,08 € par citoyen. Ce budget reflète l’ampleur des défis et la sophistication croissante des outils (notamment digitaux et de gestion de communauté).

Les défis persistants et les attentes pour l’avenir

Si la campagne 2024 semble avoir tiré les leçons du passé, elle n’échappe pas aux défis récurrents et en voit émerger de nouveaux :

  • La neutralité, toujours sur le fil : Le ton plus direct et l’accent mis sur la « défense de la démocratie » ravivent les critiques sur une possible partialité pro-UE, même si la campagne évite soigneusement toute consigne de vote partisane. Trouver le juste équilibre reste un exercice de haute voltige.
  • Atteindre les « non-convaincus » : Malgré les efforts, toucher ceux qui sont le plus éloignés de l’Europe ou les plus sceptiques demeure le défi majeur. Les enquêtes Eurobaromètre de fin 2023 montraient un intérêt croissant mais une connaissance encore faible des détails de l’élection.
  • L’évaluation de l’impact réel : Si la participation augmente à nouveau en 2024, il sera difficile (comme toujours) de démêler l’effet propre de la campagne des facteurs contextuels (guerre, crises, mobilisation nationale). La pression pour démontrer le « retour sur investissement » de ces budgets conséquents reste forte.

Quelles leçons et perspectives pour 2029 et au-delà ?

Quinze ans de campagnes électorales européennes nous offrent une fresque fascinante de l’évolution de la communication institutionnelle. Plusieurs tendances lourdes se dégagent :

  1. Du top-down à l’hybride : L’avenir appartient clairement à des modèles combinant impulsion centrale et mobilisation décentralisée, s’appuyant sur l’énergie citoyenne.
  2. De l’information à la connexion émotionnelle et narrative : Les slogans factuels ne suffisent plus. Il faut des récits incarnés, des messages qui touchent personnellement et qui donnent du sens.
  3. Du mass-media au réseau omnicanal : Le digital est roi, mais l’approche doit être intégrée, combinant présence en ligne massive, partenariats stratégiques, actions de terrain et moments symboliques forts.
  4. De la communication à l’engagement continu : Des plateformes comme together.eu montrent la voie vers une relation plus permanente entre l’institution et les citoyens, au-delà des seules échéances électorales.

Pour l’avenir, on peut imaginer une communication électorale européenne encore plus personnalisée (grâce à une utilisation éthique des données), plus interactive (chatbots, formats gamifiés), plus résiliente face à la désinformation (IA pour la détection et la réponse), et peut-être encore plus audacieuse dans sa capacité à créer un véritable espace public européen de débat.

Le Parlement européen, à travers ses campagnes électorales, a non seulement cherché à remplir les urnes, mais a aussi, par essais et erreurs, contribué à réinventer la manière dont une institution supranationale peut (et doit) communiquer avec ses citoyens. Le chemin est encore long, les défis demeurent immenses, mais la trajectoire montre une capacité d’apprentissage et d’adaptation remarquable.

Justement, notre dernière analyse portera sur une conclusion générale de ces campagnes de communication pour les élections européennes qui prend de la hauteur pour boucler la série en beauté.

Campagne pour les élections européennes 2019 : le big bang citoyen – quand l’Europe apprend (enfin) à mobiliser les foules

Après les tentatives honorables mais mitigées de 2009 et 2014, le Parlement européen se retrouve au pied du mur. La participation stagne dangereusement sous les 43%, le spectre du Brexit hante les couloirs de Bruxelles, le populisme et l’euroscepticisme gagnent du terrain, tandis qu’une nouvelle génération, celle des marches pour le climat, fait entendre sa voix. Le constat est sans appel : pour les élections de mai 2019, il ne suffit plus d’informer ou même d’émouvoir. Il faut mobiliser, massivement, différemment. Il faut une rupture. Et la rupture aura lieu. Bienvenue dans l’analyse de la campagne qui a tout changé…

Acte I : Le double gambit – alliance inédite entre institution et citoyens

Fini l’approche monolithique. Pour 2019, le Parlement européen opte pour une stratégie audacieuse à deux têtes, unissant la force de frappe institutionnelle à l’énergie de la base :

  1. Le volet institutionnel « Choose Your Future » : Porté par les canaux officiels du Parlement, ce slogan souligne l’enjeu existentiel du scrutin pour l’avenir de l’Europe. C’est la caution sérieuse, le rappel des fondamentaux démocratiques.
  2. Le volet « grassroots » « This Time I’m Voting » : C’est là que réside la véritable innovation. Une campagne parallèle, non-partisane, conçue comme un appel à l’action direct et personnel, invitant les citoyens à s’engager activement pour promouvoir le vote autour d’eux.

Cette dualité permet de combiner la légitimité et les ressources de l’institution avec l’authenticité et la capillarité d’un mouvement citoyen. Un pari risqué mais calculé.

Acte II : « This Time I’m Voting » – la transformation de la communication centrée sur le « moi » citoyen

Le cœur du réacteur de 2019, c’est « This Time I’m Voting ». L’idée maîtresse ? Transformer le citoyen passif en ambassadeur actif de l’élection. Comment ?

  • Une plateforme dédiée : thistimeimvoting.eu : Véritable QG numérique de la mobilisation, disponible dans toutes les langues de l’UE. Les citoyens peuvent s’y inscrire comme volontaires, accéder à des ressources, organiser des événements, et surtout, se connecter entre eux.
  • Un objectif initial modeste… pulvérisé : Le Parlement visait 5 000 volontaires. Il en recrutera plus de 250 000. Un succès phénoménal qui dépasse toutes les attentes et démontre une soif d’engagement citoyen pro-européen.
  • Le pouvoir du récit personnel : La campagne invite chaque citoyen à compléter la phrase « Cette fois, je vote pour... », rendant l’acte de vote personnel, concret, lié à des enjeux spécifiques (climat, emploi, droits…). Le message n’est plus imposé d’en haut, il émane de l’individu. C’est le passage de « l’Europe vous parle » à « Je vous parle de mon Europe ». C’est la clé du succès auprès du public.
  • Décentralisation et autonomisation : Les volontaires organisent des milliers d’événements locaux (débats, cafés citoyens, actions de sensibilisation) avec le soutien logistique (mais pas directif) des bureaux du Parlement européen. L’énergie vient du terrain.

Acte III : inonder la place publique – digital, viralité et partenariats

Si TTIMV est le moteur, la stratégie de diffusion est le carburant. L’approche est résolument multi-canale et intégrée :

  • Le tsunami digital : Les réseaux sociaux sont au cœur du dispositif. Facebook, Instagram, Twitter sont massivement investis pour toucher notamment les jeunes (qui n’avaient voté qu’à 27% en 2014). Des partenariats discrets mais efficaces sont noués avec des influenceurs. On expérimente même la messagerie WhatsApp pour envoyer des rappels.
  • L’arme émotionnelle virale – le Bébé « Choose Your Future » : Le Parlement produit une vidéo poignante, narrée par un bébé né aux quatre coins de l’Europe, interrogeant l’avenir et exhortant à choisir. La vidéo devient un phénomène, accumulant plus de 100 millions de vues en ligne. L’émotion devient un levier de mobilisation majeur.
  • Des partenariats élargis : Le Parlement tisse une large coalition avec des organisations de la société civile, des ONG, des associations de jeunesse comme Eurodesk, multipliant les points de contact et la crédibilité du message.
  • Présence physique et symbolique : Les canaux traditionnels ne sont pas oubliés : affiches, installations (comme l’exposition photo sur l’esplanade du Parlement à Bruxelles), événements jeunesse (European Youth Week), town halls organisés par les bureaux locaux.
  • Un budget à la hauteur : Reflet de cette ambition démultipliée, le budget grimpe à environ 33 millions d’euros, soit près du double de 2014 (environ 0,07-0,08 € par citoyen). Un investissement conséquent dans les outils numériques (plateforme, CRM) et les ressources humaines dédiées.

Acte IV : Le triomphe – une participation enfin en hausse et un modèle est né

Le résultat dépasse les espoirs les plus fous. Le 26 mai 2019, la participation bondit à 50,7%. C’est la première augmentation en 40 ans d’élections européennes au suffrage universel direct. Un véritable tournant.

  • Un succès revendiqué (avec nuances) : Le Parlement attribue une partie de ce succès à sa campagne, notamment à l’engagement des jeunes et à la mobilisation des « indécis ». Les chiffres de la plateforme TTIMV et la portée virale des contenus attestent d’un impact réel. Bien sûr, des facteurs externes (Brexit, climat) ont joué un rôle crucial, mais la campagne a su intelligemment surfer sur ces vagues.
  • Un héritage durable – together.eu : Conscient de la valeur de cette communauté engagée, le Parlement transforme la plateforme TTIMV en un réseau permanent, visant à maintenir l’engagement citoyen entre les élections.

Acte V : la controverse – quand mobiliser frôle la propagande

Ce succès éclatant n’est pas exempt de critiques. La plus virulente concerne la neutralité politique. Un document stratégique interne, révélé par Politico Europe, affichait clairement l’objectif de « convaincre les citoyens de soutenir le projet européen » et de contrer les narratifs eurosceptiques. Pour les détracteurs, le Parlement a franchi la ligne jaune, utilisant l’argent public pour une campagne pro-UE à peine voilée. La défense du Parlement ? Encourager la participation et informer sur les réalisations de l’UE relève de son mandat démocratique, sans jamais dire pour qui voter. Une ligne de crête délicate dans un paysage politique polarisé.

En conclusion, 2019 restera comme l’année où la communication électorale du Parlement européen a opéré sa mue la plus spectaculaire. En osant le pari de la confiance citoyenne, de la décentralisation et de l’émotion authentique, elle a non seulement contribué à inverser une tendance historique mais a aussi établi un nouveau standard, une nouvelle façon de « faire campagne » pour une institution. Un modèle inspirant, mais aussi un avertissement sur les défis éthiques que soulève une communication institutionnelle de plus en plus sophistiquée et engageante.

La campagne de 2024 héritera largement de ce modèle, tout en devant l’adapter à un contexte encore plus complexe. Ce sera l’objet de notre prochain article.

Campagne de communication pour les élections européennes 2014 : l’Europe tente l’électrochoc émotionnel (et découvre que l’engagement ne s’achète pas toujours)

Après le galop d’essai un peu timide de 2009 et son « It’s Your Choice! », le Parlement européen a compris une chose : pour faire vibrer la corde citoyenne, il faut plus qu’un slogan unique et des affiches bien traduites. Il faut du cœur, de l’émotion, du récit. Nous voici donc en 2014. L’ambiance a changé. La crise financière est passée par là, laissant derrière elle un goût amer de « crise, colère et frustration », pour reprendre les termes mêmes qui infusaient la réflexion stratégique de l’époque. Mais paradoxalement, le Parlement sort renforcé, avec de nouveaux pouvoirs et, surtout, une innovation politique majeure : le processus des Spitzenkandidaten. Pour la première fois, le vote des citoyens allait directement influencer le choix du Président de la Commission européenne. Le moment idéal pour tenter une nouvelle approche…

« Cette fois, c’est différent ! » : promesse électorale ou vœu pieux ?

Le contexte est donc double : une méfiance ambiante envers les institutions et une opportunité politique inédite. La campagne de 2014 va jouer sur ces deux tableaux. Son leitmotiv officieux, martelé dans les communications ? « This time it’s different ». Un message clair : votre vote n’est plus symbolique, il est décisif pour le leadership européen. Les objectifs sont ambitieux :

  • Faire connaître les nouveaux pouvoirs du Parlement européen : Expliquer l’enjeu des Spitzenkandidaten et montrer que l’institution n’est plus une simple chambre d’enregistrement.
  • Remotiver les troupes (et les autres) : S’adresser à un électorat large, mais avec un focus particulier sur les sceptiques et les jeunes désillusionnés par la crise, ceux qui pensent que « Bruxelles, c’est loin ». Il faut les convaincre que, justement, cette fois, ça les concerne directement.

« Act. React. Impact. » : l’Europe fait son cinéma

Pour porter ce message, changement de style. Fini l’approche purement informationnelle, place à l’émotion et à la connexion avec le réel. Le slogan officiel, décliné sur les supports visuels, est « Act. React. Impact. ». L’idée ? Montrer que le citoyen peut agir par son vote, réagir aux événements (la crise, par exemple) et impacter la direction que prend l’Europe. Une signature complexe à décrypter malgré tout.

La stratégie se professionnalise nettement :

  • Un narratif ancré dans le réel : On abandonne les représentations idéalisées ou « glossy » pour parler des vraies préoccupations, des difficultés, montrant un Parlement connecté aux réalités vécues. L’Europe n’est pas qu’une affaire de traités, c’est une affaire de vies.
  • Une production visuelle ambitieuse : Le Parlement s’offre les services de l’agence de publicité Ogilvy. Le résultat ? Des vidéos de haute qualité, dont un trailer au style cinématographique mettant en scène des moments de vie contrastés, diffusé dans les 24 langues officielles. On cherche à créer un choc visuel et émotionnel.
  • Premiers pas sérieux sur le digital : La campagne investit davantage les réseaux sociaux (Facebook et Twitter avec des hashtags dédiés) pour engager la conversation.
  • Ciblage des primo-votants : Un film et des actions de sensibilisation spécifiques sont dédiés aux jeunes électeurs, considérés, à juste titre, comme un public clé pour l’avenir.
  • Budget et Déploiement : Le budget alloué est d’environ 16 millions d’euros, soit légèrement moins qu’en 2009, représentant environ 0,03 € par citoyen. La coordination reste centrale, mais avec une tentative de localisation via des partenariats médias nationaux.

Les Spitzenkandidaten : la révolution silencieuse au cœur de la campagne

Introduit pour la première fois lors de ces élections de 2014, le processus des Spitzenkandidaten, les candidats têtes de liste représentait une petite révolution institutionnelle. L’idée était simple mais puissante : chaque grande famille politique européenne désignait avant les élections son candidat pour la présidence de la Commission européenne. Le parti arrivant en tête lors du scrutin européen aurait alors une légitimité démocratique pour que son candidat soit proposé par le Conseil européen et élu par le Parlement.

Ce mécanisme transformait fondamentalement la nature de l’élection : on ne votait plus seulement pour élire ses députés européens, mais aussi, indirectement, pour choisir le chef de l’exécutif européen. C’était l’argument massue pour justifier le « This time it’s different ». La campagne de communication du Parlement s’est donc largement appuyée sur cet élément, s’efforçant d’expliquer ce concept nouveau et de souligner l’impact direct du vote citoyen sur le choix du leader européen. Cela a notamment donné lieu aux premiers débats télévisés entre ces Spitzenkandidaten, ajoutant une dimension présidentielle inédite à la campagne européenne et contribuant à politiser davantage l’enjeu du scrutin.

Le verdict des urnes : la grande désillusion (et les nouvelles leçons apprises)

Malgré cette montée en gamme stratégique et créative, le résultat est une douche froide. La participation atteint un nouveau plancher historique : 42,54%. L’électrochoc émotionnel n’a pas eu lieu.

Que s’est-il passé ?

  • La communication ne peut pas tout : L’apathie structurelle, le manque d’incarnation politique transnationale, la complexité perçue de l’UE sont des obstacles que même la meilleure campagne peine à surmonter seule.
  • Le défi persistant du multilinguisme créatif : Créer un message émotionnel fort qui résonne de la même manière dans 24 langues et cultures reste un exercice périlleux. Le risque de la « médiocrité née du compromis » plane toujours, même si l’effort pour parler d’une seule voix est reconnu.
  • Un succès d’estime, quand même : Tout n’est pas noir. Le concept des Spitzenkandidaten gagne en notoriété publique. La campagne est remarquée pour son audace et sa volonté de sortir des sentiers battus. Les débats entre candidats têtes de liste, une première, marquent les esprits.

Surtout, 2014 est riche en enseignements pour le Parlement européen. La principale leçon, retenue en interne ? Il faut commencer encore plus tôt et trouver des moyens encore plus engageants pour mobiliser les citoyens. L’approche, bien que plus professionnelle, restait encore trop « descendante ». On avait montré de belles vidéos, mais avait-on vraiment impliqué les gens ?

La campagne de 2014, avec ses ambitions et ses résultats décevants, a paradoxalement préparé le terrain pour 2019. Elle a familiarisé le public avec l’idée que les élections européennes avaient un enjeu de pouvoir réel. Elle a montré les limites d’une communication centralisée, même créative. Elle a surtout créé un électrochoc… en interne, renforçant la conviction qu’il fallait oser une approche radicalement différente pour la prochaine échéance. Une approche qui mettrait le citoyen non plus seulement comme spectateur, mais comme acteur principal.

Et c’est précisément ce « big bang citoyen » de 2019 que nous explorerons dans notre prochain article. Préparez-vous, ça va secouer !

Il était une fois la communication du Parlement européen pour les élections européennes : 2009 : « It’s your choice! », quand on tente le grand saut (sans élastique)

Pour notre première série d’été, le choix c’est bien entendu porté sur les campagnes de communication autour des élections européennes : la grande Transformation au cours des quinze dernières années. Remontons le temps jusqu’en 2009. L’air est frais, l’iPhone 3GS vient de sortir, et à Bruxelles, une idée audacieuse germe dans les couloirs du Parlement européen : lancer LA première campagne de communication électorale vraiment unifiée pour les 27 États-membres. L’objectif affiché est herculéen : stopper l’hémorragie de la participation citoyenne, cette courbe descendante qui nargue l’idéal démocratique européen et qui venait de frôler les 43% (un chiffre qui, cruel destin, s’établira finalement à 42,6% après le scrutin). Le gant était jeté.

« It’s Your Choice! » : l’Europe ose (enfin) une campagne

Le nom de baptême de cette aventure ? « It’s Your Choice! ». L’ambition stratégique, documentée notamment par l’OSCE et les analyses de l’époque est claire comme de l’eau de roche (ou presque) :

  • Briser la spirale négative : Il fallait à tout prix « break the downward trend », redonner envie, ou du moins, freiner la désertion des urnes.
  • Reformuler l’acte de vote : Moins un pensum civique qu’une réelle opportunité d’« influencer le processus décisionnel ». On visait l’électorat général, mais avec une flèche décochée en direction des jeunes (primo-votants) et des abstentionnistes chroniques, ces fameux « apathiques » que toute campagne rêve de réveiller. Le message sous-jacent : l’Europe n’est pas une fatalité technocratique, c’est une construction dont vous détenez une clé. Votre bulletin.

Du dépliant à la « Choice Box » : l’arsenal hétéroclite d’une première offensive

Pour matérialiser cette ambition paneuropéenne, on sort l’artillerie… de l’époque. Une coordination inédite, mais des outils somme toute assez classiques, avec une touche de nouveauté :

  • Le kit de base unifié : Logo étoilé unique, slogan unique. La base d’une identité visuelle commune, déployée sur tous les supports. C’était la condition sine qua non pour parler d’une seule voix.
  • L’offensive visuelle : Dix affiches thématiques (emploi, environnement, etc.), conçues pour toucher différentes cordes sensibles, sont traduites dans les 23 langues officielles et placardées à travers le continent. Un effort linguistique et logistique considérable.
  • Les grands classiques médiatiques : Le gros des troupes est constitué de publicités télévisées, de spots radio et d’affichage urbain. On occupe le terrain médiatique traditionnel, là où l’on pense (encore) toucher le plus grand nombre.
  • L’étincelle d’interactivité avec la « Choice Box » : C’est LA petite innovation de 2009. Des cabines vidéo installées sur des places publiques invitent les passants à enregistrer leur message à l’Europe. Un ancêtre lointain et physique du User Generated Content, une tentative de créer du dialogue là où régnait le monologue.
  • La touche locale (contrôlée) : Les bureaux d’information du Parlement ont la tâche délicate de sélectionner, dans le catalogue central, les thèmes et les déclinaisons les plus pertinents pour leur public national. Une première tentative de décentralisation, même si le cadre restait très centralisé.
  • Le chef d’orchestre créatif : C’est l’agence allemande Scholz & Friends qui est chargée de mettre en musique cette partition complexe.
  • Le nerf de la guerre (ou plutôt, le petit pécule) : Le budget total avoisine les 18 millions d’euros. Impressionnant ? Pas tant que ça. Rapporté aux quelque 375 millions d’électeurs potentiels, cela équivaut à environ 0,05 € par citoyen. De quoi s’offrir une demi-sucette ? Cette relative modestie budgétaire, face à l’ampleur de la tâche et à la fragmentation médiatique et culturelle, pèsera lourd dans la balance.

La douche froide : pourquoi « It’s Your Choice! » n’a pas (encore) fait des étincelles pour faire reculer l’zbstention

Le verdict des urnes est sans appel : 42,6% de participation. Non seulement la tendance n’est pas inversée, mais elle continue sa légère érosion. L’objectif principal est manqué. Pourquoi ce rendez-vous passe à côté ?

Les analyses post-campagne pointent plusieurs faiblesses structurelles :

  • Un mur du son difficile à percer : Avec un budget limité et un démarrage jugé tardif, la campagne a eu du mal à émerger dans le brouhaha médiatique national de nombreux pays. La visibilité est restée insuffisante pour marquer les esprits en profondeur, d’autant qu’une telle campagne était relativement nouvelle pour les électeurs.
  • Le frein à main de la neutralité : Le Parlement a dû volontairement réduire l’intensité de sa campagne juste avant le scrutin pour ne pas être accusé d’interférer avec le jeu politique partisan. Une contrainte institutionnelle forte qui ampute la campagne de sa dernière ligne droite. La période de réserve, qui existe notamment en France est le principal responsable.
  • Un message trop rationnel ? Trop distant ? : Malgré l’accent mis sur le « choix », le message est peut-être resté trop abstrait, trop institutionnel, peinant à créer un lien émotionnel fort ou à démontrer une pertinence immédiate dans la vie quotidienne des citoyens. L’Europe restait perçue comme lointaine.

Les fondations malgré tout : les leçons essuyées sur les plâtres de 2009

Faut-il pour autant jeter le bébé « It’s Your Choice! » avec l’eau du bain de l’abstention ? Certainement pas. Cette campagne, malgré ses résultats décevants sur le thermomètre de la participation, fut une étape fondatrice et nécessaire. Elle a permis de :

  1. Poser le principe d’une communication européenne unifiée et d’en tester la faisabilité opérationnelle.
  2. Mesurer l’ampleur des défis : la complexité linguistique et culturelle, l’impératif de budgets conséquents, la nécessité d’anticiper bien en amont.
  3. Comprendre (douloureusement) les limites de l’approche top-down et purement informationnelle. Le citoyen de 2009 ne se mobilise plus sur simple injonction, même parée des meilleures intentions démocratiques. Il faut plus.

Ces leçons, gravées dans le marbre des évaluations post-campagne, vont nourrir la réflexion stratégique pour les années à venir. L’idée qu’il faut injecter plus d’émotion, plus de pertinence, plus d’engagement direct et peut-être moins de contrôle centralisé commence à faire son chemin.

Comme nous le verrons dans la suite de la série, la campagne de 2014 tentera d’intégrer certains de ces apprentissages, dans un contexte européen encore plus complexe. Rendez-vous pour notre prochain décryptage.