Archives mensuelles : août 2024

Bilan de la mandature parlementaire et perspectives post-élections européennes

« On ne pourra bien dessiner le simple qu’après une étude approfondie du complexe » Gaston Bachelard

Euro-Lab, Groupement d’Intérêt Scientifique et réseau interdisciplinaire de recherche sur l’Union européenne réalise un « Bilan de la 9e législature du Parlement européen (2019-2024) », afin d’éclairer le débat public dans une campagne électorale européenne aux enjeux majeurs, en mettant à disposition du public une analyse rigoureuse.

« L’Europe est une entreprise de raison, non de sentiment » Robert Schuman

Les élections européennes du 9 juin 2024 se profilent dans un espace public français largement ignorant des travaux du Parlement européen. Les Français font partie des habitants de l’Union européenne les moins informés de ses débats par les médias nationaux selon l’eurobaromètre de juin 2023.

Vers une certaine normalisation de l’activité parlementaire européenne

Par le passé, les débats parlementaires étaient structurés par un clivage minorité extrême-droite et extrême-gauche contre la plupart des textes ambitieux et une majorité modérée pro-européenne, allant droite modérée, socialistes libéraux et Verts.

Depuis quelques années, émerge un clivage droite-gauche, qui fait évoluer le Parlement européen en une chambre plus classique. Ce mouvement est nettement visible sur les questions de police et de migration, la gauche parlementaire cherchant à limiter le virage sécuritaire encouragé par la droite. La même tendance est perceptible sur la question environnementale avec la contestation croissante de ces législations protectrices.

Certes, cette normalisation n’est pas achevée. Sur de nombreux textes, la coalition modérée et européiste a tenu face aux extrêmes qui n’ont pas accepté les textes les plus ambitieux.

Au total, l’Union reste un hybride entre une organisation fédérale et une association d’États-nations, cela se perçoit dans le travail du Parlement européen :

  • Soumis à la logique interétatique dans les domaines les plus régaliens, police, justice, défense ;
  • Sensiblement plus communautaire dans les dossiers économiques et environnementaux ;
  • Questions stratégiques et militaires restent dominées par les logiques nationales et otaniennes.

Le modèle économique et social de l’Union évolue sensiblement

D’une Europe libérale vers une communauté intégrant des dimensions socio-environnementale et de puissance plus affirmées :

Certes, la dynamique libérale reste dominante : l’Union reste avant tout fondée sur un marché unique fondée sur les quatre libertés et la renégociation du Pacte de Stabilité au cœur de l’Union économique et monétaire n’a pas congé les fondamentaux.

Mais la dérégulation s’est tari, pour être remplacée par un libéralisme plus tempéré avec des accords commerciaux intégrant une conditionnalité sociale et environnementale et la régulation du numérique progresse avec les Digital Market Act et Digital Services Act qui visent à contrôler les géants du numérique. L’Europe sociale a également progressé, avec l’adoption de textes sur un salaire minimum européen (salaires qui restent certes différents entre les pays, mais le texte appelle à une relance du dialogue social) et sur la transparence des rémunérations hommes-femmes.

Sur le projet le plus emblématique de la mandature, le Pacte Vert, fixant des cibles ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre, après ses premières adoptions dans un relatif consensus au sein de la majorité, les protestations du monde agricole, se sont traduites par une frilosité accrue des eurodéputés de droite, et parfois du centre, envers les mesures de protection de l’environnement. Les textes sur la réduction des pesticides et sur la préservation de la biodiversité ont été respectivement abandonné et édulcoré.

Enfin, l’Europe puissance s’est considérablement renforcée, pour répondre à un environnement international plus menaçant. La réémergence de l’hydre du protectionnisme a poussé l’Union à durcir son arsenal commercial. Les inquiétudes croissantes envers l’immigration se sont aussi traduites dans les débats parlementaires, avec un accord politique autour d’un Pacte migratoire plus restrictif qu’auparavant. De même la coopération policière s’est renforcée au bénéfice de l’« Union de la sécurité ». Surtout, la guerre en Ukraine a forcé l’Union a investir le domaine militaire, même si son action reste pour l’instant circonscrite à quelques outils de portée limitée et de court terme.

Avec le retour des nationalismes, l’Union investit le domaine de la puissance

Du point de vue français, cette conjoncture a permis de faire adopter à Bruxelles des projets constamment rejetés auparavant, comme la préférence européenne (maintenant possible dans le domaine de la défense), la taxe carbone aux frontières (inspiration du « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ») ou encore le retour de la négociation collective européenne, de nouveau valorisée dans le cadre du dispositif sur les salaires minimaux.

C’est une victoire posthume pour Jacques Delors, récemment décédé, et sa trilogie d’une Europe fondée sur « la concurrence qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce ».

Grandes lignes du débat de la prochaine mandature

L’un des premiers sujets prioritaires sera celui de l’Europe solidaire, sociale et environnementale, entre fin d’avancées liées à des circonstances exceptionnelles avec des dispositifs de solidarité inédits, comme le plan de relance, mais qui sont temporaires ou inflexion de fond avec des mesures plus ambitieuses encore comme une taxation européenne des grandes fortunes, et une lutte plus vigoureuse contre le dumping environnemental.

Une seconde question porte sur l’Europe puissance, entre affirmation ou forces centrifuges ? Un score élevé de partis aux priorités géopolitiques divergentes aux élections du 9 juin pourrait tuer dans l’œuf les velléités de développer la dimension stratégique de l’Union.

Enfin, une troisième question porte sur l’Europe des libertés. Le durcissement sécuritaire, migratoire et commercial se poursuivra-t-il, instaurant une dichotomie entre une Europe mercantile libérale sur le plan interne, et illibérale dans ses autres dimensions ? Toutes ces questions recevront des réponses avec les prochaines législations de la nouvelle mandature décisive pour notre démocratie.

Les Européens, abandonnés au populisme et attachés au souverainisme démocratique

Dans une enquête paneuropéenne (UE27 + UK) de la Fondation pour l’innovation politique, il apparaît qu’au moment des élections européennes, la plupart des 360 millions d’électeurs sont indubitablement acquis à la fois aux valeurs de la démocratie et à l’idée européenne, peut-être plus que jamais. Comment cette double conviction populaire doit être interprétée pour éviter tout malentendu sur l’interprétation du vote populiste en progression ?

Être Européen en 2024 : soutien à l’idée européenne, aux principes qui la fondent, aux institutions qui en émanent

Le soutien à l’Union européenne atteint des niveaux sans précédent, avec 87 % de la population européenne qui approuve l’appartenance de leur pays à l’Union. Ce soutien massif se reflète également dans l’acceptation de la monnaie européenne, l’euro, à 92 % des personnes interrogées. Le souhait de quitter l’Union européenne est devenu marginal, avec seulement 13 % de la population qui envisage cette option. Ce soutien à l’Europe est également une réalité électorale, avec une majorité d’opinion qui se traduit par un choix de représentants politiques pro-européens. Ces trois résultats contredisent le discours médiatique sur la soi-disant « vague populiste ».

La montée des périls dans le monde affermit l’idée européenne

La mondialisation inquiète davantage les Européens, qui voient dans l’Union européenne un moyen de se protéger face aux défis économiques et sociaux. L’agressivité de puissances hostiles, telles que la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie, a également favorisé l’idée européenne. Les Européens sont conscients que face à ces menaces, ils sont plus forts ensemble que séparément. La crainte d’une nouvelle guerre mondiale est présente dans l’esprit de 60 % de la population, ce qui renforce encore davantage le soutien à l’Union européenne.

Les Européens à la recherche d’une puissance publique pour répondre à leurs besoins et à leurs attentes

Les Européens se posent la question de savoir ce que les États peuvent faire pour leur peuple. Le « Brexit » montre que les populistes ne sont pas en mesure de répondre aux attentes de la population, qui se sent abandonnée.

Le scepticisme à l’égard de l’État, le stato-scepticisme est plus élevé que celui à l’égard des institutions européennes, l’euro-scepticisme, avec des institutions européennes qui suscitent plus de confiance que les institutions nationales.

Le vote populiste est une composante de l’appel des Européens pour une puissance publique supplémentaire, une demande restée sans réponse.

C’est dans l’attente d’une puissance publique supplémentaire qu’une nouvelle demande d’Europe, une demande populaire, s’installe au cœur de l’opinion européenne.

La plupart des Européens ne croient pas ou ne croient plus aux capacités de leurs États à s’appuyer sur leurs propres forces. Par pragmatisme, et non par idéal comme l’illustre le succès de l’euro, les Européens sont disposés à l’affirmation d’une puissance publique européenne.

Les Européens souhaitent également reprendre le contrôle démocratique de l’espace public de plus en plus numérique, au regard du risque de perte de nos libertés individuelles et collectives, de destruction des fondations de la culture et de la vie démocratique européenne.

Une Europe qui protège, selon les Européens

La sécurité est la première des revendications des Européens. Ils sont conscients que les menaces sont de plus en plus nombreuses et complexes. Le soutien à l’OTAN est fort, avec 65 % favorable. Les Européens souhaitent également une armée commune, en complément des armées nationales, avec 67 % qui soutient cette idée.

Les Européens veulent la protection des frontières communes, avec 86 % de la population qui déclare que cela devrait être une priorité pour l’Union européenne. Ils sont conscients que la liberté de circulation est un acquis précieux, mais ils souhaitent également être protégés contre les menaces extérieures.

En somme, en 2024, les Européens sont plus que jamais attachés à l’Union européenne, qu’ils voient comme un moyen de se protéger face aux défis du monde. Ils sont à la recherche d’une puissance publique, en particulier en matière de sécurité et qui puisse peser sur la scène internationale.

Quelle gouvernance publique pour renforcer la transparence et l’intégrité de la vie publique contre des activités de lobbying et d’influence étrangères ?

L’OCDE s’interroge sur comment « Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France : Un outil pour lutter contre les risques d’ingérences étrangères ».

Principaux constats sur la résilience démocratique

La France développe de nombreux outils de politiques publiques pour lutter contre les risques d’ingérence étrangère :  dispositif pénal de répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, outils réglementaires dédiés au financement de la vie politique, encadrement des activités de lobbying, lutte contre la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, ainsi que dispositifs administratifs de contrôle des investissements étrangers ou lutte contre les ingérences numériques étrangères.

La transparence et l’intégrité de la vie publique sont des domaines prioritaires d’action pour renforcer la résilience de la France face au risque croissant d’ingérence dans ses processus démocratiques.

Par exemple, l’influence de l’opinion publique comme moyen indirect d’influence sur les décisions publiques et les processus démocratiques n’est pas couverte, alors qu’il s’agit d’une part croissante des activités d’influence étrangère

Risques d’interférence étrangère

Au-delà des services de renseignement ou des institutions diplomatiques, de nombreux acteurs, notamment non-gouvernementaux, sont mobilisés (groupes de réflexion, institutions culturelles, organisations de la société civile, universités, diasporas, et médias :

  1. Capture des élites politiques et économiques : corruption, influence indue, offre de cadeaux et autres avantages ou mobilités professionnelles ;
  2. Financement de la vie politique : influence indue et capture politique ;
  3. Ingérence électorale : narratifs trompeurs, attaques de dénigrement ou piratages informatiques contre des candidats, financement de publicités ciblées ;
  4. Manipulations de l’information d’origine étrangères : campagnes de manipulations de l’information visant à façonner l’opinion publique et à renforcer le polarisation politique et le défiance via médias d’État, sites web de désinformation, fermes à trolls et bots sur les réseaux sociaux, influenceurs et journalistes sous influence, intelligence artificielle ;
  5. Coercition économique : investissements directs de puissances étrangères, d’entreprises d’État ou assimilées dans des secteurs stratégiques ou d’infrastructures critiques ;
  6. Utilisation abusive de la coopération universitaire, culturelle, des organisations de la société civile et des think-tanks : dépendances et captures des élites ;
  7. Contrôle, surveillance et répression transnationale des diasporas : ingérences ou manipulation.

L’ingérence étrangère, un phénomène déjà bien appréhendé par le cadre juridique et les pouvoirs publics en France :

  • Sur le plan pénal, le dispositif de répression des atteintes aux intérêts fondamentaux ;
  • Restrictions posées au financement provenant de l’étranger des partis politiques et des campagnes électorales ;
  • Dispositif de lutte contre les atteintes à la probité, y compris la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts ;
  • Dispositif de contrôle des investissements étrangers ;
  • Dispositif de lutte contre les ingérences numériques étrangères ;
  • Dispositif sur l’encadrement des activités de représentation d’intérêts.

Principales recommandations

La France pourrait adopter un dispositif spécifique sur l’encadrement des activités de lobbying et d’influence étrangères effectuées au nom d’États ou d’organisations étatiques étrangères afin de renforcer la transparence des activités d’influence étrangère, de détecter et de sanctionner les activités non-déclarées :

1. Définir les acteurs et les activités d’influence étrangère couverts par le dispositif de transparence, tant l’influence sur les processus décisionnels, mais aussi celle sur le débat public ;

2. Définir les cibles des activités d’influence étrangère, tant les décisions publiques et les processus démocratiques visés que les processus électoraux ;

3. Définir les obligations de transparence pour les activités d’influence étrangère ;

4. Assurer le respect des obligations de transparence, avec un dispositif gradué de sanctions allant de sanctions administratives pécuniaires aux sanctions pénales ;

5. Délimiter le cadre institutionnel permettant l’administration du dispositif, le contrôle, les enquêtes et l’application des sanctions en confiant tout ou une partie de la mise en œuvre du dispositif à la HATVP avec un registre séparé ou unique administré par la HATVP.

6. Renforcer les obligations déontologiques applicables aux responsables et agents publics et aux représentants d’intérêts en matière d’influence étrangère.

7. Renforcer le contrôle sur les carrières professionnelles d’anciens responsables et agents publics au sein d’entités étrangères, au-delà de trois ans pour les activités de représentation.

Communiquer l’Europe inclusive : solidarités, éducation, et égalité pour tous

L’Union européenne s’engage à renforcer les solidarités, le pilier social et les droits sociaux, ainsi que l’égalité hommes-femmes et les droits des minorités. Quelles actions de communication nécessaires pour promouvoir ces piliers essentiels, impliquant Bruxelles, les États membres, leaders d’opinion, journalistes, et le grand public ?

Solidarités, pilier social et droits sociaux

Campagnes de communication sur le pilier social : Des campagnes médiatiques présentant le pilier social de l’UE, mettant en lumière des aspects tels que le salaire minimum équitable, le dialogue social, les meilleures conditions de travail, et le mécanisme de réassurance chômage. Des témoignages et des études de cas pourraient illustrer les avantages concrets pour les travailleurs et les entreprises.

Promotion du socle européen des droits sociaux : Des communications sur les droits sociaux offerts par le socle européen, avec un accent particulier sur des initiatives telles que l’apprentissage de nouvelles compétences, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et l’égalité des chances au travail. La campagne « Let’s make it work » peut être revitalisée pour susciter l’engagement du public.

Éducation, culture, et jeunesse

Communication sur l’espace européen de l’éducation : Des campagnes pour faire de l’espace européen de l’éducation une réalité d’ici 2025, mettant en avant les avantages d’une éducation accessible et de qualité pour tous. Des forums en ligne pourraient discuter des progrès réalisés et des étapes à venir, en particulier auprès des lycéens à la recherche de leur avenir professionnel.

Campagne sur les compétences, l’intégration et l’inclusion : Des communications détaillant la nouvelle stratégie en matière de compétences et le plan d’action pour l’intégration et l’inclusion, avec un focus sur la protection des plus vulnérables. Des partenariats avec des organisations éducatives pourraient renforcer la portée de ces initiatives.

Innovation et recherche : Horizon Europe et espace européen de la recherche : Des communications sur l’avenir de l’espace européen de la recherche et les missions d’Horizon Europe, soulignant l’importance de l’innovation et de la recherche pour le développement durable de l’UE. Des conférences en ligne et des podcasts pourraient explorer les opportunités offertes par ces programmes.

Égalité hommes – femmes et droits des minorités

Législation anti-discrimination : Des campagnes pour informer sur la nouvelle législation anti-discrimination, garantissant l’égalité des chances pour tous. Des interviews avec des experts juridiques pourraient expliquer les implications pratiques de ces nouvelles lois.

Sensibilisation aux droits : Des campagnes de sensibilisation aux droits, mettant en avant l’égalité des genres, ainsi que les droits des victimes. Des ateliers interactifs dans les États membres pourraient encourager la compréhension et le respect de ces droits fondamentaux.

Santé des citoyens

Lutte contre le cancer : Des campagnes de sensibilisation sur le plan européen de lutte contre le cancer détaillant les initiatives clés, mettant en avant les efforts pour améliorer la prévention et les soins contre le cancer. Des témoignages de patients et des informations sur les nouvelles approches de traitement pourraient inspirer et informer le public.

Prévention et soins : Des événements en ligne avec des experts médicaux et scientifiques, permettant aux citoyens de poser des questions et de participer à des discussions sur la manière dont le plan affecte concrètement la vie des patients et des familles.

Garantie de la qualité et la sécurité des médicaments : Des infographies expliquant les tenants et aboutissants de la stratégie, mettant en avant les mesures visant à garantir la qualité et la sécurité des médicaments. Des séminaires en ligne pour les professionnels de la santé pourraient approfondir les détails techniques. Des brochures distribuées dans les pharmacies et les centres de santé pour informer directement les patients.

Santé mentale : Des campagnes multimédias pour sensibiliser le public sur les problématiques de santé mentale, briser les stigmates associés et promouvoir la compréhension. Des vidéos de témoignages et un forum interactif avec des professionnels de la santé mentale, offrant une plateforme pour discuter ouvertement des enjeux et des solutions.

Au total, l’Union européenne intervient dans de nouveaux secteurs, autour de nouvelles problématiques très sociétales, qui intéressent très largement les citoyens, qui constituent autant d’opportunités de présenter l’Europe différemment et de retisser un lien personnel pour chacun.