Alors que la vie démocratique de l’Union européenne est souvent perçue comme plus complexe en raison du jeu entre les institutions européennes, les classes politiques nationales et les opinions publiques, qu’en est-il sur les réseaux sociaux ? Plongée à partir de l’interview d’un eurobloggeur historique par le Journal of Contemporary European Research : « Social Media and European Democracy: A Conversation with Jon Worth »…
L’univers impitoyablement paradoxal des réseaux sociaux pour l’Europe
Le cadrage dominant utilisé par les médias pour simplifier construit un échiquier politique dominé par une opposition entre Eurosceptiques et pro-Européens ne fonctionne pas dans le monde des médias sociaux où chaque courant s’exprime dans sa propre bulle. Du coup, les repères même imparfaits disparaissent.
Le potentiel de « force for change » attribué initialement aux médias sociaux permettant de faire connecter et débattre des personnes d’horizons différents se révèlent en fait être une vaste cohabitation virtuelle de petites communautés faiblement en interaction, en particulier à cause du développement excessif des algorithmes pour optimiser le temps passé et l’attention.
L’intérêt pédagogique des médias sociaux pour exposer et simplifier des décisions européennes et réduire la barrière de l’accès à des personnes éloignées et des expertises complexes est une évidence très séduisante, sur le plan théorique. La réalité quand même positive est plutôt que les média sociaux ont réduit les barrières à l’entrée pour ceux qui veulent bien faire l’effort de s’informer par eux-mêmes.
La problématique de la confiance accordée à des leaders d’opinion résidant dans leur capacité reconnue de décryptage et de différenciation entre les faits et les opinions s’est aggravée avec les médias sociaux qui nécessitent un fort investissement en temps et en attention pour trouver des sources d’information crédibles et pertinentes parmi la masse du bruit.
L’usage globalement inégal des réseaux sociaux par l’Union européenne
Le regard du vétéran des médias sociaux dans la sphère européenne Jon Worth est sévère mais révélateur :
- Du côté de la communication des institutions européennes, la plupart des prises de parole dégagent un sentiment de mise en scène inadéquate ;
- Du côté des responsables politiques, le manque d’authenticité dans les propos, la faiblesse de l’utilité pour le public et l’absence d’une communication plus visuelle des messages expliquent à leur manque de succès.
La principale inquiétude porte sur l’usage que les populistes – grands professionnels dans l’expertise technique investie dans la maîtrise des médias sociaux – font en bâtissant de faux narratifs pour eux-mêmes qui ne savent même plus faire la différence entre le vrai et le faux mais qui génère une zone grise de commentaria où ils recrutent leurs légions de mécontents futurs votants.
Le sentiment général d’un nouveau fossé européen
Du côté pile, nous assisterons à des réalisations brillantes dont nous n’avons même pas idée pour le moment avec des leaders politiques qui sauront inspirer et réussir à mobiliser des masses d’Européens autour de leurs projets.
Du côté face, nous devrons affronter les efforts combinés des médias sociaux pour nous submerger avec des flux de contenus, avec des bots intelligents parfois malveillants, avec des deep fake qui permettent de créer de fausses images ou vidéos ; sans compter les puissances qui manipulent la désinformation.
En somme, les médias sociaux, c’est un peu l’éternel retour vers le futur où le come back n’est jamais vraiment possible.