A quelques jours du vote, le bilan de la couverture de la campagne dans les médias est calamiteux. Non seulement la méconnaissance quasi générale des instances politiques de l’UE dans les rédactions a éclaté au grand jour, les journalistes ne tentant même plus de faire semblant ; mais surtout l’indifférence pour l’Europe, qui pourtant ne revient dans la chronique des médias qu’au rythme des élections tous les 5 ans semble dorénavant la norme jusque dans le service public de l’audiovisuel.
Il est plus que temps de passer à un « renouvellement des mises en scène télévisuelles de la politique » européenne, pour reprendre le titre du n°24 de la revue Questions de communication…
La pauvreté des dispositifs médiatiques de l’information politique européenne : l’interview journalistique ou le débat entre candidats
Selon les travaux de Jean Mouchon dans « La France et la construction médiatique de l’Europe : entre déficit démocratique et déficit informationnel », le traitement de l’information politique européenne, en particulier dans les médias audiovisuels, se caractérise par la pauvreté des dispositifs, en dépit de l’innovation des débats entre les « grands » candidats des partis politiques européens.
En effet, les formes de couverture de la campagne électorale dans les médias audiovisuels se révèlent très limitées en raison du double mouvement de désaffection générale par rapport au politique et de désintérêt particulier pour l’Europe.
Premier modèle « impositif » avec l’émission basée sur le questionnement journalistique
Pas loin d’être considéré comme le degré zéro de la construction médiatique d’un sujet, l’interview « met en scène le politique et un journaliste vedette qui fait figure d’animateur » et surtout « met délibérément le public à l’écart, réduit à une présence passive ».
Pour Jean Mouchon, « le cocktail composé de l’exclusion d’une catégorie importante d’acteurs sociaux et de l’offre d’un spectacle simpliste et édifiant donne la mesure du dépérissement ».
Face à un sujet à enjeux et compte tenu des moyens dont disposent les médias pour dynamiser l’antenne et intéresser le public, le questionnement journalistique ne devrait pas être la règle mais l’exception dans le traitement médiatique de l’Europe.
Deuxième modèle « interactif » avec le débat télévisé démocratique
De manière très intéressante, Jean Mouchon reconnaît que le débat télévisé démocratique assurant « la présence direct de l’homme politique face à des interlocuteurs inconnus » est « plus égalitaire » mais « peu développé », « la construction européenne n’accédant qu’occasionnellement à ce degré de visibilité dans l’espace public ».
Or, justement, l’innovation principale de la campagne 2014, ce sont les grands débats télévisés entre les candidats des partis politiques européens pour le poste de président de la Commission européenne.
Pour autant, Jean Mouchon prévoyait que ces débats télévisés démocratiques « ne jouent pas comme « produit d’appel » pour les programmateurs ». Le refus de France Télévisions de retransmettre les débats prévus ou d’organiser son propre débat participe de ce constat.
Ce format exigeant une maîtrise suffisante des codes européens par le public ne peut pas parvenir à assurer un traitement grand public de l’Europe dans les médias.
La nouveauté des dispositifs médiatiques de l’information européenne : la parole ordinaire, le vécu et l’expérience
Face à la parole politique ou experte sur l’Europe – deux voies sans issue pour toucher le grand public – d’autres formats, sans pour autant sombrer dans les talk show et les reality show, permettent au public de devenir acteur direct dans une nouvelle forme de « télévision de proximité », qui privilégie la parole ordinaire et le partage des expériences quotidiennes.
Troisième modèle de l’agora citoyenne ou du forum de studio
Pourtant, il ne s’agit pas de mettre en scène des gens ordinaires sélectionnés dans un dialogue entre des membres d’un panel populaire et un politique, « l’expression chaotique de leur conviction se transformant en spectacle émouvant répondant ainsi à l’esthétique ambiguë de la télévision ».
Il faut plutôt favoriser des échanges sur l’Europe entre des citoyens ordinaires. Si le public ordinaire et profane occupe le devant de la scène, alors un droit d’expression réel sur des thèmes de fond doit leur être permis : focalisation sur le récit d’expériences et sur le vécu sensible quotidien.
Au total, la construction médiatique des élections de 2014 correspond à une forme de degré zéro de l’information et du débat public attendus en période électorale. Le pourcentage très élevé d’électeurs abstentionnistes résonne comme une sanction du non travail des journalistes et des hommes politiques.