Interview testamentaire de Margot Wallström : quel avenir pour la stratégie de communication de la Commission européenne ?

Alors que la conférence des présidents de groupe politique du Parlement européen décide le 10 septembre d’inscrire à l’ordre du jour de la session plénière du 16 septembre le vote d’investiture du président sortant de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dont le résultat du scrutin à bulletin secret « ne fait guère de doute » selon Jean Quatremer, « Jeu, set et match pour Barroso » ; la vice-présidente sortante chargée des relations interinstitutionnelles et de la stratégie de communication, Margot Wallström, donne une interview testamentaire à Euractiv. Quels sont les principaux succès, échecs et perspectives de la stratégie de communication passée et future de la Commission européenne ?

Principal succès de la stratégie de communication de la Commission européenne : changer la culture et les pratiques permettant de passer auprès des médias et des parlements du statut de bouc émissaire à celui de partenaire

Changer la culture et les pratiques en interne a consisté à « ranger la maison »

Nommée à un poste inédit en 2004, Margot Wallström a réalisé une profonde modernisation et professionnalisation de l’approche des activités d’information et de communication de l’institution :

  • réorganisation stratégique du travail de communication au sein de l’exécutif européen (plan d’action en 2005 / création de la Direction Générale Communication en 2006 / mise en place d’un service du porte-parole, d’un concours…) ;
  • réorganisation des représentations de la Commission dans les États membres : 43 fonctionnaires ont ainsi été envoyés dans 24 États membres (tous les pays de l’UE sauf les pays du Benelux), 50 d’ici 2010.

Changer la culture et les pratiques en externe a consisté à « finaliser des partenariats »

Fort de la déclaration politique signée entre les trois institutions en 2008 – l’avancée la plus importante du mandat de Margot Wallström : il s’agit d’un accord interinstitutionnel qui permettra lors de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne au Parlement européen, au Conseil et à la Commission de se consulter mutuellement et par accord mutuel de convenir de leur coopération – une logique de partenariat se construit :

  • partenariat entre les institutions communautaires pour définir des priorités interinstitutionnelles et annuelles de communication ;
  • partenariat avec les parlements nationaux via l’« Initiative Barroso » lancée en 2006 consistant à instaurer un dialogue sur les propositions de la Commission : « une bonne part du travail de la Commission est ennuyeuse pour les citoyens, mais est de grande valeur pour les parlements nationaux puisque l’œuvre législative européenne a un impact sur leur travail ».

Principal échec de la stratégie de communication de la Commission européenne : ne pas changer le regard et le jugement des citoyens

Peu de changement auprès des citoyens à cause d’un manque en interne de centralisation des budgets communication

Les dépenses de l’UE en matière de communication sont souvent englobées dans des programmes politiques dispersés entre les directions générales de la Commission, explique la secrétaire générale de la Commission, Catherine Day. Ainsi, un bilan des dépenses de communication, sur la base des principales activités menées en 2007, montre que le budget total est de 300 millions d’euros. Mais cela comprend :

  • 88 millions de dépenses administratives liées au bureau européen des publications,
  • 22 millions pour la publication des offres de marchés publics,
  • 18 millions pour le Journal officiel.

Bref, il reste peu au final pour les activités proprement de communication auprès des citoyens.

Peu de changement auprès des citoyens à cause d’un déficit en externe de démocratisation des méthodes de communication

Marquée au cours de son mandat par les résultats négatifs des référendums en France et aux Pays-Bas en 2005, Margot Wallström a exploré plusieurs moyens de renforcer la vie démocratique transnationale : « quelque 40 000 personnes ont participé aux six projets transnationaux du Plan D et on estime que des centaines de milliers ont participé virtuellement via Internet. Néanmoins, ces « consultations citoyennes » sont loin d’être un moyen de travail suffisant.

Principale proposition pour la future stratégie de communication de la Commission européenne : regrouper communication et citoyenneté

Margot Wallström formule une proposition testamentaire particulièrement importante au moment même où les portefeuilles des futurs Commissaires sont en négociation. Elle estime qu’« il faut donner à son portefeuille un travail législatif autonome et des moyens financiers propres » et que « la seule manière d’avancer est de donner au nouveau commissaire le contrôle de la législation sur la citoyenneté, avec les programmes et le budget qui vont avec ».

Corroborant les propositions du rapport de l’eurodéputé français Alain Lamassoure sur la citoyenneté européenne publié en juin 2008, la communication associée à la citoyenneté permettrait de donner au prochain commissaire la plateforme et les possibilités d’engager la société civile et d’impliquer les citoyens, en particulier les jeunes.

Campagne de José Manuel Barroso pour sa nomination à la tête de la prochaine Commission européenne : quelles perspectives pour la communication du Président de la Commission européenne ?

Alors que le président sortant de la Commission européenne José Manuel Barroso a reçu le soutien unanime des chefs d’État et de gouvernement de l’UE en juin dernier pour un second mandat de cinq ans à la tête de la Commission européenne ; il a adressé au Parlement européen ses grandes orientations politiques pour le mandat de la prochaine Commission européenne afin d’obtenir le vote du Parlement pour sa nomination à la tête de la prochaine Commission européenne…

A cette occasion, quelles sont les perspectives pour la communication du Président de la Commission européenne ?

Polarité mythique : la communication du Président de la Commission européenne à l’époque de Jacques Delors

Aujourd’hui, les mandats de Jacques Delors (1985-1995) apparaissent comme un modèle mythique de communication pour un Président de la Commission européenne :

  • communication portée par une autorité supranationale incontestée, héritière intellectuelle des Pères fondateurs de l’Europe ;
  • communication animée par la défense des intérêts communautaires et orientée autour d’un projet d’envergure (le marché unique ou l’euro, dernières grandes réalisations de la construction européenne) ;
  • communication dynamique et convaincue, dotée d’imagination (l’idée de la méthode de la reconnaissance mutuelle), de force (les négociations avec Margaret Thatcher), d’efficacité (cabinet dirigé par Pascal Lamy), de cohérence (collège de Commissaires soudés)…

Polarité technocratique : une communication exacerbant le rôle d’exécution au risque d’être caricaturée

Compte tenu des règles de fonctionnement des médias (le règne du « fast hot news »), le succès de la communication du Président de la Commission européenne repose sur la médiatisation de décisions simples et fortes, issues de la mise en œuvre et du contrôle des politiques communautaires.

Aussi, la Commission pèse, car elle est crainte ; mais s’opposant aux administrations des États membres, elle se voit également caricaturée : toute décision issue de la Commission est considérée comme déconnectée des réalités voire opposée aux citoyens.

Afin d’éviter cette caricature, la communication de José Manuel Barroso, lors de son premier mandat à la tête de la Commission a consisté à s’inféoder aux orientations des chefs d’État et de gouvernement.

Polarité politique : une communication surfant sur le rôle de proposition au risque d’être marginalisée

Compte tenu du déficit de légitimité démocratique de l’UE (abstention électorale massive) et des nouvelles règles institutionnelles (le traité de Lisbonne donne au Parlement européen le pouvoir de nommer le président de la Commission européenne), le succès de la communication du Président de la Commission européenne repose sur la politisation de propositions, d’où ces « Orientations politiques pour la prochaine Commission » envoyées aux eurodéputés.

Aussi, la Commission pèse, car elle politise ; mais intervenant sur le terrain proprement politique, elle se voit également marginalisée : toute proposition issue de la Commission est noyée entre les réactions des eurodéputés et des classes politiques nationales.

Afin d’éviter cette marginalisation, la communication de José Manuel Barroso, lors de sa campagne pour un second mandat à la tête de la Commission consiste à proposer au Parlement européen un partenariat politique entre la Commission et le Parlement au cours des cinq prochaines années.

Entre polarité technocratique, ravalant le Président de la Commission européenne « au rang de Secrétaire Général du Conseil européen », selon Euractiv et polarité politique, risquant d’enfermer le Président de la Commission européenne dans un rôle strictement partisan, le chemin d’une communication équilibrée reste étroit.

Discours du secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes à la conférence annuelle des ambassadeurs : quelle stratégie européenne pour la France ?

À l’occasion de la 17e conférence annuelle des ambassadeurs le 27 août dernier, le nouveau secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, a prononcé un discours « L’Union Européenne face à la crise » précisant la stratégie européenne de la France…

Un constat paradoxal d’un divorce entre sentiment eurosceptique de l’opinion et réalités protectrices des actions

D’une part, et la forte abstention aux dernières élections européennes le souligne, le « malaise européen » reposant sur :

  • dilution de la responsabilité politique ;
  • perte de contrôle du destin national ;
  • incompréhension du fonctionnement des institutions communautaires ;

constitue « le premier défi politique de la mission » du secrétaire d’Etat.

D’autre part, et la lutte contre la crise (économique et écologique) renforce cette volonté, la « machine européenne » continue de « fabriquer de la paix, de la démocratie et de la prospérité ».

Une approche volontariste pour : « reconquérir l’avenir européen »

D’une part, il faut « tourner la page institutionnelle, le plus rapidement possible » :

  • espoir de ratification du traité de Lisbonne par l’Irlande le 2 octobre prochain ;
  • achèvement « exigeant » des élargissements en cours : rapidement pour la Croatie, « sans raccourcis » pour l’Islande et « la Turquie avec l’Europe, mais pas dans l’Europe ».

D’autre part, il faut « définir la place de l’Europe dans la géopolitique » du 21e siècle, « condition de son rôle et de son rayonnement ».

Des « projets concrètes, pertinents pour la vie, la sécurité et la prospérité des citoyens »

« À problème de dimension européenne, il faut répondre dans un cadre européen », notamment pour 3 priorités essentielles :

  • énergie : proposition de créer une centrale européenne d’achat de gaz afin de réduire la dépendance énergétique de l’UE ;
  • immigration : proposition de créer un bureau européen d’appui en matière d’asile ;
  • sécurité : proposition de renforcer l’opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Somalie.

Une méthode politique essentiellement intergouvernementale et associant les parlementaires

D’une part, le secrétaire d’Etat déclare « indispensable de développer les relations bilatérales avec tous les Etats membres » et s’engage à « visiter la quasi totalité des capitales européennes d’ici fin octobre ».

D’autre part, le secrétaire d’Etat souhaite « associer pleinement tous les acteurs », en particulier les parlementaires nationaux et européens ainsi que la Représentation Permanente à Bruxelles et le Secrétariat Général des affaires européennes.

Ainsi, avec ce discours de rentrée, la feuille de route de la stratégie européenne de la France est définie pour les prochains mois.

Lire l’intégralité du discours

Grippe A : mesures coordonnées de santé publique à l’échelle européenne

Le comité de sécurité sanitaire de l’Union européenne et les autorités du système d’alerte précoce et de réaction ont adopté, pour la première fois et à l’unanimité, des mesures de santé publique en réponse à une infection pandémique par le virus de la grippe A. Ces mesures développent une approche européenne coordonnée.

Fermetures d’écoles les plus appropriées pour protéger la santé humaine :

  • pour le moment, aucune fermeture massive d’écoles à titre préventif ;
  • mais préconisation de fermeture locale en cas de diagnostic d’infections.

Manière de concilier la liberté de circulation et la protection de la santé publique pour les voyageurs présentant des symptômes grippaux :

  • pas de restriction des déplacements et des voyages à l’intérieur et au-delà des frontières de l’Union pour les citoyens bien portant ;
  • recommandations pour les individus symptomatiques de reporter les voyages et de rester chez eux.

Selon le communiqué, la commissaire européenne à la santé, Androulla Vassiliou déclare que ces premières mesures coordonnées à l’échelle européenne « illustrent clairement comment l’Europe doit, dans la situation de pandémie actuelle, parvenir à concilier la protection de la santé publique et d’autres intérêts publics fondamentaux ».

Débat sur la stratégie de communication de l’UE : propagande pour l’intégration communautaire ou service public d’information sur l’Europe ?

Au cours de cet été, un think tank suédois, Timbro publie une étude : « Le fardeau de l’Union européenne : informer et communiquer auprès d’un peuple réticent ». Les auteurs soulèvent le problème d’une stratégie de communication visant à promouvoir le succès de l’intégration européenne afin de gagner le soutien populaire à la construction européenne alors même que les citoyens européens ne payent aucune attention à « la révolution démocratique de l’Europe ».

Ainsi, un fossé se creuse entre des citoyens européens souhaitant un véritable service public d’information sur l’Europe et les institutions européennes engagées dans une « propagande » pour l’intégration communautaire.

La Commissaire européenne chargée de la stratégie de communication, la suédoise Margot Wallström, répond sur son blog qu’il convient de nuancer : entre information et propagande, il y a justement la communication, qui repose sur le dialogue entre les citoyens européens et les institutions européennes.

Réquisitoire du think tank Timbro contre la stratégie de communication de l’UE

Le think tank Timbro dans « The European Union’s Burden : Information dans communication to a reluctant people » passe en revue le budget et les actions de communication de l’UE.

D’une part, le budget communication de l’UE est beaucoup plus élevé que le seul budget de la DG Communication de la Commission européenne, s’élevant à 213 million d’euros en 2009 :

  • 124 millions d’euros en 2009 pour le programme « Jeunesse en action » dont les objectifs sont d’« associer activement les jeunes à la société en tant que citoyens, (et de) renforcer leur sentiment d’appartenance à l’Europe » ;
  • 7,5 millions d’euros en 2009 pour le programme d’information sur la monnaie unique de la DG Eco ;
  • 18 millions d’euros en 2009 pour la campagne de communication du Parlement européen pour les élections européennes ;
  • budgets pour des commémorations telles que les 50 ans du traité de Rome en 2007 ou la chute du mur de Berlin en 2009…

D’autre part, les actions de communication de l’UE sont bien plus que de simples campagnes de promotion des réalisations de l’UE, il s’agit d’investissements dans les médias ou la société civile qui visent à influencer ces acteurs et faire passer un message politique pour davantage d’intégration européenne :

  1. Financement de compétitions pour les journalistes traitant des questions européennes et de médias européens comme les réseaux Euronews pour la TV (10,8 millions d’euros en 2009), Euranet pour la radio (6 millions d’euros en 2009), EUTube et EuroparlTV (9 millions d’euros en 2009 pour la webTV du parlement européen) sans compter les Séminaires de formation pour les journalistes (1,8 millions d’euros en 2009)…
  2. Financement de campagnes décrites « de bon samaritain » comme « School Milk Aid » (distribution de lait dans les écoles pour 69 millions d’euros en 2009 soit 305 000 tonnes de lait), « Fruit to School Children » (distribution de fruits frais dans les écoles pour 90 millions d’euros en 2009) ou encore « Help – for a life without tobacco » (campagne anti-tabac auprès des jeunes, 14 millions d’euros en 2007)…
  3. Financement de think tanks créant une « colonisation de la société civile » et formant une opinion globalement favorable à la construction européenne.

Ainsi, la stratégie de communication de l’UE s’oriente vers la création d’une identité européenne au moyen d’un « vaste outil de communication qui se comporte d’une manière qui serait à peine acceptée de la communication publique nationale dans les États membres ».

Plaidoyer de la Commissaire européenne chargée de la stratégie de communication de l’UE

Dans un billet « The silly season », Margot Wallström invite à nuancer :

  1. Le lien entre consultation des citoyens et rejet de l’UE – prouvant le déficit démocratique de l’UE – est loin d’être évident. Depuis 1972, il y a eu pas moins de 35 référenda tenus sur des questions européennes, seulement 9 ont produit des résultats négatifs.
  2. Le lien entre financement d’infrastructures, de services ou d’informations aux médias et influence éditoriale fait fi des règles déontologiques propres aux médias et ne fait pas la différence entre actions de relation presse visant à faire passer un cadrage particulier sur un sujet et actions de promotion visant à faciliter le travail des journalistes sur les questions européennes.
  3. Le lien entre information et propagande – qui seraient les seules possibilités pour la communication européenne – révèle une profonde méconnaissance du métier de communicant de l’Europe, qui repose justement sur le dialogue approfondi sur le souhaitable et le possible avec les citoyens et leurs « corps intermédiaires » qu’ils soient médias, ONG ou Etats.

Ainsi, la responsable de la stratégie de communication de l’UE rappelle que « pour 40 centimes d’euros par personne et par an, la Commission européenne :

  • maintient des représentation dans tous les États membres ;
  • porte des consultations publiques auprès des citoyens ;
  • finance Europe Direct, le service qui répond aux questions des citoyens ;
  • fournit des facilités de studio gratuites pour l’usage des journalistes radio ou TV ;
  • organise des séances quotidienne de questions/réponses pour les journalistes ;
  • offre une couverture des événements publics, une bibliothèque audiovisuelle et des centaines de sites multilingues, notamment interactifs comme Debate Europe ou EUtube ».

Bref, un été particulièrement chaud pour la communication européenne…