Communication européenne anti-tabac : une démarche résolument 2.0 prescriptrice de comportements par la connivence

Parce que toute communication comportementale fait l’objet de résistance au changement par manque de volonté ou d’engagement des cibles, la communication de changement de comportement est souvent accompagnée par la mise en œuvre de nouvelles normes juridiques ou sociales. Autrement dit, le discours de prévention est traditionnellement supporté par des actes de répression afin de faciliter le passage de l’idée à l’acte.

« Help – Pour une vie sans tabac » : une campagne résolument participative transformant les cibles d’une communication comportementale en acteurs d’une prescription d’ego

Lancé le 31 mai dernier, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, cette nouvelle communication anti-tabac, développée dans les 27 États membres de l’Union européenne, sur les thèmes de la prévention, de la cessation et du tabagisme passif, la Commission européenne renverse le schéma persuasion/réglementation avec une approche résolument 2.0 :

  • attirer l’attention du public avec des « messages télévisés utilisant l’humour pour aborder des thèmes sérieux et donnant des conseils drôles et passablement absurdes » ;
  • recueillir astuces et conseils du public susceptibles de fonctionner entre alter-ego avec un site : help-eu.com authentiquement participatif, disponible en version mobile, qui offre par ailleurs une aide réelle et des conseils sérieux.

Ainsi, selon le communiqué, « les jeunes ne sont plus seulement la « cible », ils participent à la stratégie et au développement de la campagne ». En se fondant sur leur propre expérience, la « cible-actrice » peut donner des conseils pour ne pas commencer à fumer, pour arrêter de fumer ou pour ne plus subir le tabagisme passif.

« Helpers – la web-série participative » : une sequel renforçant la connivence avec un registre de communication résolument décalé avec un humour absurde et un graphisme animé

Lancée le 15 octobre dernier, cette web-série : helpers-eu.com de 12 épisodes – mis en ligne tous les 15 du mois, jusqu’en septembre 2010 – totalement en dessin animée se veut « volontairement provocante et audacieuse » :

  • personnification de la campagne avec la mise en scène de « 3 super héros – les Helpers – pour sauver les Helpme – fumeurs et non fumeurs – des méfaits du tabac »
  • séduction avec des messages « usant d’une liberté d’expression et d’un humour qui en font un monde à part, loin des campagnes télévisées classiques et prodiguant conseils et astuces improbables ».
  • participation : la série renforce la stratégie « donne ton astuce », au cœur de la campagne puisque pour chaque « Helpisode » les internautes peuvent voter pour l’astuce que les Helpers utiliseront dans l’épisode suivant et voir en bonus l’épisode dont l’astuce n’a pas été choisie majoritairement par les internautes.

Naturellement, le dispositif est renforcé par : l’utilisation de plateformes communautaires de partage de vidéos (partenariat avec Dailymotion et chaîne dédiée sur Youtube) ou les réseaux sociaux (groupe Facebook) ; la collaboration avec des associations de jeunes pour la conception et le développement de la dimension virale.

Ainsi, la communication européenne anti-tabac renverse les pratiques en matière de prescription de comportements avec une approche par la connivence plutôt que par la contrainte ou la peur…

Blog Action Day 2009 dédié au changement climatique : focus sur la campagne de l’UE « Play to Stop – Europe for Climate »

Aujourd’hui, c’est « Blog Action Day », autrement dit, des blogueurs du monde entier publient un billet dédié à la thématique choisie – qui est cette année – le changement climatique. Ce thème semble particulièrement évident alors que se tiendra à Copenhague en décembre la conférence des Nations unies sur le changement climatique. Comment l’UE communique-t-elle sur le changement climatique ?

« Play to Stop – Europe for Climate » : « Bruxelles s’associe à MTV pour mobiliser les jeunes », selon une dépêche AFP

La Commission européenne et MTV – de nouveau sollicité après la campagne pour les élections européennes « Ohé L’Europe tu m’entends »mobilisent des artistes pour inciter les jeunes à s’impliquer dans la lutte contre le changement climatique.

De juillet à décembre 2009, la campagne « Play to Stop – Europe for Climate » cible 11 États membres de l’UE et comprend 3 concerts : Moby à Stockholm, le 20 août dernier, les Editors à Budapest, le 19 septembre dernier et les Backstreet Boys à Copenhague, le 7 décembre prochain, jour d’ouverture de la conférence des Nations unies sur le changement climatique.

Durant la campagne, les jeunes peuvent échanger leurs idées pour protéger l’environnement, en se connectant au site mtvplay4climate.eu.

Ressorts d’une communication comportementale réussie

Afin de réussir, toute communication comportementale doit viser tout à la fois à :

  • changer les attitudes : autrement dit, changer le jugement des personnes sur leur propre comportement (suis-je une « bonne » ou une « mauvaise » personne ?) ;
  • changer les normes subjectives, autrement dit, changer le jugement social sur les attitudes collectives souhaitables ou condamnables ;
  • changer le contrôle comportemental : autrement dit, changer nos jugements sur nos propres capacités à changer (sommes-nous/suis-je capable de changer ?).

Ainsi, suivant le cours de Denis Pingaud à Sciences Po Paris « La communication de changement de comportement » ce que communiquer pour changer les comportements veut dire c’est orienter les attitudes individuelles dans un sens conforme à un mieux-être collectif.

Changer les comportements suppose donc de mener de vastes campagnes de mobilisation de l’opinion publique afin de :

1. faire connaître les raisons de changer : il faut informer sur les enjeux, les risques liés au changement climatique ;

2. donner un sens au changement, même si changer de regard ne veut pas dire changer d’attitude : il faut motiver sur tous les registres :

  • people = implication de prescripteurs-stars,
  • communautaire = utilisation de techniques web 2.0 de mobilisation et de conversation,
  • politique = mobilisation grass-root pour faire pression sur les leaders politiques et influencer leurs décisions,

3. considérer qu’on a un intérêt à s’y conformer : il faut dramatiser, renforcer l’impression d’urgence, le sentiment de nécessité, l’importance des petits gestes… et favoriser une prise de conscience.

Nomination d’une nouvelle directrice générale à la communication et à la presse au sein du Conseil de l’UE

Véritable « conseil des ministres » des gouvernements de chacun des États membres, le Conseil de l’UE – à ne pas confondre avec le Conseil européen qui réunit les chefs d’État et de gouvernement –exerce une part importante des pouvoirs exécutif et législatif au niveau européen….

Une ambassadrice française à la tête de la stratégie de communication du Conseil de l’UE

Selon Fenêtre sur l’Europe, Christine Roger « va devenir directrice générale en charge de la communication et de la presse au sein du Conseil ».

Son parcours européen :

  • de 1992 à 1995 : conseiller « affaires extérieures » à la Représentation permanente française à Bruxelles ;
  • de 1995 à 1999 : membre du cabinet du président Jacques Santer à la Commission européenne ;
  • de 1999 à 2004 : directeur de cabinet de Michel Barnier, commissaire à la politique régionale ;
  • de 2005 à 2009 : représentante permanente de la France à l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) et au Comité politique et de sécurité (COPS) de l’UE, enceinte où s’élabore la politique de l’Europe dans le monde et notamment les missions, civiles ou militaires de l’Europe de la Défense.

Une mission d’information à renouveler en fonction des innovations du traité de Lisbonne

Première innovation introduite par le traité de Lisbonne : la publicité des débats au Conseil. Cette ouverture au public des délibérations et des votes va dans le sens de la démocratisation de l’UE et permet aux journalistes de mieux informer les citoyens des débats qui ont lieu au sein du Conseil.

Seconde innovation introduite par le traité de Lisbonne : la communautarisation du 2e pilier, à savoir le passage d’une coopération intergouvernementale à une intégration supranationale pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) rassemblant ;

  • les actions étrangères : Force européenne de réaction rapide, Force de gendarmerie, Droits de l’homme, Aide humanitaire ;
  • les actions de sécurité : la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

L’expérience de la nouvelle Directrice Générale à la communication et à la presse sur ces questions sera particulièrement utile.

Ainsi, en vue de l’application du traité de Lisbonne, le Conseil de l’UE vient de se doter d’une nouvelle directrice générale à la communication et à la presse au profil adapté aux évolutions de l’institution.

Pourquoi y a-t-il aucun candidat au poste de Commissaire à la communication ?

Alors que l’incertitude règne sur la Commission européenne, le prochain Conseil Européen, les 29 et 30 octobre, réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement devra décider :

  • faut-il prolonger le mandat de l’actuelle Commission ?
  • faut-il désigner les successeurs de la Commission Barroso 1 ?
  • faut-il travailler sous le traité de Nice ou anticiper l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ?

Malgré ce climat pour le moins flou, se poursuivent, sur la répartition des portefeuilles :

  • réflexions : cf. la « feuille de route détaillée pour la future Commission européenne » du think tank bruxellois Bruegel recommandant « une importante réforme institutionnelle au niveau des Commissaires » ;
  • négociations : cf. l’interview du Secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant au Figaro : « Ce n’est un secret pour personne que la France proposera Michel Barnier comme Commissaire européen. Reste à savoir à quelle fonction. ».

Comment se fait-il alors, que jusqu’à présent, aucun candidat (homme politique ou Etat membre) ne se soit positionné sur le poste de Commissaire à la communication ?

Parce que la mission de la communication européenne est difficile ?

Première explication, les nombreux obstacles :

  • Multilinguisme (23 langues officielles) et domination de l’anglais ;
  • Espace public & politique européen inexistant ;
  • Communication trop technocrate et technique ;
  • Pas assez d’information européenne / mauvais traitement dans les médias de masse, source Un Européen jamais content

Ces constats partagés induisent des partis pris tranchés, comme lors de la conférence « Communiquer l’Europe: Mission Impossible? » :

  • « Communiquer sur l’Europe est “une mission suicide!” (…)“L’Europe du prozac pour tout le monde” => Tous noyés dans des discours soporifiques et inintéressants.” », dixit Willy Hélin, Chef de la Représentation de la Commission européenne en Belgique, ancien Porte-parole de la Commission ;
  • “La Commission doit renoncer à communiquer”(…) “Ils (la Commission) devraient déposer un brevet (en langue de bois) !”, dixit Jean Quatremer, Correspondant à Bruxelles du quotidien français Libération.

Parce que le poste de Commissaire à la communication est inadapté ?

Deuxième explication, le propre jugement de la titulaire actuelle du poste, Margot Wallström, la vice-présidente sortante chargée – à titre inédit depuis 2004 – des relations interinstitutionnelles et de la stratégie de communication : « Il faut donner au portefeuille un travail législatif autonome et des moyens financiers propres », source Euractiv.

Force est de constater, que la politique de communication de l’UE ne repose pas formellement sur une base légale contraignante (ni mention dans le traité de Lisbonne, ni acte juridique ratifié par les institutions communautaires). L’héritage de l’action de Margot Wallström repose sur une déclaration politique commune aux trois institutions (Parlement, Conseil et Commission) et reste donc conditionné par la bonne volonté du futur responsable de la communication de la Commission européenne.

Parce que la légitimité de la communication de la Commission est contestée ?

D’une part, le Parlement européen – véritable bénéficiaire des correctifs inscrits dans les traités pour rééquilibrer les procédures de décision – conteste la légitimité de la communication d’une institution technocratique, dont l’expertise plutôt que le principe démocratique nourrit la légitimité.

D’autre part, les Etats membres – sourcilleux de leur privilège de s’adresser à leurs citoyens sans aucune médiation – contestent la légitimité de la communication d’un embryon de gouvernement européen.

De surcroit, la pratique récente de José Manuel Barroso, ravalant le président de la Commission européenne au rang de Secrétaire général du Conseil européen, risque – en cas de poursuite – de marginaliser toute stratégie de communication.

Au-delà des arguments justifiant l’absence d’émulation politique autour du poste de Commissaire à la communication, se trouve poser la question fondamentale du positionnement de la communication de la Commission européenne, une institution en plein évolution entre un héritage d’administration de mission, chargée d’impulser des politiques publiques européennes et un avenir d’administration de gestion, chargée d’appliquer des décisions politiques prises, de plus en plus, par le Conseil européen et à terme par son futur président…

Faut-il se réjouir ou avoir peur de l’hyper-visibilité de la communication politique européenne ?

Parce que l’indifférence aujourd’hui est la première cause de mortalité, qu’il s’agisse d’un titre de presse déserté par ses lecteurs, d’un homme politique abandonné par ses électeurs… ou à terme du projet européen, frappé par le désintérêt des citoyens, l’hyper-visibilité de la communication politique semble dominer à l’échelle nationale. Cette pratique tente de lutter contre cette indifférence par une accélération des flux d’infos afin de s’inscrire dans le champ de l’attention quotidienne. Que faut-il penser de son émergence à l’échelle européenne ?

Héritée des années Reagan pendant lesquelles Mike Deaver conceptualise la logique : «il faut faire la météo», l’hyper-visibilité de la communication politique vise à rompre avec la situation de proie qui frappe les politiques face à une presse qui « mène la danse » en accélérant le rythme d’exposition des politiques, ces derniers obligeant ainsi la presse à « venir sur leur terrain ».

Transposée à la réalité européenne – rarement traitée par les médias – les politiques tentent de multiplier les occasions de percer dans les médias :

  • Au-delà de la couverture médiatique ponctuelle à l’occasion des réunions pluriannuelles du Conseil européen rassemblant les chefs d’Etat et de gouvernement, la création d’une présidence stable représentant leurs intérêts peut être interprétée comme une volonté d’obtenir une couverture médiatique élargie.
  • Au-delà de la couverture ponctuelle à l’occasion des élections européennes tous les 5 ans, les auditions par les groupes politiques du candidat à la présidence de la Commission européenne ou les petites phrases peuvent être interprétées comme une volonté d’obtenir un traitement régulier, c’est-à-dire équivalent à celui des parlements nationaux et en même temps plus fréquent.

Cette tendance émergente à l’hyper-visibilité de la communication politique – aussi séduisante qu’elle puisse paraître dans la mesure où elle permet de re-politiser des débats et d’éviter ce que justement Luuk van Middelaar dénonce comme « L’Europe (qui) fait bailler » – risque néanmoins de se réaliser au détriment de la communication publique européenne, visant à favoriser la compréhension de la construction européenne. Il convient de veiller à ne pas oublier qu’avant de « polémiquer entre soi », il s’agit d’inviter le plus grand nombre à comprendre les termes du débat.

Le risque sinon, c’est de décrédibiliser toute prise de parole sur l’Europe, au point comme le dit justement un jeune étudiant de Sciences-po Strasbourg cité par Jean Quatermer sur Twitter : « parler d’Europe, c’est (compris comme) vouloir « vendre l’Europe ». ».