Twitter peut-il contribuer à la révolution de l’espace public européen ?

Alors que le Centre d’information sur l’Europe – Touteleurope lance « Tweet your MEP » (tweete ton eurodéputé), qui « entend constituer un espace d’échanges entre les citoyens européens et leurs euro-députés », selon Euractiv ; Twitter peut-il contribuer à la révolution d’un espace public européen, aujourd’hui introuvable ?

Certes, Twitter semble une opportunité irrésistible, pour créer du lien social

D’une part, la popularité phénoménale de Twitter ne se dément pas au vue des chiffres faramineux à l’échelle mondiale :

  • 145 millions d’inscrits selon le chiffre officiel de septembre 2010 quoique ce soit encore 3,5 fois moins que les 500 millions de membres de Facebook ;
  • 90 millions de « tweets » lâchés chaque jour.

D’autre part, la fonctionnalité principale de Twitter reste la relation près de six fois plus importante que l’information :

  • 57% des contenus échangés relève de la fonction sociale (30% de récits de vie personnelle et 27% conversations privées) ;
  • 10% de liens – seulement – vers des articles d’actualité ou des blogs, selon FrenchWeb : « Twitter : chiffres 2010 et usages à la loupe ».

Mais, Twitter demeure une communauté réduite, éloignée de tout activisme politique

D’une part, les utilisateurs actifs sont ultra minoritaires puisque selon FrenchWeb « les trois-quarts des échanges produits sont le fait de 5% seulement des utilisateurs » :

  • utilisateurs faibles : la grande majorité (21% n’ont jamais twitté et plus de 85 % postent moins d’un message par jour) ;
  • utilisateurs intensifs : l’exception (10% des utilisateurs produisent 90% des messages et 5% des utilisateurs produisent 75% des messages).

Selon une enquête menée par Harvard Business School en mai 2009 auprès de 300 000 utilisateurs de Twitter :

  • 90% des tweets émis le sont par 10% des utilisateurs de Twitter ;
  • l’utilisateur « moyen » de Twitter poste un tweet… et c’est tout et un utilisateur sur deux twitte seulement tous les 3 mois.

D’autre part, l’activisme politique n’est nullement favorisé par Twitter selon l’article « Small change, why the revolution will not be tweeted » publié dans le New Yorker le 4 septembre dernier et cité par Eric Mainville :

  • « les réseaux sociaux ne créent que des liens faibles, propres à faciliter l’échange d’informations mais pas suffisants pour pousser les gens à l’action », or l’activisme politique nécessite des liens forts entre les personnes pour les pousser à agir ;
  • « la structure des réseaux sociaux est sans aucune hiérarchie », or, la hiérarchie est nécessaire à l’action militante, notamment pour permettre aux personnes de se partager les tâches.

Ainsi, Twitter ne semble pas porter pour le moment ses promesses de « réseau de communication peer-to-peer », à fortiori dans le champ politique.

Une conclusion temporaire que Jacqueline Anderson, auteur d’une étude récente citée par le blog « Étreintes digitales » du Figaro dans « Réseaux sociaux : les internautes restent passifs » confirme : « la faible croissance des créations sociales se traduit par un manque d’idées fraiches, de contenu et de perspective. Les spécificités requises pour créer du contenu social sont uniques et, pour l’instant, le nombre de consommateurs intéressés par ces comportements a atteint un palier. »

5 réflexions sur « Twitter peut-il contribuer à la révolution de l’espace public européen ? »

  1. Fabien

    Twitter ne va pas créer un espace public européen. Il est un outil en plus des autres pour ce faire. Ce sont les acteurs qui vont créer cet espace européen.

    Ce qui est le plus marquant en ce moment, c’est la diversité des chiffres à propos de Twitter. L’entreprise entretient d’ailleurs savamment cette confusion en distillant des informations difficilement quantifiables. Dernier exemple en date: Justin Bieber utiliserait "5% du traffic" à chacun de ses posts car il a plus de 5 millions de followers…

    Ce qui est intéressant de constater, et on le voit avec Tweet your MEP, c’est que tous les espaces publics nationaux en Europe n’en sont pas au même point avec Twitter. Par exemple, dans les pays de l’Est de l’Europe, on est plutôt dans une utilisation proche de celle de la France en 2008-2009. Donc cela va évoluer a priori.

    Enfin, je ne suis pas d’accord avec Eric Mainville: il oublie que les réseaux sociaux ne sont pas la source du militantisme mais un outil qui permet une diffusion exponentielle du message (potentiellement). On peut comparer ça à la blogosphère: cela crée de nouveaux acteurs, de nouvelles manières de diffuser sa propagande, mais cela n’a pas empêcher le militantisme sur le terrain ou sur les réseaux.

    Le militantisme, ce ne sont pas que des tracts: c’est aussi aller à une réunion publique et donner son point de vue qui est dans la ligne politique que l’on souhaite faire valoir. De ce point de vue les réseaux sociaux remplissent parfaitement leur rôle, non ?

    En tous les cas, tu as tout à fait raison de pointer le fait que de chercher une révolution au sujet de l’espace public européen par le biais d’un outil numérique est un mauvais calcul.

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  2. Michaël

    Merci Fabien pour ton commentaire et désolé pour ma réponse tardive

    J’ai envie de rebondir sur ta question : les réseaux sociaux favorisent-ils l’expression et l’action politique ?

    Pour l’instant, au vue de ce que j’ai lu sur Owni1, je dirais plutôt non.

    "L’analyse des thèmes les plus des abordés dans les mises à jour de statuts sur Facebook en 2009 témoigne d’une tonalité fortement “divertissante” des préoccupations : people, cinéma, sport et les outils eux-mêmes (Facebook, Twitter) occupent le haut du pavé… montre en tout cas l’absence de thématique politique."

    Quant à "l’exemple" Obama, j’ai relu le compte-rendu du rapport Terra-Nova que j’avais fais à l’époque2, Internet est certes l’épine dorsale de la mobilisation et de l’organisation « on » et « off line » de la campagne mais les « réseaux sociaux » stricto-sensu sont utilisés comme terrain de recrutement online tandis que l’activité offline – militante – est coordonnée par le réseau social interne à la campagne Obama.

    Si tu veux creuser la question, 2 choses:
    – le baromètre des usages sociaux et politiques du web réalisé par TNS Sofres3 : en résumé, les Français sont pratiquants, mais pas tout à fait convertis.
    – l’interview de Dominique Cardon4, auteur de la démocratie et internet (sortie en septembre) avec 4 vidéos:

    * Comment Internet permet-il de corriger les défauts de la démocratie représentative ? Quelle est la forme politique de l’Internet ?
    * L’égalité des participants est-elle réelle ? Les variables sociologiques traditionnelles jouent-elles dans la répartition des hiérarchies sur le web ?
    * On assiste à une diversification des publics de l’Internet. Que change la massification des usages ?
    * Comment éviter qu’Internet ne devienne un espace public comme les autres ?

    1 owni.fr/2010/08/21/reseau…

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  3. Simon Blackley

    Je trouve un peu bizarre l’argument que les réseaux sociaux peuvent pas favoriser l’expression et l’action politique, parce que la plupart des mises à jour de statuts sur Facebook n’ont rien à voir avec la politique. Dans l’époque soviétique, la plupart des journaux n’avait certainement pas porté des informations contre la régime. Mais ça n’a pas du tout empêché la force de la presse samizdat. Vu de loin, le ratio ‘signal to noise’ est faible, mais la puissance de ces nouveaux outils de communication c’est que chaque utilisateur peut les filtrer comme il veut. Justin Beiber, il n’embête pas les révolutionaires!

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  4. Fabien

    Merci Michaël de ta réponse. Encore une fois, il ne faut pas confondre outil et son utilisation. Surtout que dans le cadre des réseaux sociaux, cela dépend aussi de leur appropriation par la population.

    D’ailleurs, puisque tu parles d’Owni, Nicolas Voisin théorise depuis longtemps l’intérêt des médias "sociaux" (puisqu’il a lancé lesdemocrates.fr pour le Modem)…

    Quoi qu’il en soit, tu peux appliquer la relation des citoyens au Politique en général de la même manière que pour les réseaux sociaux. Cela n’empêche pas les citoyens de se mobiliser fortement sur des sujets politiques à des moments différents dans l’espace public:
    – guerre en Irak,
    – référendum de 2005
    – CPE,
    – présidentielle…

    Alors, est-ce que les réseaux sociaux favorisent l’expression politique ?

    Oui, si tu regardes tous les (petits et moyens) partis ou ONG qui utilisent le net et les réseaux sociaux pour diffuser leurs idées.

    Non, si tu en restes à une lecture de la part du traitement des sujets politiques sur les réseaux sociaux. Cette grille d’analyse est valable mais incomplète de mon point de vue.

    C’est l’exemple typique des sujets de société qui apparaissent par la société civile ou les réseaux sociaux aujourd’hui qui imposent un sujet dans l’agenda politique pourtant déjà très chargé.

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  5. Eric

    Twitter ne peut être évaluer uniquement sur des critères quantitatifs.
    En terme de poids, la communauté Twitter pèse peu. Mais elle est constituée d’utilisateurs avancés d’Internet, de journalistes, hommes politiques et activistes. Donc c’est une communauté potentiellement très active. On l’a vu, la force (virale) de Twitter, a pu à plusieurs reprises mettre l’accent sur des informations non révélées par les grands médias.

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