Et si la communication européenne s’inspirait du « soft power »

Parmi les nombreux « challenges » de la communication publique rassemblés à l’occasion des 30 ans du Club de Venise, c’est le « pouvoir doux », selon Antonio Gramsci qui par le consentement de la société civile permet au pouvoir politique de se légitimer. Un enseignement crucial pour la communication de l’Union européenne…

Qu’est-ce qui est vraiment attrayant pour les citoyens ?

Pour Verena Nowotny, réfléchir à partir du « soft power » déclenche une prise de conscience sur ce qui est réellement attractif pour les citoyens :

Quelques soient les actions de puissance douce, celles-ci doivent être envisagées comme un investissement sur l’avenir et pas uniquement comme un coût. Chaque intervention de l’UE doit permettre de démontrer son utilité, sa capacité à s’adapter pour répondre aux nouveaux besoins – de la sécurité (protection contre les menaces terrorismes) au divertissement (des infrastructures culturelles telles que théâtres, musées ou terrains de sport, la production télévisée et le tournage de divertissement).

Les moyens classiques de la diplomatie publique tels que les bourses d’études, les échanges d’étudiants et l’éducation des médias fonctionnent encore. Mais, il faut beaucoup de persévérance et une vision à long terme pour connaître des effets positifs. Investir dans l’éducation et la formation est le meilleur moyen pour l’UE d’être au côté des citoyens tout au long de leur vie.

Qu’est-ce qui est vraiment intelligent pour l’UE ?

Les ressources financières investies par l’UE doivent être mesurées en fonction de l’acceptabilité du public mais aussi en fonction d’une certaine « Responsabilité Sociale Gouvernementale » pour reprendre un concept développé par Simon Anholt.

Autrement dit, les investissements de l’UE dans le « soft power » doivent être utilisés de manière intelligente, c’est-à-dire contribuer à une amélioration du bien commun pour l’ensemble des Européens.

Quelles conséquences pour la communication de l’UE ?

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces orientations :

En termes de positionnement, l’authenticité et la durabilité représentent l’essence d’une communication, qui lorsqu’elle est réussie du coup se place au cœur de la mission et de la vision dans la société. Au-delà de la scène médiatique et des plateformes numériques changeantes, c’est la perception des gens et donc la réputation de l’UE qui restent déterminantes.

En termes de messages, la communication des institutions et politiques européennes doit reposer fermement sur des valeurs qui sont comprises, acceptées et vraies pour toutes les parties prenantes – pas simplement un refrain qui sonne faux et des couplets qui passent à côté de l’essentiel faute de simplicité et de pertinence.

Au total, le détour par le « soft power » peut se révéler très fructueux pour mieux comprendre ce que l’influence des grandes puissances parvient à accomplir non par la force mais par l’intelligence.

A quoi ressemblerait le futur de la communication européenne ?

Les célébrations en demi-teinte du 60ème anniversaire du traité de Rome, ternies par le déclenchement officiel du Brexit, ont malgré tout été une occasion dans la foulée du livre blanc sur l’avenir de l’UE de poser des réflexions sur les perspectives d’avenir de la construction européenne. En matière de communication européenne, vers quoi cet exercice conduit-il ?

Une nouvelle communication régalienne

Les crises sont un peu la spécialité de la construction européenne et comme le dit Jean-Claude Juncker, l’Union européenne subit actuellement une « poly-crise » sans pareil. La communication de crise de l’UE est en revanche moins convaincante quant aux enjeux de la sécurité collective, du terrorisme et de la régulation des flux migratoires.

En somme, à l’avenir, l’Europe régalienne constitue « un nouveau discours politique pour l’UE », selon Thierry Chopin. Selon lui, « l’Europe doit pouvoir porter un discours régalien pour répondre aux attentes des citoyens qui sont parfaitement légitimes et auxquelles il faut répondre ».

« Le thème de l’Europe régalienne permet de déplacer le débat sur la souveraineté. Une Europe régalienne est une Europe qui renforce la souveraineté de la puissance publique, qu’elle s’exerce au niveau national ou européen. »

Une meilleure communication de « public branding »

La communication européenne doit cesser de tenter de « vendre » les institutions européennes, d’utiliser des modalités de communication persuasive pour convaincre les Européens de l’intérêt et des bénéfices des programmes institutionnels de l’UE.

En revanche, l’Europe comme cadre de vie, comme espace commun de droits et de libertés est vécue au quotidien par les Européens comme une réalité tangible et appréciée que l’Union européenne aurait intérêt de défendre et de promouvoir afin de renforcer l’attractivité touristique et la désirabilité de l’Europe dans ses terroirs et territoires.

Communiquer l’Europe via le soft power : la culture, les sciences, les arts, les divertissements et le sport

La bataille de l’opinion ne se mène pas uniquement dans les grands médias à coup de tribunes, de déclarations et de « grandes politiques ». Elle se déroule aussi, surtout ?, à l’échelle des échanges interpersonnels entre les Européens.

Le soutien à l’UE ne peut pas s’imposer de haut en bas. Il doit être le résultat de l’expérience de vie des gens. Faire de l’Europe une partie de la réalité sociale des gens par la culture, les sciences, les arts, les divertissements et le sport représente une option pour développer des espaces d’interaction sociale et d’engagement émotionnel entre les citoyens.

Reneta Shipkova suggère plusieurs actions dans sa « nouvelle approche pour communiquer l’Europe » :

  • Utiliser l’art et la performance pour marquer l’UE ;
  • Développer les identités multiples, comme le permettent Erasmus + ;
  • Initier des manifestations culturelles et / ou sportives plus transnationales où les citoyens se sentiront fiers d’être Européens…

Les 60 prochaines années de la communication européenne, avec un peu d’optimisme et beaucoup d’efforts, s’annoncent passionnantes.

60 ans du Traité de Rome : rétrospectives des inspirations de la communication européenne

L’Union européenne s’apprête à célébrer (disons plutôt commémorer) les 60 ans de la signature du Traité de Rome, le 25 mars. Une occasion pour faire une rétrospective des inspirations symboliques, pragmatiques et structurelles de la communication européenne…

1er âge « œcuménique » de la communication européenne

Lorsque l’Union européenne commence – tardivement – à s’intéresser aux enjeux de la communication, l’approche se veut essentiellement intellectuelle.

La vision œcuménique repose sur l’idée que seul un nouvel espace public européen à construire permettra à chaque citoyen un égal accès à la parole européenne et donc une pleine compréhension (et adhésion) au projet de construction européenne.

Convaincu par cette vision largement idéaliste, l’Union européenne s’attache à poser les bases autour du multilinguisme de ses supports d’information, de l’écoute d’une opinion publique européenne en formation avec les Eurobaromètres dès 1974.

Quoique toujours pertinente à long terme – mais à long terme comme le disais Keynes on est tous morts – ce premier âge s’est essoufflé, trop inconséquent dans ses résultats immédiats.

2e âge « délibératif » de la communication européenne

Le 2e âge de la communication s’appuie sur une autre intention, là encore tout aussi noble : la prise en compte plus directe des publics via l’échanges d’information et la délibération.

D’aucuns ont parlé du « tournant participatif », manifesté à l’occasion du développement de ce l’on appelait les « technologies de l’information et de la communication », autrement dit l’avènement du web interactif et social.

Avec le « moment Wallström », le nouvel impératif catégorique de la communication européenne devient le dialogue avec les citoyens. De nombreuses initiatives, via le plan D, traduiront ces intentions, mais les résultats ne seront pas pleinement exploités et leur déploiement à grande échelle ne tiendront pas leur promesse.

3e âge « instrumental » de la communication européenne

Les approches trop « idéalistes » s’étant montrées trop inefficaces, une démarche plus pragmatique s’installe peu à peu dans les esprits, de plus en plus convaincus qu’il s’agit véritablement de faire le marketing de l’UE – horresco referens – de « vendre l’Europe ».

Dans cette démarche, la place du public est moins généreuse. On assiste plutôt à une instrumentalisation plus assumée du grand public, qui doit « Agir. Réagir. Accomplir » pour reprendre la signature de la dernière campagne du Parlement européen à l’occasion des élections européennes.

La maîtrise des outils et techniques de la communication de masse apparaît comme la solution ultime. C’est l’époque des « spin doctor » et des agences triomphantes, avec Jacques Séguela qui travaille sur le projet-pilote de campagne de communication corporate de la Commission européenne.

Mais l’approche persuasive, publicitaire ne se révèle pas être à la hauteur, à l’ère de la crise des médias de masse et de la perte de confiance des citoyens.

4e âge « compétitif » de la communication européenne

Plongé dans un euroscepticisme largement partagé dans les classes moyennes et même chez les jeunes, la communication européenne se doit d’acter la réalité complexe et adverse qui impose une position de défense.

D’une certaine manière, la communication se doit d’être compétitive, face à ses nombreux adversaires. De même, cette compétition doit se situer à la fois à l’échelle du débat d’idées où l’UE s’est montrée trop souvent aux abonnés absents et sur le terrain, dans la guérilla permanente pour capter l’attention des audiences fragmentées.

Une nouvelle forme de communication européenne se met en place avec notamment du « fact-checking », campagne en France sur les « décodeurs de l’Europe », des coups médiatiques, comme ces rumeurs sur la démission présumée de Jean-Claude Juncker, de l’agenda-framing pour tenter de cadrer les perceptions avec des métaphores, des artifices sémantiques (slogans, accroches : « Big on big things »)…

Reste à savoir ce que nous réserve la communication européenne à l’occasion des 60 ans du Traité de Rome ? A suivre.

La communication européenne croit-elle encore à la démocratie numérique ?

Ne parlons pas du renoncement aux projets fondateurs d’un embryon d’espace public européen, comme l’abandon d’Euranet le réseau de radios ou le rachat d’Euronews par les Américains de NBC, ni même de la tétanie des initiatives face aux GAFA, la léthargie face aux promesses de la démocratie numérique européenne est forte et les innovations sont absentes. Pourquoi ?

Des tensions insolubles de la démocratie participative numérique ?

La démocratie participative numérique a pu soulever de nombreuses attentes que le web, à fortiori à l’échelle européenne, n’est pas parvenu à satisfaire :

La tension entre l’utilité des consultations en ligne à recueillir de très grands nombres d’avis et propositions d’internautes, et leurs limites à produire du consensus à large échelle, dès lors qu’un débat concerne un cercle plus large que celui d’experts. L’incapacité à réintégrer les outputs des initiatives du plan D dans les inputs des politiques publiques européennes ont sonné le glas des bonnes volontés.

La tension entre un mouvement sincère des institutions publiques européennes d’ouvrir la porte à plus de participation grâce au web et un fréquent embarras à rendre compte des avis reçus et les réticences à en tenir compte. L’Initiative citoyenne européenne en est la cruelle démonstration, malgré l’impératif du traité.

La tension entre des institutions publiques attachées à des formes traditionnelles de consultation (la pétition, le recueil de contributions sur un thème donné) et une société civile jamais à court de propositions d’innovations démocratiques. Les mouvements d’opinions, notamment anti-ACTA ont largement démontré leurs capacités de mobilisation en ligne et de contournement des formes institutionnalisées de participation.

Au total, les tensions seraient si vives que la démocratie participative numérique européenne seraient condamnées à rester dans les limbes.

Des enseignements troublants de la démocratie numérique européenne ?

Que nous enseigne les projets de démocratie numérique européenne ?

Certes, de manière surtout théorique d’ailleurs, la participation de la société civile peut améliorer la représentation démocratique. Elle permet d’offrir aux citoyens de meilleurs moyens d’influer sur la politique de l’UE et la possibilité de promouvoir une large participation sans nuire à la capacité de résolution des problèmes de l’Union.

Mais, en pratique, la participation de la société civile peut accroître l’inégalité politique. Comme dans le monde « IRL », certains groupes ont plus de chances d’influencer les politiques publiques que d’autres. La participation de la société civile n’est pas une alternative aux canaux territoriaux et électoraux de représentation – plutôt un complément.

Au total, les réformes participatives de la gouvernance européennes ne sont pas la solution à la crise de légitimité de l’UE, mais peuvent réduire – à leur mesure et selon l’importance qu’on leur donne – l’ampleur et la profondeur de la crise.

Que faut-il en conclure ? Que la démocratie numérique européenne est au point mort, à cause du contexte électoral peu favorable qui traverse le continent et/ou en raison d’une impasse plus politique que technologique.

Quels sont les défis de la prochaine délibération publique autour du livre blanc sur le futur de l’UE ?

Confronté à une culture de méfiance des administrations publiques quant à la qualité de ce que le public peut contribuer au processus d’élaboration des politiques, à des lignes directrices qui ne donnent pas une orientation suffisante sur l’utilisation efficace des techniques d’engagement délibératif et à un manque d’activités intentionnelles des citoyens pour partager les informations et participer, la délibération et l’engagement des citoyens autour du livre blanc sur le futur de l’UE est le sujet du moment pour la communication de l’UE. Quelles sont les défis ?

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Surcharge d’information : réussir à capter l’attention des citoyens

Normalement, lorsqu’une consultation et une délibération sont proposées au public, une plateforme de participation est immédiatement disponible au moment de l’annonce et de la sortie du livre blanc afin que les citoyens disposent de tous les éléments leur permettant de s’engager.

Idéalement la plateforme doit proposer toutes les fonctionnalités qui permettent tout à la fois de faciliter la lecture de l’information et la participation à la délibération, avec des bibliothèques de contenus, des moteurs de recherches, des outils de collecte de données, de participation et de suivi du processus délibératif…

Paradoxalement, aucun élément n’est semble-t-il disponible pour lancer et améliorer le processus délibératif en ligne autour du livre blanc sur l’avenir de l’UE.

Dialogue asynchrone : réussir à activer des conversations avec les citoyens

Non seulement, aucune période spécifique n’est vraiment idéale pour une communication sur l’Europe, même si la date du cinquantenaire du traité de Rome, le 25 mars prochain, s’imposait comme une évidence pour délivrer une annonce sur l’avenir du projet européen.

Mais surtout, la conversation citoyenne sur l’Europe envisagée sur une longue période s’étalant jusqu’au discours sur l’état de l’UE en septembre prochain se situe exactement au pire moment électoral entre les scrutins hollandais, français et allemand, sans même parler du Brexit.

Scepticisme institutionnel : réussir à capter des contributions citoyennes sur l’Europe

Le lien entre l’opinion publique et les décideurs publics a été faible dans la plupart des exercices d’engagement en ligne. C’est d’autant plus vrai pour les institutions qui n’ont pas fait le travail pour construire des outils en ligne pérennes pour une délibération « normalisée » dans le processus administratif.

A l’échelle de la Commission européenne, le crash-test de l’initiative citoyenne européenne a plutôt été un crash qu’un test de la délibération citoyenne en ligne. Les diverses expériences ont traduit des processus médiocres et/ou autour de questions litigieuses.

Représentativité : réussir à toucher au-delà des usual suspects de la bulle bruxelloise

Personne ne prétend qu’une délibération peut garantir un échantillon représentatif en ligne de l’ensemble de la population européenne, et donc une délibération scientifiquement authentique. À l’heure actuelle, la plupart des praticiens en ligne se contentent de considérer les recommandations de leurs groupes constitutifs comme légitimes.

Mais, même à considérer mieux refléter simplement ceux qui s’intéressent aux sujets européens et/ou ceux qui ont la « digital literacy », la délibération citoyenne européenne doit mobiliser des ressources et une énergie importants pour seulement y parvenir.

Au total, nous ne pouvons que partager la crainte formulée dans Le Monde « si les bonnes questions sont posées, les bonnes réponses, elles, risquent de se faire attendre. »