La Commission Juncker est-elle intéressante dans les médias sociaux ?

Prenons aux mots Jean-Claude Juncker qui attend – selon sa communication relative aux méthodes de travail de la Commission – que les membres de sa Commission soient « les visages publics, les meilleurs avocats et les meilleurs porte-parole des politiques de l’institution ». Qu’en est-il vraiment dans les médias sociaux ?

Quand le médium devient le message, le recours quasi systématique et impérieux de communiquer dans les médias sociaux conduit inévitablement à une uniformisation des prises de parole qui sacrifie la personnalisation pourtant attendue et souhaitable.

En quelque sort, la rançon du succès des médias sociaux auprès des Commissaires, c’est que leur communication se ressemble de plus en plus. Certes, ils sont tous, ou quasiment sur Twitter et/ou Facebook. Mais, du coup, ils font tous, peu ou prou à peu près la même chose.

Les grands poncifs de la communication des Commissaires européens dans les médias sociaux

Premier passage obligé, le recours aux photos pour montrer les Commissaires au travail. Du coup, des portraits des Commissaires en réunion ou en train de serrer des mains sont publiés à tout bout de champ sur Twitter et Facebook.

À ce petit jeu, la Haute-Représentante Federica Mogherini tire son épingle : avec elle, on fait un tour du monde, parfois en compagnie de « stars » de la diplomatie internationale, comme sa rencontre récente avec John Kerry.

Deuxième exercice de style imposé à tous les Commissaires, le live-tweet de leurs prises de parole devant le Parlement européen ou lors de conférences importantes. Du coup, des rafales de tweets viennent occasionnellement pollués les timelines.

Ces live-tweet sont de plus en plus régulièrement préparés en amont à tel point que parfois les tweets, programmés à l’avance et surtout à distance précèdent les propos tenus en public.

Dernier poncif, le pire, c’est le « combo » live-tweet + photos qui correspond à leur prise de parole dans les médias, en particulier audiovisuels, qui sont annoncés en amont, largement mentionnés et parfois même les mentions et retombées sont ultérieurement retweetées.

Au total, la communication des Commissaires dans les médias sociaux est plutôt sans originalité, quoiqu’il y ait quelques exceptions.

Les meilleurs Commissaires-communicant dans les médias sociaux

Sur Facebook, le premier Vice-Président, Frans Timmermans survole ses collègues. Il est sans doute le seul capable de générer plusieurs milliers de « like » sur Facebook, et se positionne, du coup, de loin comme le meilleur communicant sur cette plateforme.

Timmermans_Facebook

Ses courts messages, trop souvent qu’en néerlandais, sont humains, mêlant à la fois un arrière-fond professionnel et une dimension personnelle, affective.

Sur Twitter, c’est la Commissaire danoise à la Concurrence, Margrethe Vestager, qui s’est créé un style personnel dès le moment des auditions devant le Parlement européen en choisissant de prendre en photo ce qu’elle voit, plutôt qu’on la prenne en photo – un contre-champ salutaire en termes d’authenticité et qui a fait mouche auprès du public. Pour la lutte contre le cancer, elle n’a pas hésité à se montrer avec un petit tatouage.

Vestager_Twitter

 

Vestager_Twitter_2

Enfin, il ne faut pas oublier les quelques Commissaires courageux qui interagissent, dialoguent vraiment avec leurs audiences. Maroš Šefčovič, Vice-Président à l’Union énergétique ou Cecilia Malmström, Commissaire au Commerce n’hésitent pas à chatter ou répondre à leurs mentions de temps en temps

Au total, la communication des membres de la Commission européenne n’est souvent pas très inspirée et manque cruellement de créativité et de spontanéité à de rares exceptions, les « feeds » Facebook++/Twitter sont sans saveur.

Politico et Axel Spinger investissent la scène médiatique bruxelloise en rachetant European Voice

Branle bas de combat à Bruxelles où Axel Springer et Politico s’unissent à 50/50 et un budget de 10 millions de dollars pour lancer dès le printemps 2015 un nouveau Politico européen…

Un nouveau monopole de l’information européenne à Bruxelles

L’ambition de créer la publication la plus influente en matière de politiques européennes (publiques et politiciennes) sur le continent européen est en passe de se réaliser pour Axel Springer et Politico.

Hier, lors d’une conférence de presse, les modalités du lancement ont été dévoilée : non seulement Politico.eu sera richement doté en termes de moyens, mais surtout, son lancement passe par le rachat de European Voice, un média lancé en 1995 par The Economist et vendu l’année dernière.

C’est un peu compliqué, mais disons que pour simplifier European Voice, fondé par The Economist et l’un des seuls médias européens rentables à ce jour, est repris par Politico et Axel Springer pour disparaître et laisser le champ libre à Politico Europe.

Autrement dit, comme le souligne Jon Worth, le seul média à Bruxelles qui aurait pu faire de la concurrence à Politico Europe, à savoir European Voice a été racheté plutôt que de risquer une émulation coûteuse ; un bon point pour le modèle économique mais mauvais pour la pluralité de la presse à Bruxelles.

Des moyens inédits pour couvrir les affaires européennes

Le futur media Politico Europe est doté, selon le communiqué, d’une équipe de 70 personnes et de 30 journalistes, avec un siège à Bruxelles et des reporteurs dans les principales capitales européennes.

Les principaux acteurs de ce nouveau media mastodonte sont des professionnels expérimentés dans les affaires européennes :

  • Matthew Kaminski, @KaminskiMK, aujourd’hui au Wall Street Journal et demain directeur de la rédaction ;
  • Florian Eder, @florianeder, aujourd’hui correspondent auprès de l’UE à Die Welt et demain rédacteur en chef ;
  • Shéhérazade Semsar-de Boisséson, aujourd’hui propriétaire et éditeur d’European Voice et demain directrice générale.

Quelles conséquences pour le fragile paysage médiatique bruxellois ?

Plusieurs clés de lecture se chevauchent pour analyser l’entrée d’un éléphant dans un magasin de porcelaine :

Pour certains, c’est le yankee qui débarque en Europe, ils veulent y voir le média américain Politico et son modèle de journalisme fait d’enquête et d’investigation. C’est notamment le point de vue de Jean Quatremer : « Encore une fois, ce sont les Américains qui viennent lancer un nouveau produit dans la vieille Europe ».

Pour d’autres, certains signes, notamment le poids d’Axel Springer, leader en Allemagne, le recrutement du rédac-chef à Die Welt ou le développement du business de conférences à Berlin font pencher la balance pour un renforcement dans le paysage médiatique bruxellois de l’Allemagne, première puissance continentale ; alors que les anglo-saxons dominaient jusqu’à présent par leurs méthodes et leurs poches profondes.

Au total, hormis l’inquiétude quant à la pluralité et à la viabilité à terme de la scène médiatique bruxelloise fragile, l’arrivée de Politico Europe est un événement important, dont l’impact devrait porter bien au-delà de Bruxelles.

Comment les journalistes perçoivent la machine médiatique bruxelloise ?

Pour Claes de Vreese, qui s’est plongé dans le petit monde des correspondants de presse auprès de l’UE, les insuffisances structurelles et organisationnelles de l’UE entretiennent le « déficit de communication » au point que les canaux d’information non officiels sont un atout majeur pour s’informer à Bruxelles…

Les contenus des relations presse de l’UE sont sévèrement jugés par les journalistes accrédités

La plupart des correspondants de presse auprès de l’UE affiche une attitude plutôt globalement négative liée à la quantité des informations. Les flux d’informations volumineux et non priorisés que l’UE bombarde pour capter l’attention des médias sont vivement critiqués.

En termes de qualité, la nature trop compliquée des communiqués de presse est minimisée et ne représente vraiment un obstacle que lorsque l’absence de versions non anglaises affecte l’immédiateté de leur travail

La complexité est généralement acceptée comme une composante de la politique européenne. Mais, c’est la valeur informative des communiqués de presse qui est sévèrement jugée par la majorité des correspondants.

Les journalistes admettent qu’ils ont tendance à utiliser les communiqués de presse de l’UE uniquement pour contextualiser les « informations authentiques » fournies par d’autres moyens.

En bref, le matériel institutionnel de l’UE en matière de relations presse est aussi bon pour trouver des informations qu’il est mauvais pour trouver la vérité.

La performance communicative d’une institution européenne est étroitement liée selon les journalistes à son organisation

Les lacunes les plus récurrentes attribuées par les journalistes à la Commission européennes sont liées au manque de sujets « juteux » imposé par sa nature consensuelle. Par ailleurs, le système de porte-parole par portefeuille conduit à ce que le même document soit traduit dans toutes les langues.

En revanche, le Parlement européen se voit attribuer une perception plus positive, avec des communiqués de presse « sur mesure » pour les médias. En effet, les attachés de presse écrivent « pour leur propres journalistes ».

La comparaison Commission-Parlement tend à démontrer qu’une liberté d’organisation plus importante sous-tend une production de contenu institutionnel pour les journalistes plus qualitative.

Autrement dit, la rigueur et la standardisation de l’information pour les communiqués de presse est vécue comme un obstacle à une communication créative.

L’interaction interinstitutionnelle (i.e. le travail entre les institutions européennes) n’est pas assez coordonnée selon les journalistes

Le chevauchement des agendas entre les institutions européennes affecte particulièrement les pratiques des journalistes qui sont seuls à Bruxelles.

Les problèmes viendraient d’une part, du fait que la Commission européenne chercherait à perpétuer son monopole sur l’information, par rapport aux autres institutions ; et d’autre part, de la fragmentation interne qui fait que « tout le monde communique dans leur coin ».

La place de la Commission à l’épicentre de la dynamique de communication de l’UE conduit à des approches différentes des relations presse :

  • une perspective inter-institutionnelle pour le Parlement européen et le Conseil de l’UE pour offrir un regard différent aux journalistes ;
  • un angle inter-service par les fonctionnaires de la Commission européenne pour faciliter le travail des journalistes.

La position hégémonique de la Commission européenne dans le microcosme de Bruxelles est omniprésente dans les entretiens avec la presse accréditée

En raison de son droit d’initiative et de la centralisation des ressources de communication, la Commission devient le théâtre de ce que différents journalistes décrivent péjorativement comme des « pratiques de recyclage », consistant à réutiliser à plusieurs reprises la même information.

En outre, le service des porte-parole est accusé de restreindre les contacts avec les médias à un flux continu de pseudo-événements détachés de toute information pertinente.

Au total, cette hiérarchie entre les institutions européenne n’est pas nécessairement perçue comme positive car risque de négliger d’autres sources et des aspects de l’intégration européenne.

Les contacts informels, un jeu tacite accepté par les journalistes européens

Tant les correspondants que les fonctionnaires reconnaissent que les contacts informels représentent un moyen privilégié pour accélérer leur travail :

  • Le réseau privé d’un journaliste est devenu de routine, pas uniquement pour obtenir des scoops, mais au quotidien comme un raccourci pour accéder aux documents ;
  • Inversement, certains fonctionnaires admettent qu’ils ont « un groupe de clients réguliers » parmi les médias à Bruxelles.

Le « Financial Times » avec son statut de « deuxième Journal officiel » fait exception dans le paysage, cela correspond à un choix stratégique pour faciliter le relais efficace de l’information en raison de son rôle de compositeur et de multiplicateur de l’ordre du jour à travers les médias des différents États membres.

Pour les autres médias, le pays d’origine d’un correspondant importe à la lumière de la politique de l’UE concernée. Dans le critère de la nationalité entre l’adéquation en termes de messages clés adaptés par l’UE à certains Etats membres spécifiques.

Quant à l’origine des scoops, les correspondants se réfèrent à des contacts au sein des cabinets des institutions mais aussi à des sources dans leur pays, notamment lorsque leur gouvernement est dans une sorte de bras de fer avec l’UE.

Au total, la plongée dans le monde des correspondants de presse à Bruxelles est très instructive quant à leur capacité/nécessité à subir et à se jouer des contraintes institutionnelles et organisationnelles pour parvenir à produire de l’information sur l’UE.

Comment Twitter est devenu une « méta-rédaction bruxelloise » pour les journalistes européens ?

Merci à Jean-Sébastien Lefebvre, journaliste à Contexte, pour ses éclairages – en réaction à « À Bruxelles, tu tweetes ou tu meurs » de Cécile Ducourtieux – sur « Twitter dans le petit monde européen […] une sorte de « méta-rédaction » » ; sous forme de tweets, évidemment…

Au total, pour un correspondant de presse auprès des institutions de l’UE à Bruxelles, Twitter représente un outil indispensable de veille, d’alerte, de vérification des faits, de confirmation auprès des sources, d’opinion entre collègues, de transnationalisation des angles, de promotion personnelle et d’amplification.

Les affaires publiques européennes, un monde de médiations

Dans « Les médiations de l’Europe politique », Philippe Aldrin et Nicolas Hubé présente l’ouvrage dans l’introduction « pas une énième contribution à l’analyse de la communication européenne, mais une analyse d’un monde au travail, d’un espace de relations et d’interdépendances, celui des producteurs de discours et des metteurs en récit de la cause européenne ».

Une démarche sociologique d’analyse à « hauteur d’hommes »

La démarche s’inscrit dans « une science sociale des médiations de l’Europe politique », c’est-à-dire qu’elle « s’attache à comprendre les formes concrètes de la pluralisation du monde des entrepreneurs d’Europe, en privilégiant les logiques de collaboration, de co-production et d’interdépendance afin d’en mieux saisir les divers arrangements relationnels ».

« Dès lors que l’on se désintéresse un peu de la signification des discours d’institutions ou des produits médiatiques pour faire la sociologie de leurs producteurs, la question de la publicité des affaires européennes apparaît comme un univers d’interactions multiples et complexes. »

« La fabrication et la publicisation d’informations sur les activités communautaires, leurs interprétations et leurs commentaires procèdent des activités d’une pluralité d’acteurs ».

Les enseignements de ce « monde de médiations »

Diversité des modalités : formelles ou informelles, institutionnalisées (routines, dispositifs de concertation) ou plus ponctuelles (expériences participatives), organisationnelles et/ou interpersonnelles, discursives et/ou matérielles, symboliques et/ou financières.

Variété des acteurs, positions et rôles : hauts fonctionnaires et responsables de l’UE, mandataires des groupes d’intérêt, lobbyistes professionnels, agents des États membres, représentants de la « société civile », ressortissants des politiques publiques européennes, agenciers et journalistes accrédités mais aussi échantillons sélectionnés du « grand public ».

Porosité des frontières entre les mondes institutionnels et non-institutionnels, en termes de savoirs pratiques et conceptuels, de circulations des professionnels, de coopérations, de co-financements mais aussi porosité des carrières et des positions, «  des agents issus d’entreprises extérieures (agences de presse, conseils en communication, institut de sondages) collaborent voire se reconvertissent en agents des institutions quand des agents communautaires vont servir des entreprises non institutionnelles mais souvent directement périphériques à l’action publique européenne ».

Au total, cette nouvelle manière de regarder la construction européenne permet d’analyser toute la communication autour du projet d’intégration comme une vaste « coalition de causes » entre agents institutionnels et agents non-institutionnels, « qui appartiennent à des mondes qui nous sont présentés comme (ou donnent l’apparence d’être) distincts », mais qui en réalité forme un espace erratique et éminemment concurrentiel.