Archives mensuelles : novembre 2012

Communication européenne : tout a-t-il été vraiment tenté ?

Nonobstant les barrières endémiques liées à la juxtaposition de langues et d’espaces publics nationaux et le contexte de crise, le diagnostic sur la communication de l’Union européenne est unanimement moribond. Pourtant, en tenant compte de ces contraintes, tout a-t-il été vraiment tenté ?

Les rares achats publicitaires de l’UE sont-ils assez concentrés sur les messages essentiels de l’UE ?

Les campagnes de publicité de l’UE sont relativement exceptionnelles, compte tenu du coût prohibitif d’un achat d’espaces publicitaires à l’échelle d’un continent dans un environnement médiatique éclaté et très largement capitalistique – les médias publics étant eux-mêmes légitimement inaccessibles pour des raisons de déontologie.

Pour autant, lorsque l’UE recoure à de l’achat ciblé d’espaces publicitaires, la démarche est saluée pour son efficacité, comme le prouve le prix EFFIE 2012 remis en matière d’innovation de la publicité dans la presse magazine pour la campagne anti-tabac.

Néanmoins, ne faudrait-il pas réserver les rares occasions où l’UE est un annonceur pour porter les messages essentiels sur la plus value et l’intérêt de la construction européenne pour les citoyens ?

Les quelques supports hors media et web de l’UE sont-ils assez ajustés aux objectifs de l’UE ?

Les campagnes de communication de l’UE se traduisant par la production de supports permettant d’assurer à la fois une présence en ligne et hors médias (event et print) sont plutôt la « norme », notamment parce qu’elles offrent une maîtrise totale des messages et un déploiement moins onéreux que la publicité.

Outre le défaut principal de ces démarches qui est de se limiter le plus souvent à ne toucher que les publics déjà acquis de l’UE, sans parvenir à atteindre les cibles potentielles et à fortiori le grand public, ces « points de contact » ponctuels et sectorisés brouille ce que l’UE souhaiterait transmettre en priorité.

Faute d’atteindre les objectifs, ne faudrait-il pas mieux organiser ces multiples actions de communication afin d’une part qu’elles soient davantage destinées (dès la conception et jusqu’à la réalisation) aux multiplicateurs d’opinion qui sont d’abord sensibles à la qualité de l’information ; et d’autre part, que ces diverses prises de parole soient davantage orchestrées dans un plan global intelligible ?

Les multiples voix de l’UE dans le web social sont-elles assez adaptées aux publics de l’UE ?

L’activité des institutions de l’UE est importante dans les médias sociaux en particulier à travers le bruit permanent sur Twitter et Facebook.

A défaut d’une conversion générale au meilleur de la « culture du web » faite de transparence (opendata) et de dialogue constructif (opengov), les acteurs des institutions européennes semblent être davantage embarquée dans une conversation le plus souvent réduite aux « insiders » de la sphère bruxelloise.

Ne faudrait-il pas mieux comprendre et répondre à ce que les usagers de ces réseaux sociaux, pour la plupart des professionnels ou des amateurs très avertis de la chose européenne – journalistes, bloggeurs, chercheurs, lobbyistes… – recherchent en matière d’information européenne (demandes de mise en contexte/perspective et de relations de travail) ?

Ainsi, des opportunités d’améliorer la communication de l’UE, à périmètre constant, existent.

Quel bilan pour le registre de transparence de l’UE ?

Lancé le 1er juillet 2011, le registre de transparence commun à la Commission et au Parlement européen publie son rapport annuel : chiffres clés, qualité des informations, résultats de la consultations, évolutions… que faut-il retenir ?

Bilan chiffré : près de 5 500 inscrits, 50% de lobbyistes – représentants d’intérêts privés soit une estimation de 27 000 représentants d’intérêts

Au 22 octobre 2012, le registre de transparence compte 5 431 organisations enregistrées :

  • près de la moitié (48 %) dans la catégorie des « Représentants et groupements professionnels », les lobbyistes ;
  • l’autre moitié est composée d’ONG, de think-tank et de représentations publiques, notamment les institutions locales.

La Commission évalue ainsi que « plus de 27 000 représentants d’intérêts » sont inscrits sur le registre de transparence. Une nouvelle estimation à la hausse de l’importance du lobbyisme à Bruxelles.

Par ailleurs, le site web du registre de transparence reçoit une moyenne de 7 000 visiteurs uniques chaque mois.

Qualité mesurée : 60% des contrôles aléatoires de qualité sont problématiques, mais une seule radiation

Depuis mars 2012, plus de 400 contrôles de qualité, soit 15 par semaine ont été effectués. En moyenne, 60% des contrôles aléatoires constatent des données « problématiques », c’est-à-dire incomplètes ou inexistantes.

Pour autant, seul 5 plaintes ont été traitées et seul un cas a débouché sur une radiation du registre.

Vers un « pacte de transparence » ? Enjeux du registre : le caractère obligatoire et les avantages pour les inscrits

Dans le communiqué, Rainer Wieland, vice-président du Parlement européen « invite tous les acteurs engagés dans la représentation d’intérêts au niveau de l’UE à signer ce “pacte de transparence” ». Que faudrait-il entendre par cette notion de pacte ?

Tirant le bilan de la consultation publique menée pendant l’été 2012 (5% des inscrits y ont participé), le rapport demande à ce que des aspects concrets soient pris en compte dans l’examen de l’année prochaine :

1. Le caractère volontaire ou obligatoire de l’enregistrement : réclamé par les ONG pour véritablement assurer la transparence – quoique la Commission considère que la pression sur l’image soit une coercition non virtuelle – le caractère contraignant risque de ne pas avancer faute de texte européen. D’ailleurs, le rapport note qu’« aucun participant à la consultation publique ne fournit d’indication sur la signification juridique réelle d’un « registre obligatoire » ».

2. Les avantages pour les inscrits : souhaitée par une majorité écrasante des inscrits, la façon d’accroître les avantages pour ceux qui sont inscrits par rapport aux non-inscrits semble également timidement pris en compte par le rapport qui préconise vaguement « une utilisation active du système par le personnel et les membres des deux institutions en leur fournissant des orientations sur le registre et des mesures de sensibilisation à l’utilisation du registre auprès d’autres instances, organes et agences de l’UE ».

Au total, le 1er rapport sur le registre de transparence est instructif tant par ses données chiffrées (évaluation globale des lobbyistes et qualité moyenne de l’information) que par ses enjeux (caractère hypothétiquement obligatoire et avantages très immatériels  pour les inscrits).

Vers une mutualisation renforcée dans la communication de l’UE ?

Alors que l’agenda prioritaire de la communication européenne auprès des citoyens est balisé entre l’Année européenne des citoyens en 2013 et les élections européennes en 2014, allons-nous assister à des mutualisations inédites attendues depuis longtemps ?

Vers une campagne de communication commune aux institutions européennes ?

A ce jour, les institutions européennes partagent des priorités de communication chaque année, mais faut de mie en commun de budget ou d’équipe, il ne s’agit que d’un accord de principe.

Les 2 thèmes de l’Année européenne des citoyens et des élections européennes représentent des occasions inespérées pour des actions de communication profondément mutualisées entre les institutions européennes, de la conception à la réalisation.

Le principe n’en est pour autant pas acquis. Seul le Conseil semble, selon la voix de son dircom Reijo Kemppinen, proposer une programmation commune aux institutions en matière de budget de communication.

Vers une communication décentralisée commune à la Commission et au Parlement européen ?

A ce jour, la Commission européenne disposent de Représentations dans les États-membres tandis que le Parlement européen entretient un réseau de Bureau d’information.

Là encore, les 2 enjeux de l’Année européenne des citoyens et des élections européennes constituent des leviers de transformation pour une communication décentralisée véritablement partagée.

Au-delà des « Espaces publics européens » (autrefois appelés « Maisons de l’Europe » qui visent à rassembler ces 2 réseaux dans un même lieu et à coordonner leurs activités, une communication conjointe pourrait être envisagée. Dans ce cadre, une agence de communication recrute actuellement à titre exploratoire, des potentiels « social media & community managers » qui seraient communs aux Représentations et aux Bureaux.

Ainsi, des initiatives pour accomplir une mutualisation des moyens – au niveau des ressources budgétaires (campagne commune) ou humaines (social media & community manager) – semblent timidement se dessiner.

Professionnalisation de la communication européenne : qui communique sur l’Europe ?

Lors d’une conférence le 19 novembre 2012 au Bureau d’information du Parlement européen à Paris, les étudiants en communication de la Sorbonne et de l’Université Paris-Est Créteil ont souhaité réfléchir à la « professionnalisation » de la communication européenne. Y a-t-il création d’une identité commune et/ou d’un cadre de référence commun aux acteurs européens qui communiquent sur et pour l’Europe ?

Les communicants européens : quelles trajectoires professionnelles au sein des institutions européennes ?

L’UE est l’une des rares institutions publiques a organisé, depuis 2007 – dans le prolongement de la création de la DG COMM au sein de la Commission européenne – des recrutements sur concours spécifiquement dédiés aux spécialistes de la communication.

Au-delà de l’observation des profils académiques et professionnels (formations, diplômes, background professionnels), assiste-on à la construction éventuelle d’une identité professionnelle des communicants institutionnels européens, voire à l’émergence d’une conscience commune, d’un sentiment d’appartenance à un métier spécifique au niveau européen ?

Tom De Smedt, Administrateur à la Direction communication, presse et évènements et au Secrétariat général du Comité des régions propose une analyse SWOT des communicants européens :

  • Atouts : nombre, mobilité professionnelle, profil, culture bruxelloise et bureaucratie formalisée ;
  • Faiblesses : position hiérarchique de la communication, mentalité en “silo” (entre et dans les institutions), manque de “leadership” de la communication et d’une stratégie commune, politique de recrutement et de carrière, manque d’innovation et d’interaction externe, externalisation de la communication, peu de résultats visibles à court terme et manque d’une mémoire commune ;
  • Opportunités : priorités interinstitutionnelles, réseaux formels et informels, professionnalisation de la communication publique, volontarisme des communicants, avec des projets “bottom-up” et la crise de l’UE ;
  • Menaces : économies budgétaires et personnelles, opinion publique contre l’« eurocratie », évolution intergouvernementale de l’UE, élections européennes en 2014: politisation de la communication.

Au total, bien plus que de partager des profils communs, les communicants européens ont besoin d’un cadre commun et d’échanger leur expertise.

Les professionnels de la communication sur l’Europe : quelle autonomie ?

Au-delà des fonctionnaires européens, d’autres professionnels communiquent au quiotidien sur l’Europe :

  • Matthieu Collet, Président fondateur d’Euroagency évoque l’émergence d’un champ de professionnels indépendants et spécialistes du sujet, notamment dans des agences spécialisées ;
  • Bertrand Millet, Responsable communication Europe à la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) de Paris intervient sur l’organisation des pratiques des communicants au sein des structures nationales et sur leur autonomie vis-à-vis de Bruxelles à partir de l’exemple de la communication sur les fonds européens ;
  • Pascale Joannin, Directrice générale de la Fondation Robert Schuman traite des enjeux de militantisme et de neutralité en s’interrogeant pour savoir si la communication européenne doit être dépolitisée pour être efficace ? Du communicant militant « européiste » historique au communicant technicien « neutre » ?

Au total, la professionnalisation progressive de la communication européenne semble également passer par la constitution d’un corps divers d’experts au sein des institutions européennes et autour.

Comment les Eurobaromètres légitiment de nouvelles politiques publiques européennes ?

Dans une étude « L’Union européenne et ses citoyens : je t’aime, moi non plus ? », Salvatore Signorelli, un ancien acteur de l’analyse de l’opinion à la Commission européenne estime que « la parole du public analysée dans les sondages d’opinion n’est pas un simple instrument d’information, mais une source de légitimité »…

Une augmentation constante des Eurobaromètres Spéciaux, reflet d’une augmentation des compétences européennes

Pour Salvatore Signorelli, « parcourir les enquêtes Eurobaromètres Spécial ressemble à un passage en revue des politiques menées par l’UE ».

Les sujets sont des plus divers : on retrouve des enquêtes sur l’environnement, l’énergie, le cancer, le sida, la pauvreté, l’exclusion sociale, la famille, l’emploi, l’égalité homme/femme, la sécurité sociale, la recherche scientifique, les technologies de l’information, les OGM, l’euro, les services financiers, les langues, les jeunes, la mondialisation, le tourisme sexuel, Internet, le sport…

Autant de sujets que l’UE s’est peu à peu saisie au fur et à mesure de l’expansion des politiques publiques européennes.

En termes quantitatifs, les chiffres de l’explosion des Eurobaromètres sont impressionnants :

  • Entre 1970, date du premier EB Flash (« Les Européens et l’unification de l’Europe ») et 1984, 23 enquêtes soit 1,9 en moyenne par an ;
  • Entre 1985 et 1996, 98 enquêtes soit 8,1 en moyenne par an ;
  • Entre 1997 et 2009, 187 enquêtes soit 15,5 en moyenne par an ;
  • Depuis 2010, la moyenne annuelle est passée à 24 EB Spécial par an.

Ainsi, le nombre d’Eurobaromètres Spéciaux a donc été multiplié par 12 entre les années 1970 et les années 2010.

Une utilisation des Eurobaromètres Spéciaux par les DG de la Commission inversement proportionnelle aux compétences de l’UE

Paradoxalement, l’utilisation des Eurobaromètres Spéciaux par les Directions générales de la Commission européenne semble inversement proportionnelle aux compétences de l’UE :

Pour ce qui concerne les « compétences exclusives » de l’UE qui dispose seule peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants (union douanière, concurrence, politique monétaire, politique commerciale, pêche), les DG correspondantes sont soit des « non usagers (DG Concurrence), soit des « usagers occasionnels » (DG marché intérieur, DG Commerce, DG Agriculture…).

Pour ce qui concerne en revanche les « compétences de coordination » de l’UE, qui dispose de la faculté de « mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres » (Politique industrielle, Politique culturelle, Politique touristique, Politique d’éducation, de formation et de la jeunesse), les DG correspondantes sont des « usagers réguliers » (DG Education, jeunes et culture), voire des « usagers enthousiastes » (DG Emploi, affaires sociales et inclusion, DG santé et consommateurs).

Autrement dit, on assiste à une inversion problématique entre les usagers qui légitimement devraient être les usagers les plus actifs au vu de leur compétence européenne exclusives et les usagers les moins actifs au vu de leurs compétences de coordination.

Ainsi, la Commission européenne tend à faire une utilisation « politique » des Eurobaromètres Spéciaux afin de légitimer de nouvelles politiques publiques européennes.