Archives mensuelles : juin 2015

L’euroscepticisme est-il une construction médiatique ?

À rebours de la thèse sur la neutralité des médias dans l’expression et la formation des opinions, certains chercheurs explorent le rôle que joueraient les médias, et la télévision en particulier, dans la montée de l’euroscepticisme en Europe. Leurs arguments dans « Shaping the vote? Populism and politics in the media » méritent d’être entendus…

Populisme sur l’Europe et médiatisation : un mariage de convenance ?

Aujourd’hui, l’alliance traditionnelle de raison entre les médias et la politique qui ne peuvent pas se passer l’un de l’autre est profondément recomposé.

Pourquoi ? À la fois en raison de l’explosion du paysage médiatique et des nouvelles contraintes qui s’imposent aux journalistes ; et d’autre part, des transformations de l’expression des mouvements politiques, au-delà des partis politiques classiques, en particulier ceux issus de la société civile.

La course effrénée à l’audience et au clic dans les médias et l’exacerbation corrélative des discours populistes sur l’Europe semblent corrélative, ou plus précisément se nourrit l’une de l’autre dans une sorte de « mariage de convenance ».

Quelles sont les lois de l’attraction entre populisme sur l’Europe et médiatisation ?

L’implacable réalité d’une présence accrue des populismes sur l’Europe dans les médias, en particulier très grand public et/ou de l’audiovisuel repose sur un rejet commun aux journalistes, aux populistes et à une grande partie des citoyens de la complexité de l’Europe.

La première force d’attraction entre l’euroscepticisme et la médiatisation s’appuie sur la facilité de la simplification, de l’approximation, de l’absence d’effort pour comprendre et se forger une opinion éclairée sur l’Europe.

Mais, le mouvement ne s’arrête pas là. Bien au contraire, la recherche de l’émotion, de l’appel aux instincts, aux préjugés – partagées par une partie des médias et de la classe politique – se traduit par une instrumentalisation des émotions, des peurs en vue de rejetter, de dénoncer ce qui n’est pas compris.

Surtout, les médias de l’info en continue et de l’analyse superficielle conduisent à une surexposition des discours simplificateurs et dénonciateurs, répétés en boucle en raison de leur succès auprès d’un public qui renacle au moindre effort en matière d’Europe.

Au total, l’euroscepticisme apparaît comme une construction médiatique qui répond à la fois aux nouvelles contraintes de l’information (instantanéité, superficialité, exclusivité) et à un soi-disant désintérêt des citoyens pour l’Europe, forcément lointaine et compliquée.

Quels sont les enjeux et les moyens de la communication publique européenne en France ?

Retour sur le débat « À la recherche d’une communication publique européenne : enjeux, moyens et nouveaux défis » organisé par les Jeunes Communicants Publics à la Maison de l’Europe le 4 juin dernier…

État des lieux : qui parle au nom de l’Europe en France ?

Au-delà de la communication politique européenne des Commissaires, des eurodéputés et des élus en général, la communication publique européenne est essentiellement portée au travers du partenariat entre les institutions européennes en France (Commission européenne et Parlement européen) et les institutions nationales (Ministère des Affaires étrangères et européennes, Secrétariat Général des Affaires européennes et Service d’information du Gouvernement).

Priorité : communiquer sur l’Europe auprès des jeunes

Jusqu’à présent, le partenariat de communication s’est attaché à communiquer chaque année depuis 2008 sur les principales priorités que représentent les élections européennes ou les fonds européens.

Actuellement, une orientation plus affirmée se dessine autour d’une priorité essentielle : la communication européenne auprès des jeunes, afin de combler le déficit de connaissances sur l’Europe, première étape avant de pouvoir communiquer sur l’actualité de la construction européenne :

  • Les actions sur les années précédentes se sont concentrées pour donner de la visibilité à l’Europe en ligne auprès des jeunes ;
  • Le programme « Back to school » de la Commission européenne est déployé en France afin que des fonctionnaires européens retournent dans leurs écoles pour incarner une Europe moins technocratique ;
  • Le partenariat de communication en France s’interroge pour accueillir le ministère de l’Éducation nationale.

Stratégie : quelle communication publique européenne en France ?

Plusieurs orientations de la communication publique européenne en France se dessinent aujourd’hui :

D’abord, « la communication de l’UE ne joue pas dans la cour des grands » en matière de moyens et de budget.

Ensuite, la communication publique européenne ne doit être confondue ni avec l’éducation pédagogique, quoique cette mission soit de plus en plus essentielle, ni avec la démocratie participative, tout autant indispensable afin d’animer l’espace démocratique.

Enfin, la communication publique européenne doit parvenir à faire la synthèse entre une communication abstraite portant les valeurs et le projet de la construction européenne et une communication concrète sur les bénéfices de l’UE dans la vie quotidienne.

Bilan : quels sont les défis et les leviers de la communication publique européenne en France ?

Des évolutions animent les différents leviers de la communication publique européenne, encore confrontée à des défis considérables :

D’une part, la communication directe de l’Europe auprès des citoyens affine une double approche entre des campagnes « corporate » dans les grands médias, financées par la Commission européenne au détriment de ses Représentations dans les Etats-membres et des partenariats de communication qui par conséquent tentent de se localiser pour mailler les territoires.

D’autre part, la communication indirecte de l’UE se diversifie pour palier la faillite des « médiateurs naturels de l’Europe », entre des relations presse réorganisées à Bruxelles autour de messages plus politiques afin de sortir de la spirale infernale de la présence de l’Europe dans les médias et des actions renouvelées avec les « auto-entrepreneurs de la cause européenne » dans la société civile.

Au total, la communication publique européenne en France, malgré ses handicaps en termes de moyens, est en recomposition pour renouveler et décupler ses capacités à sensibiliser en priorité les jeunes, les médias, la société civile et les territoires.

Quels sont les mondes de la légitimation de l’Europe politique ?

À l’occasion du colloque international « L’Europe dans les médias en ligne » organisé à l’Institut des Sciences de la Communication (CNRS / Paris-Sorbonne) les 26 et 27 mai derniers, une table ronde s’est attachée à décrypter les nouveaux dispositifs et enjeux de la communication par et sur l’Europe…

Les interactions au quotidien entre des acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE

Caroline Ollivier-Yaniv, professeure des universités, Université de Paris Est-Créteil a présenté l’ouvrage collectif « les médiations de l’Europe politique » qui se positionne comme une prise en considération – non pas sur des objets traditionnels de la recherche comme la communication des institutions européennes ou l’espace public européen –des interactions au quotidien entre des acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE.

Plus particulièrement, les différentes contributions s’attachent à différents acteurs qui participent de la légitimation de l’Europe politique :

  • Les institutions dans toute leur diversité et hétérogénéité engagées dans la lutte pour le pouvoir ;
  • Les porte-parole ou les acteurs de l’audiovisuel public européen qui sont deux exemples illustratifs de la production de la parole officielle européenne ;
  • Les publics attendus et « inattendus » lié au tournant délibératif initié par Margot Wallström qui s’est traduit par plusieurs expérimentations, comme par exemple les consultations citoyens ;
  • Les groupes d’acteurs en dehors des institutions qui exercent un contrepoids comme les ONG telles que Finance Watch ;
  • Les acteurs publics « hors les murs » que représentent les collectivités locales à Bruxelles ;
  • Les médias (émissions, programmes, sites) et les journalistes européens.

Une approche en contre point d’observation des transformations du travail politique

L’ouvrage « les médiations de l’Europe politique » (lire l’introduction) se place dans les études européennes comme des travaux en « contre point » qui évitent une approche trop « institutionnalo-centrée » au bénéfice des acteurs de la société civile qui doivent entrer en partie dans le processus décisionnel européen.

Au total, une telle analyse des interactions et des médiations offre un point de vue relationnel et stratégique à l’échelle des femmes et des hommes qui démontre que la communication publique et politique n’est pas balistique, c’est-à-dire visant forcément à produire des effets.

Les mondes de la légitimation de l’Europe politique offrent un lieu d’observation des transformations du travail politique : nouvelles formulations de demandes sociales, « empowerment » des citoyens, nouvelle place du numérique.

La relation des Français à l’Europe 10 ans après le référendum : « c’est compliqué »

À l’occasion du dixième anniversaire de l’échec du référendum sur un projet de Constitution pour l’Europe, l’IFOP publie un sondage sur la relation compliquée des Français à l’Europe 

Un regard contrasté sur les conditions d’appartenance à l’Union Européenne

Encore une bonne majorité des Français juge l’appartenance de la France à l’Union européenne « plutôt une bonne chose », comme d’habitude à fortiori chez les jeunes, les CSP+.

Surtout, les Français adhèrent à certaines avancées de la construction européenne, comme la création d’une armée européenne (71%), l’élection d’un président de l’Europe au suffrage universel direct (60%) ou la création d’un poste de ministre de l’Economie et des Finances européen (59%).

En revanche, les Français sont majoritairement favorables à une remise en cause des accords de Schengen pour restreindre les conditions de circulation et d’installation des citoyens européens sur son territoire.

Une tendance négative après la crise de la dette de la zone Euro

Dorénavant, les Français formulent le souhait majoritaire (62%) de moins d’intégration européenne et de politiques économiques et budgétaires propres à chaque Etat.

Pire au cours de ces cinq dernières années de crise économique et financière, l’Euro, est davantage perçu comme un handicap (47%) que comme un atout (28%), même si les Français ne veulent pas pour autant un retour au Franc.

Retour de flamme sur le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe

Enfin, si c’était à refaire, 10 ans après, l’intention de vote pour le référendum sur le TCE des Français est encore plus claire et nette avec 62% favorable au non, tandis que le non n’avait atteint « que » 55% des suffrages en 2005.

Au total, les Français nouent une relation complexe avec une Europe qui leur échappent et dont ses résultats leur déplaisent.

Quels sont les enjeux démocratiques de la communication européenne ?

À l’occasion du colloque international  « L’Europe dans les médias en ligne » organisé les 26 et 27 mai derniers à l’Institut des Sciences de la Communication à Paris, Romain Badouard, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise a présenté les principaux enseignements de l’étude paneuropéenne de l’Europe dans les médias en ligne…

1. Montée en puissance de nouveaux mouvements de la société civile

De nouvelles formes de mobilisation collective se développent un peu partout en Europe autour de mouvements de la société civile (Podemos, Syriza, etc.). Cette effervescence se caractérise d’une part par une revendication pour plus de démocratie : transparence, responsabilité, et surtout une volonté d’auto-détermination, et d’autre part par une hostilité aux politiques économiques austéritaires de l’UE, se traduisant par un sentiment de dépossession.

2. Aggravation du déficit démocratique européen

Auto-détermination et dépossession sont les deux vecteurs d’un fossé qui s’agrandit entre des citoyens mobilisés en dehors des arènes politiques traditionnelles et les décideurs publics européens.

Trois indicateurs illustrent cette tendance paneuropéenne :

  • Montée des partis eurosceptiques et antieuropéens, représentés actuellement par 140 eurodéputés ;
  • Rejet dans l’opinion publique de l’orientation de la construction européenne, l’UE est de plus en plus perçue de manière négative même si l’attachement des populations demeure encore ;
  • Abstention électorale aux européennes en hausse constante, la barre symbolique des 50% est allègrement franchie à chaque scrutin depuis 1999.

3. Une crise de confiance qui est aussi une crise de communication

La communication auprès des citoyens ne fait partie de l’ADN de la construction européenne, puisque l’adhésion des citoyens au projet, forcément acquise, ne comptait pas à l’origine.

La mise en place du marché unique et de l’euro a révélé le besoin tardif d’un soutien des citoyens qui s’est traduit par une réforme de la gouvernance de l’UE.

4. Une approche expérimentale et participative de la communication politique et publique

Afin de créer de l’adhésion et d’associer les citoyens aux décisions, une approche participative des politiques publiques à l’échelle de l’UE est mise en œuvre.

Les institutions européennes se lancent également dans une communication politique fondée sur des expérimentations, en particulier dans le numérique, depuis maintenant 20 ans.

5. Le rôle des médias dans la progression de l’euroscepticisme

Dans les médias nationaux et/ou généralistes, le désintérêt pour les affaires européennes n’est malheureusement plus à prouver.

De nouvelles dynamiques émergent, comme par exemple de nouveaux médias européens comme Politico Europe, Euronews, Contexte, MyEurop ou Café Babel ou de nouvelles collaborations européennes, comme les accords LENA entre des grands titres de la presse ou des collaborations ponctuelles autour des LuxLeaks.

L’enjeu de la prise de parole sur l’Europe dans les médias est également clé lorsque l’on sait que 80% de ceux qui s’expriment à la télévision appartiennent aux élites (politiques, experts et fonctionnaires) tandis que la société civile ne peut pas faire entendre sa voix, à part sur les questions environnementales ou sociales.

6. Le nouveau contexte démocratique dans les Etats-membres de l’UE

Au total, l’étude de l’Europe dans les médias en ligne trace de nouvelles perspectives reposant sur une demande de plus de respect et d’égalité des prises de parole dans le débat public et sur une attente d’une meilleure prise en compte des différents points de vue dans la décision publique.

En définitive, respect des prises de parole de la société civile et prise en compte des particularités dans la décision constituent aujourd’hui les deux enjeux démocratiques majeurs de la communication européenne.