Alors que l’avènement du web social – environ un tiers des citoyens de l’UE utilisent des sites de réseaux sociaux selon un Eurobaromètre publié en octobre 2010 – entraîne de profondes recompositions dans les usages et pratiques politiques des citoyens sur le web – au point de parler d’« égocratie » ; plusieurs initiatives récentes en communication européenne révèlent des « liaisons numériques dangeureuses »…
L’égocratie, ce pouvoir d’individus anonymes non élus et non-candidats qui peuvent transformer leur opinion personnelle en opinion publique par la médiation du web social
Étudié par Alban Martin dans un ouvrage qui vient de paraître « Égocratie et démocratie, la nécessité de nouvelles technologies politiques », « l’égocratie consiste en l’influence par une minorité sur les termes à propos desquels tous les citoyens seront amenés à se prononcer » :
- D’un simple avis « citoyen » sur un sujet d’actualité ou en cours de débat, l’égocrate peut aboutir, via la viralité de son message sur les médias sociaux, à transformer son opinion personnelle en opinion publique en attirant l’attention des médias sur le sujet et en contribuant à le légitimer et à le transformer en opinion « réellement » publique.
- La porosité entre l’espace public traditionnel et l’espace public numérique place alors directement les égocrates en position de représentant de l’opinion publique, capable d’influencer les représentants politiques.
Le nouveau pouvoir égocrate peut exercer son influence par :
- « un blog avec des écrits résonnant sur la toile pour arriver aux oreilles des journalistes spécialisés, puis des médias généralistes et enfin des hommes politiques » ;
- « un lobby organisé par plusieurs individus directement auprès d’élus via les outils numériques » ;
- « une enquête à charge à partir d’informations publiques méthodiquement analysées et distillées de manière subtile dans l’espace public numérique ».
Détournement démagogique de l’égocratie par la communication européenne : le citoyen européen peut interpeller directement – sans la médiation du web social – les représentants de l’Europe
Alors que la figure de l’égocrate repose sur la capacité à produire des idées vraiment pertinentes pour faire l’objet d’une diffusion virale sur les médias sociaux en vue d’exercer une influence sur les institutions ou les politiques, deux initiatives récentes en communication européenne expurgent la validation des idées par le web social pour ne conserver que l’« interpellation » des représentants :
- Tweet Your MEP : tweetyourmep.eu, sans aucune transformation de l’opinion personnelle en opinion publique par des processus de validation des communautés (notes, votes…), le site propose à chaque citoyen d’interpeller directement les eurodéputés sommés de répondre sans connaître les qualités de la question et de leur auteur (popularité, pertinence …).
- Yoosk – EU in the UK : yoosk.com/euintheuk sans aucun élément d’information, le site réalisé pour la Représentation de la Commission européenne à Londres propose à chaque citoyen de poser ses questions et de noter les réponses qui y sont apportées.
Ainsi, alors que le web social pourrait permettre à des égocrates de créer véritablement de nouvelles idées sur l’Europe qui pourraient influencer les décideurs, les initiatives récentes en communication européenne se détournent de la capacité du web social à pleinement créer des opinions publiques à partir d’expressions personnelles validées par les communautés.