Archives mensuelles : juillet 2021

Qu’en est-il des prétentions géopolitique et universaliste du modèle européen ?

Un récent colloque « Europe urgence, Europe espoir » à l’Assemblée nationale offre d’excellents débats sur les prétentions du narratif européen à faire face à des défis tels que la puissance géopolitique ou l’universalisme des valeurs…

L’affirmation géopolitique, un moment de l’unité européenne ?

Face à cette question, c’est Bernard Guetta, député européen, qui se colle à la démonstration. Certes, il faut se réjouir d’un temps heureusement révolu de l’empire de Charles Quint où le soleil ne se couchait jamais ; tous les Européens ressentent une certaine marginalisation de l’Europe. Mais, l’économie européenne reste dans le trio de tête, les normes de l’UE tendent à s’imposer à l’international, l’UE donne le temps en matière de lutte contre le changement climatique et l’UE reste un phare incontournable dans la nuit des dictatures.

L’évolution du monde et les réalités de la scène internationale imposent une importance nouvelle, un besoin d’exister, un changement qualitatif, un moment de l’unité européenne :

  • D’abord, l’accélération de la convergence de nos systèmes économiques, sociaux et fiscaux, en passant s’il le faut à la majorité simple ou qualifiée est « long overdue ».
  • Ensuite, les tabous de politiques communes dans la défense, les technologies et les politiques industrielles sont tombés.
  • Enfin, la signature d’accord de stabilité avec la Russie et de coopération avec l’Afrique devraient permettre de trouver un équilibre et pousser les limites de notre zone d’influence.

La diversité anthropologique, un modèle d’humanisme contemporain ?

Pascal Lamy estime que l’universalisme européen appartient à l’avenir à condition que les Européens s’unissent davantage. L’universalisme, c’est l’identité du modèle européen, une identité que les non-Européens définissent comme l’équilibre entre les soutenabilités économique, sociale, environnementale et politique.

Julie Kristeva, citée par Pascal Lamy : « l’Europe, c’est le seul endroit au monde où l’identité n’est pas un culte, mais une quête ». Ce paradoxe justifie le problème du déficit démocratique de l’Union européenne.

L’alchimie magique dans l’esprit des pères fondateurs de l’Europe de transformer la pierre de l’union économique en or de l’union politique n’a pas marché. Ce n’est pas un déficit de cratos, de pouvoirs ; c’est un déficit de demos, des peuples ; de l’absence de conscience d’une identité. L’Europe des dissemblances construite par tous les objets symboliques des identités nationales prend le pas sur l’Europe des ressemblances. Il faut revenir à la construction mentale, à l’anthropologie politique, aller au-delà des différences pour retrouver de la ressemblance.

Cette approche « par la face Nord » de l’identité européenne, ce n’est pas le privilège d’une propriété intellectuelle du passé, c’est la réponse aux défis du monde contemporain afin de retrouver un modèle d’humanisme européen.

La légitimité des valeurs européennes, un socle pour l’Union européenne ?

Dominique Schnapper critique la conception habermassienne du patriotisme constitutionnel qui dissocie l’appartenance nationale et l’adhésion à l’État de droit, il n’est pas possible de constituer une unité politique sur des principes aussi abstraits. Pascal Lamy complète que c’est un peu le prolongement philosophique de l’ordo-libéralisme dans l’économie. Les États européens sont des sociétés civiles et des communautés spécifiques, pour construire l’union, il faut prendre en compte cette réalité.

Le projet européen, c’est l’aspiration à la paix et à la réconciliation pour résister aux armées étrangères et éviter les guerres civiles. Après la 2e guerre mondiale, l’État de droit démocratique représentatif sort comme le modèle victorieux, sa vocation est aussi universelle que celle des droits de l’homme consacré dans une déclaration en 1948. Le monde entier se revendique d’un projet démocratique (selon des modalités très différentes). Le succès du modèle européen se parachève avec la reconnaissance vraiment universelle en 1989. Trente ans après, la dimension universelle n’est plus guère pensée.

L’Union européenne subie des attaques intérieures : l’intégration problématique sous l’angle de l’État de droit en Pologne et Hongrie ; même dans les pays fondateurs, la démocratie est fragilisée, sur la défensive, la critique démocratique fait légion et contribue à un certain délitement intérieur.

A l’échelle internationale, les démocraties sont sur le recul, directement attaquées par des puissances. L’idée même d’universel est contestée comme un moyen de domination affaiblie même si aucune idée meilleure n’est vraiment disponible.

Le modèle européen ne se diffusera pas par lui-même par sa seule force et sa seule vertu, son destin est lié à la volonté et au courage de le défendre, de promouvoir la dimension universelle dans l’horizon des valeurs de l’État de droit.

Alors, quelles pistes pour le narratif européen aujourd’hui ?

Sur le plan géopolitique, l’Union européenne doit rester exemplaire et assumer la fin de la naïveté, on n’a ni de leçons à recevoir, ni de leçons à donner.

Sur le plan de l’identité, l’Europe ne se construit pas contre, à l’inverse des identités nationales, doit donc faire face aux signes d’affaiblissement du pouvoir représentatif dans des sociétés de plus en plus critiques d’elles-mêmes.

Sur le plan du déficit d’appartenance à l’Europe, les citoyens doivent essayer de comprendre les différences pour essayer de les effacer, nous ne pouvons pas être seulement éduqué dans le culte des différences, mais dans la reconnaissance de nos semblances.

Quelle place pour les parlements nationaux dans la démocratie européenne ?

A l’occasion du colloque « Europe urgence, Europe espoir », le 19 mars dernier à l’Assemblée nationale, la difficile question de l’articulation des travaux entre les Parlements nationaux et les institutions européennes, révèle, selon Pierre Vimont, ambassadeur de France et modérateur des débats une question sous-jacente sur les différences de traditions et cultures politiques entre démocraties parlementaires et démocraties plus présidentielles à emboîter dans la démocratie européenne…

Sabu Hassi, présidente de la commission des affaires européennes du parlement finlandais : « la légitimité d’une décision publique dépend de la place du parlement »

Le système en place au sein des institutions finlandaise est d’inspiration et d’usage très parlementariste :

  • Toute nouvelle proposition de la Commission européenne est soumise au parlement national qui définit sa position.
  • Tout mandat donné par le parlement finlandais contient des positions qui doivent être défendues par le gouvernement dans les institutions européennes.
  • Si le résultat dévie de la position du parlement, le gouvernent est dans l’obligation de se justifier.

Ayant exercée précédemment des responsabilités ministérielles, Sabu Hassi raconte que la commission des affaires européennes, c’est la seule porte devant laquelle les ministres en exercice attendent leur tour.

Les vertus de ce système sont multiples : non seulement il n’y a pas de différence entre les positions du gouvernement et du parlement, mais il n’y a pas de confusion auprès des parties prenantes et surtout beaucoup plus de compréhension pour les citoyens.

Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale : « réinventer les relations entre les parlements nationaux et les institutions européennes »

L’harmonisation du niveau de contrôle des commissions parlementaires nationales aux affaires européennes sur leurs gouvernements ne serait pas une sinécure entre un simple système informatif réglé par circulaire en France et un quasi mandat impératif en Finlande.

Le renforcement du niveau de contrôle des parlements nationaux sur les initiatives de la Commission européenne serait également un progrès avec une procédure d’initiative parlementaire qui déboucherait sur une réponse motivée de la Commission européenne face à un tiers des parlements nationaux ou une proposition d’acte législatif dans l’année face à la mobilisation de la moitié des parlements nationaux. Une sorte d’initiative citoyenne européenne spécialement conçue pour les parlements nationaux.

Tout en prenant compte des traditions politiques parlementaires ou présidentielles, le besoin de prendre des habitudes de dialogue qui ne passent pas uniquement par des mécanismes formels seraient un véritable progrès pour la démocratie européenne.

La souveraineté européenne en débats

Invité par le Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI), le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune a débattu de la signification, alors que l’Union européenne a souvent été décrite comme une construction sans souveraineté, de la souveraineté européenne ?

Un concept fil rouge de la politique française

Présentée comme la capacité à défendre et promouvoir un socle européen composé d’intérêts et de valeurs communes irréductibles aux pays tiers, la souveraineté européenne pourrait se dessiner comme le projet politique européenne qui fasse la synthèse entre l’indépendance, moteur de la politique européenne de la France ; la puissance, comprise comme projection extérieure et l’identité au sens de la protection des intérêts et valeurs communs.

Ramona Coman, présidente de l’Institut européen de l’Université libre de Bruxelles, relève que le « F word » pour ne parler du tabou du fédéralisme est remplacé par le « S word » pour le pas parler de l’autonomie stratégique encore bien difficile, et qui dit peu de la dimension démocratique. Comment institutionnaliser pour légitimer la souveraineté européenne ?

Un concept ouvert sur l’extérieur, fourre-tout

Clément Beaune estime que la souveraineté européenne ouverte pourrait rassembler les Européens qui projettent des réalités différentes en matière de souveraineté entre la puissance à la française et le modèle de soft power.

L’obsession des Européens, c’est l’extérieur dorénavant le projet européen est tourné vers une attente de réponses face aux problématiques extérieures. Dit autrement, tous les sujets problématiques actuellement dans l’Europe sont extérieurs : migration, commerce, climat, numérique ou la santé.

Un concept géopolitique ambiant

Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, Sciences Po – CEVIPOF observe un changement de paradigme qui se déploie dans et hors des institutions européennes autour de la fin du prosélytisme universel sur un modèle de paix perpétuelle pour des débats quotidiens sur la géopolitique, l’indépendance et la souveraineté. Comment passer à une politique de puissance qui surmonte les blocages et les divergences ?

Pour Clément Beaune, il y a les pays géopolitiques et les autres, mais il y a en a plus qu’on ne le croit : les pays baltes sont éminemment géopolitiques face à la pression russe ; Grèce et Chypre au cœur de la Méditerranée font face aux pressions turques ; les ambiguïtés de l’Allemagne évoluent sur la scène internationale, etc. Des projets concrets de souveraineté partagée pourraient permettre de développer ce qui fait le plus défaut les capacités d’anticipation et d’adaptation, comme avec une agence européenne de cybersécurité ; sans mentionné les modèles américains de DARPA ou de BARDA pour la défense et la recherche.

Un concept opérant au principe de l’action publique

Salih Bora, doctorant, Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI) identifie l’émergence sémantique de la souveraineté européenne autour des notions défendues par le ministre de l’Economie Macron tant avec la souveraineté numérique européenne dans le dossier Dailymotion que celui de la souveraineté industrielle européenne avec le dossier Alcatel. Comment opérationnaliser le souveraineté européenne dans les politiques publiques ?

Clément Beaune identifie la genèse la souveraineté européenne dans les suites de l’échec du référendum sur le projet de constitution européenne en 2005 et le discours anti-européen ultra-souverainiste du « Take back control » lors de la campagne du Brexit. La souveraineté européenne doit parvenir à réconcilier vitesse de réaction et différenciation des politiques européenne ainsi que faire le lien entre souveraineté et solidarité.

Au total, le concept de souveraineté européenne est en train de faire bouger les lignes du projet européen, mais tarde à en faire la synthèse dans des projets européen.

Pour un plan de relance culturel de l’Union européenne

En ce moment historique, l’Europe doit exprimer son identité culturelle, le reste du monde le demande, avec un plan de relance en partant de la culture, afin d’arrêter d’être ennuyeux et de sortir des cadres établis, selon Giuliano da Empoli auteur d’une incitation à dessiner les contours d’un possible New Deal culturel de l’Europe pour le Groupe d’études géopolitiques.

Un autoportrait de l’Europe du XXIe siècle

Multiplier les points de vue et les récits, recommencer à appréhender la construction européenne de façon transgressive est la seule manière de tirer les débats européens de leur ennui mortifère et de remettre en question l’hégémonie culturelle des nationaux-populistes.

Une fabrique de mèmes pour l’Europe

Une action plus proactive, qui améliore la compétitivité de l’Union Européenne sur le plan de la bataille des récits, à l’intérieur, par rapport à l’opinion publique du continent, ainsi qu’au niveau international à l’âge des réseaux sociaux et du « Sharp Power ».

Une stratégie de communication, qui permette aux politiques et aux valeurs européennes de devenir visibles et compréhensibles dans de larges milieux.

Une mission de rendre virales les communications qui transforment le langage juridique et bureaucratique des institutions publiques en mèmes — images, slogans, blagues — capables de catalyser l’attention sur les réseaux sociaux et, par ricochet, sur les media traditionnels, via des campagnes de communication qui se basent sur les big data, profilage et ciblage des audiences, avec des messages sur mesure dans la « bubble democracy ».

Un investissement important pour constituer une « Radio Londres » pour l’Europe du XXIe siècle en mettant les instruments les plus avancés de la communication contemporaine au service des valeurs et des objectifs de la construction européenne

Une Histoire pour l’Europe

Certes, nous disposons d’un vrai espace européen de l’enseignement supérieur, mais, la ferveur autour des thèmes européens a complètement disparu. L’époque est révolue où les plus grands historiens se battaient pour être les premiers à rédiger une histoire d’Europe qui ne fusse pas seulement une œuvre académique, mais l’ingrédient d’un projet civilisationnel.

Le filon de « l’éducation européenne » doit être repris, le défi d’écrire une histoire européenne et populaire, un manuel d’histoire commun, qui pose les bases d’une vraie « éducation européenne », reste intact.

Après Erasmus, Odysseus

Erasmus est l’un des rares programmes communautaires capables de produire une vraie transformation culturelle, formant le noyau d’une authentique génération européenne où la citoyenneté européenne dérive de l’expérience. On nait Européens, mais surtout on le devient.

Erasmus+ n’est ni entré dans l’imaginaire collectif des jeunes européens, n’ a ni modifier de manière décisive leur perception des opportunités offertes tout comme la très prometteuse expérience des « European Solidarity Corps ».

Un vrai Service Civil Européen, dédié aux jeunes de 18 à 25 ans, d’une durée de 6 à 12 mois, pour donner à tous les jeunes européens la possibilité d’un engagement direct dans le secteur environnemental, social ou culturel afin de réinventer l’identité européenne.

La Capitale

La capitale de l’Europe accueille un quartier européen un peu en catimini sans grands architectes ou projets iconiques dégageant une forte charge symbolique. Une « Eurotopie », espace de rencontre, de réflexion et de discussion pourrait permettre de réinventer le quartier européen afin de donner une âme à la capitale de l’Europe.

Un réseau d’Europa-cafés

Les zones rurales sont le trou noir de l’Europe, le terrain le plus fertile aux dynamiques socio-économiques qui éloignent de plus en plus les périphéries des centres urbains qui profitent de la mondialisation.

Historiquement, la géographie des vignes historiques en Europe recoupe en grande partie celle des monastères et comme le disait George Steiner, les cafés sont à la base de la culture européenne. Pourquoi ne pas reprendre à l’échelle continentale l’initiative « 1000 cafés pour revitaliser les campagnes » via un réseau d’« Europa cafés » catalyseur culturel afin de réparer les fractures entre les générations et entre les territoires.

Un projet Babel pour la traduction vocale

Un projet de recherche qui, comme celui sur le génome qui a mobilisé des scientifiques du monde entier, viserait à produire dans les cinq ans des outils portables, au format d’une oreillette sans fil, de traduction directe et verbale permettant à deux locuteurs de langues différentes de parler, et d’entendre l’autre, dans sa propre langue, de manière naturelle.

Ce projet Babel aurait un effet politique déterminant pour l’aventure européenne, et les gains de productivité considérables, dans tous les domaines d’activité de la vie de l’Union.

Quid du New Deal culturel de l’Europe ? Au futur, l’Europe ne doit plus sous évaluer le poids des idéaux et des passions vers un changement profond d’une « idée » à un « sentiment ».