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La communication de l’Union européenne, « une politique de l’opinion marquée par son historicité »

Pour Philippe Aldrin et Nicolas Hubé, dans l’introduction à l’ouvrage collectif « Les médiations de l’Europe politique », la communication de l’UE ne remonte pas d’hier, bien au contraire « depuis plus de soixante ans, former et informer l’opinion, « combler le fossé » avec les citoyens est une préoccupation qui taraude les entrepreneurs d’Europe ». Quelle est la « généalogie » de cette politique de l’opinion ?

Années 1950-1960 : « avoir le droit de dire l’Europe »

« Dès les années 1950-1960, la structuration, le façonnage et l’auscultation de l’ »opinion publique européenne » sont constitués en enjeu politique majeur de l’intégration, à tout le moins de légitimation de la Commission pour avoir le droit de dire l’Europe. Dès cette époque, une véritable politique publique de l’opinion est alors amorcée. »

« La politique publique de l’opinion s’organise autour d’un diagnostic partagé au sein des milieux intégrationnistes de l’élite transnationale : le fonctionnement, les décisions et les bénéfices de l’intégration sont méconnus des « publics concernés » et du grand public ; cette méconnaissance entrave les progrès de l’idée fédéraliste et du processus d’intégration. »

Années 1960-1970 : « démultiplier les arènes d’interactions »

« Dès les années 1960-1970, l’Europe politique cherche à tisser sa légitimité en démultipliant les arènes d’interactions, qu’elles soient publiques (la salle de presse du Berlaymont) ou discrètes (groupes d’experts), qui relient ses agents aux autres univers sociaux investis dans la performation d’une politique européenne. »

« Dans un rapport daté de 1972 et dédié exclusivement à la « politique d’information de la Communauté », les parlementaires européens affirment que « l’activité d’information des Communautés doit tendre à favoriser la formation d’une opinion publique européenne autonome, celle-ci conditionnant non seulement la continuité de la politique d’unification de l’Europe, mais aussi l’avenir de la démocratie parlementaire dans la Communauté ». »

Années 1970-1990 : « mettre en instrument » et « routiniser »

« Au début des années 1970, la structuration de la Direction générale à la Presse et à l’Information (« DG-X ») et la création du programme Eurobaromètre en 1973 traduisent la mise en instruments de cette politique. L’une comme l’autre supposent la formation d’un réseau assez dense de partenaires extérieurs aux institutions communautaires mais favorables au projet d’unification de l’Europe. »

« La mise en œuvre de la stratégie consistant à produire des outputs et générer des inputs censés rendre l’unification plus désirable aux yeux des populations passe par la participation active de toute une série de professionnels : journalistes accrédités mais aussi journalistes «locaux», universitaires, les syndicats, les associations fédéralistes, les relais et réseaux d’information constitués par les chambres de commerce, les bibliothèques municipales et universitaires, etc. »

« Les contacts, transactions et échanges d’information avec les ressortissants des politiques communautaires s’organisent aussi parallèlement à travers les groupes d’experts. D’abord informels, avant de se routiniser et de s’institutionnaliser, ces groupes consultatifs rassemblent des représentants d’intérêts, des spécialistes et des fonctionnaires nationaux autour des hauts fonctionnaires de la Commission. En l’absence d’appareil bureaucratique maillant le territoire et de guichets où s’incarnerait son action, l’Europe instrumente très tôt ses relations publiques et met en œuvre de multiples opérateurs de médiation avec ses publics. »

Années 1990-2000 : « généraliser initiatives, expériences et dispositifs de concertation des publics »

« Au cours des années 1990-2000, de nouveaux dispositifs de mise en procédures de la participation des acteurs non- institutionnels et/ou privés à la politique européenne comme la « comitologie », la « gouvernance », l’« interactive policy making » ou la « directly-deliberative polyarchy », pour mentionner les dispositifs les plus emblématiques, sont venus compléter l’équipement tout à la fois conceptuel, humain, instrumental et discursif de l’Europe en matière d’opérateurs de médiations. »

« Chacun de ces dispositifs procède à une procéduralisation de la participation à l’action publique européenne, permettant à de nouveaux types d’experts, de professionnels et de stakeholders d’investir dans un cadre formalisé et normé les arènes principalement bruxelloises de l’échange politique européen. »

« Cependant, cette tendance au « tournant participatif » peut et doit d’abord se lire comme une reconfiguration des modalités (et du discours les justifiant) de cette co-production. Les responsables de la Commission ont assez vite adapté l’appareillage communicationnel de leur institution aux médias participatifs : portail internet grand public (Europa avec son immense base de données, ses forums et ses liens vers les blogs des commissaires), service d’information personnalisée (EuropeDirect), dispositifs de « dialogue » et de consultation des citoyens (le service en ligne Votre-point-de-vue-sur-l’Europe et le programme Interactive Policy Making), forums délibératifs (dans le cadre du Plan D comme « dialogue, démocratie, débat »), etc. »

Années 2000-2010 : « politiser, un enjeu des luttes interinstitutionnelles »

« Cette politisation s’explique par l’importance prise au sein de l’espace politique européen par les problèmes d’opinion ; politisation dont les principaux facteurs sont, d’abord, le changement d’horizon, de nature (de l’intégration économique à une union politique) et d’échelle (de six pays fondateurs aux vingt-huit actuels) du projet européen et, ensuite, la recomposition des rapports de force entre les États membres et les institutions communautaires mais aussi entre ces dernières. »

« Cette lutte interinstitutionnelle, qui porte pourtant sur les ressources, l’orientation et le contrôle de la politique de communication européenne, est réfrénée, euphémisée par la « culture du compromis » qui guide la conduite des relations entre les pôles du triangle institutionnel. Au point que les controverses et finalement l’échec du Livre blanc sur une politique de communication européenne présentée en 2006 par la Commissaire en charge de la « stratégie de communication » sont presque passés inaperçus. »

Au total, les luttes pour l’accès au monopole de la parole publique légitime de l’Europe permettent de retracer les différentes étapes de ce qu’il convient d’appeler une politique de communication vers le « public » de l’UE.

Quels sont les enjeux et les moyens de la communication publique européenne en France ?

Retour sur le débat « À la recherche d’une communication publique européenne : enjeux, moyens et nouveaux défis » organisé par les Jeunes Communicants Publics à la Maison de l’Europe le 4 juin dernier…

État des lieux : qui parle au nom de l’Europe en France ?

Au-delà de la communication politique européenne des Commissaires, des eurodéputés et des élus en général, la communication publique européenne est essentiellement portée au travers du partenariat entre les institutions européennes en France (Commission européenne et Parlement européen) et les institutions nationales (Ministère des Affaires étrangères et européennes, Secrétariat Général des Affaires européennes et Service d’information du Gouvernement).

Priorité : communiquer sur l’Europe auprès des jeunes

Jusqu’à présent, le partenariat de communication s’est attaché à communiquer chaque année depuis 2008 sur les principales priorités que représentent les élections européennes ou les fonds européens.

Actuellement, une orientation plus affirmée se dessine autour d’une priorité essentielle : la communication européenne auprès des jeunes, afin de combler le déficit de connaissances sur l’Europe, première étape avant de pouvoir communiquer sur l’actualité de la construction européenne :

  • Les actions sur les années précédentes se sont concentrées pour donner de la visibilité à l’Europe en ligne auprès des jeunes ;
  • Le programme « Back to school » de la Commission européenne est déployé en France afin que des fonctionnaires européens retournent dans leurs écoles pour incarner une Europe moins technocratique ;
  • Le partenariat de communication en France s’interroge pour accueillir le ministère de l’Éducation nationale.

Stratégie : quelle communication publique européenne en France ?

Plusieurs orientations de la communication publique européenne en France se dessinent aujourd’hui :

D’abord, « la communication de l’UE ne joue pas dans la cour des grands » en matière de moyens et de budget.

Ensuite, la communication publique européenne ne doit être confondue ni avec l’éducation pédagogique, quoique cette mission soit de plus en plus essentielle, ni avec la démocratie participative, tout autant indispensable afin d’animer l’espace démocratique.

Enfin, la communication publique européenne doit parvenir à faire la synthèse entre une communication abstraite portant les valeurs et le projet de la construction européenne et une communication concrète sur les bénéfices de l’UE dans la vie quotidienne.

Bilan : quels sont les défis et les leviers de la communication publique européenne en France ?

Des évolutions animent les différents leviers de la communication publique européenne, encore confrontée à des défis considérables :

D’une part, la communication directe de l’Europe auprès des citoyens affine une double approche entre des campagnes « corporate » dans les grands médias, financées par la Commission européenne au détriment de ses Représentations dans les Etats-membres et des partenariats de communication qui par conséquent tentent de se localiser pour mailler les territoires.

D’autre part, la communication indirecte de l’UE se diversifie pour palier la faillite des « médiateurs naturels de l’Europe », entre des relations presse réorganisées à Bruxelles autour de messages plus politiques afin de sortir de la spirale infernale de la présence de l’Europe dans les médias et des actions renouvelées avec les « auto-entrepreneurs de la cause européenne » dans la société civile.

Au total, la communication publique européenne en France, malgré ses handicaps en termes de moyens, est en recomposition pour renouveler et décupler ses capacités à sensibiliser en priorité les jeunes, les médias, la société civile et les territoires.

Quels sont les mondes de la légitimation de l’Europe politique ?

À l’occasion du colloque international « L’Europe dans les médias en ligne » organisé à l’Institut des Sciences de la Communication (CNRS / Paris-Sorbonne) les 26 et 27 mai derniers, une table ronde s’est attachée à décrypter les nouveaux dispositifs et enjeux de la communication par et sur l’Europe…

Les interactions au quotidien entre des acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE

Caroline Ollivier-Yaniv, professeure des universités, Université de Paris Est-Créteil a présenté l’ouvrage collectif « les médiations de l’Europe politique » qui se positionne comme une prise en considération – non pas sur des objets traditionnels de la recherche comme la communication des institutions européennes ou l’espace public européen –des interactions au quotidien entre des acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE.

Plus particulièrement, les différentes contributions s’attachent à différents acteurs qui participent de la légitimation de l’Europe politique :

  • Les institutions dans toute leur diversité et hétérogénéité engagées dans la lutte pour le pouvoir ;
  • Les porte-parole ou les acteurs de l’audiovisuel public européen qui sont deux exemples illustratifs de la production de la parole officielle européenne ;
  • Les publics attendus et « inattendus » lié au tournant délibératif initié par Margot Wallström qui s’est traduit par plusieurs expérimentations, comme par exemple les consultations citoyens ;
  • Les groupes d’acteurs en dehors des institutions qui exercent un contrepoids comme les ONG telles que Finance Watch ;
  • Les acteurs publics « hors les murs » que représentent les collectivités locales à Bruxelles ;
  • Les médias (émissions, programmes, sites) et les journalistes européens.

Une approche en contre point d’observation des transformations du travail politique

L’ouvrage « les médiations de l’Europe politique » (lire l’introduction) se place dans les études européennes comme des travaux en « contre point » qui évitent une approche trop « institutionnalo-centrée » au bénéfice des acteurs de la société civile qui doivent entrer en partie dans le processus décisionnel européen.

Au total, une telle analyse des interactions et des médiations offre un point de vue relationnel et stratégique à l’échelle des femmes et des hommes qui démontre que la communication publique et politique n’est pas balistique, c’est-à-dire visant forcément à produire des effets.

Les mondes de la légitimation de l’Europe politique offrent un lieu d’observation des transformations du travail politique : nouvelles formulations de demandes sociales, « empowerment » des citoyens, nouvelle place du numérique.

Quels sont les enjeux démocratiques de la communication européenne ?

À l’occasion du colloque international  « L’Europe dans les médias en ligne » organisé les 26 et 27 mai derniers à l’Institut des Sciences de la Communication à Paris, Romain Badouard, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise a présenté les principaux enseignements de l’étude paneuropéenne de l’Europe dans les médias en ligne…

1. Montée en puissance de nouveaux mouvements de la société civile

De nouvelles formes de mobilisation collective se développent un peu partout en Europe autour de mouvements de la société civile (Podemos, Syriza, etc.). Cette effervescence se caractérise d’une part par une revendication pour plus de démocratie : transparence, responsabilité, et surtout une volonté d’auto-détermination, et d’autre part par une hostilité aux politiques économiques austéritaires de l’UE, se traduisant par un sentiment de dépossession.

2. Aggravation du déficit démocratique européen

Auto-détermination et dépossession sont les deux vecteurs d’un fossé qui s’agrandit entre des citoyens mobilisés en dehors des arènes politiques traditionnelles et les décideurs publics européens.

Trois indicateurs illustrent cette tendance paneuropéenne :

  • Montée des partis eurosceptiques et antieuropéens, représentés actuellement par 140 eurodéputés ;
  • Rejet dans l’opinion publique de l’orientation de la construction européenne, l’UE est de plus en plus perçue de manière négative même si l’attachement des populations demeure encore ;
  • Abstention électorale aux européennes en hausse constante, la barre symbolique des 50% est allègrement franchie à chaque scrutin depuis 1999.

3. Une crise de confiance qui est aussi une crise de communication

La communication auprès des citoyens ne fait partie de l’ADN de la construction européenne, puisque l’adhésion des citoyens au projet, forcément acquise, ne comptait pas à l’origine.

La mise en place du marché unique et de l’euro a révélé le besoin tardif d’un soutien des citoyens qui s’est traduit par une réforme de la gouvernance de l’UE.

4. Une approche expérimentale et participative de la communication politique et publique

Afin de créer de l’adhésion et d’associer les citoyens aux décisions, une approche participative des politiques publiques à l’échelle de l’UE est mise en œuvre.

Les institutions européennes se lancent également dans une communication politique fondée sur des expérimentations, en particulier dans le numérique, depuis maintenant 20 ans.

5. Le rôle des médias dans la progression de l’euroscepticisme

Dans les médias nationaux et/ou généralistes, le désintérêt pour les affaires européennes n’est malheureusement plus à prouver.

De nouvelles dynamiques émergent, comme par exemple de nouveaux médias européens comme Politico Europe, Euronews, Contexte, MyEurop ou Café Babel ou de nouvelles collaborations européennes, comme les accords LENA entre des grands titres de la presse ou des collaborations ponctuelles autour des LuxLeaks.

L’enjeu de la prise de parole sur l’Europe dans les médias est également clé lorsque l’on sait que 80% de ceux qui s’expriment à la télévision appartiennent aux élites (politiques, experts et fonctionnaires) tandis que la société civile ne peut pas faire entendre sa voix, à part sur les questions environnementales ou sociales.

6. Le nouveau contexte démocratique dans les Etats-membres de l’UE

Au total, l’étude de l’Europe dans les médias en ligne trace de nouvelles perspectives reposant sur une demande de plus de respect et d’égalité des prises de parole dans le débat public et sur une attente d’une meilleure prise en compte des différents points de vue dans la décision publique.

En définitive, respect des prises de parole de la société civile et prise en compte des particularités dans la décision constituent aujourd’hui les deux enjeux démocratiques majeurs de la communication européenne.

Pourquoi la stratégie de communication de l’UE est illisible ?

Aujourd’hui – c’est-à-dire sous la nouvelle Commission Juncker à la suite du renouvellement du Parlement européen en 2014 – la stratégie de communication de l’UE devient de plus en plus illisible. Pourquoi ?

La communication incarnée / personnelle des Commissaires ne fait pas une politique de communication européenne

La Commission européenne ne dispose plus de Commissaire titulaire d’un portefeuille à la communication ; le président s’est octroyé la tutelle directe sur la DG COMM mais jusqu’à présent n’a pas formulé de stratégie, au-delà d’une note de quelques pages sur le rôle des Commissaires comme porte-parole de l’institution et la réorganisation du service des porte-parole.

La communication institutionnelle / corporate de la Commission européenne ne fait pas la communication de l’UE

L’approche inter-institutionnelle définie dans la stratégie « Communiquer l’Europe en partenariat » est également au point mort, après le retrait unilatéral de la Commission européenne au profit d’une action de communication institutionnelle « corporate » unilatérale dont l’évaluation peine à convaincre.

En outre, le projet d’un plan de communication interinstitutionnel et pluriannuel de l’UE développé par le CoR, visant notamment à décentraliser la communication, quoiqu’ambitieux et fédérateur, est resté dans les limbes.

La communication auprès des citoyens ne fait pas une stratégie de communication européenne

Par ailleurs, la stratégie de communication de l’UE, à force de se concentrer sur la priorité de résorber le déficit démocratique de l’UE, semble s’être enfermée dans une démarche quasi mono-tâche de mieux communiquer auprès des citoyens. Toutes les actions, tous les discours ne semblent plus viser que ce seul objectif, quelque soit l’importance de le poursuivre.

Au total, la stratégie de communication de l’UE souffre actuellement d’une double faiblesse :

  • d’une part, une conceptualisation déficiante qui ne fédère pas les faibles moyens consacrés par les institutions européennes pour communiquer et ;
  • d’autre part, une formulation simplificatrice qui déséquilibre les messages au profit unilatéral des citoyens.

En une phrase, la stratégie de communication de l’UE correspond actuellement à un orchestre dont les instruments seraient désaccordés, chacun jouant sa partition et du coup la mélodie n’est pas harmonieuse et audible.