A l’occasion d’une invitation du think tank européen IIEA, the Institut of International European Affairs, le professeur de droit européen à la chaire Jean Monnet à HEC Paris, Alberto Alemanno, s’est interrogé sur comment rendre intéressant aux médias et aux citoyens les élections européennes de juin prochain ?
Enjeux en route vers les élections européennes de 2024 : une démocratie sans politique
A la question quelque peu provocante de savoir ce que les Européens ne font vraiment jamais ensemble, la seule réponse, en vrai, c’est la politique. Pour les élections européennes, les Européens vont voter à des jours différents, pour des partis nationaux, sur des programmes nationaux et avec des candidats nationaux. Il s’agit d’une compétition domestique, qui est artificiellement agrégée ex-post au sein d’une institution européenne, le Parlement européen.
Toujours ni système européen de partis politiques, ni espace public européen. D’une part, les partis politiques existants sont des alliances légères, sans que quiconque sache qu’elles sont les affiliations des partis politiques nationaux au niveau des groupes politiques du Parlement européen, souvent méconnu avant le résultat et parfois encore après le scrutin. D’autre part, les actualités européennes sont encore largement traitées sous l’angle et les intérêts nationaux.
Par conséquent, l’Union européenne ne souffre pas d’un déficit démocratique, mais d’un déficit d’intelligibilité. Pour le dire autrement, dans l’UE, chaque décision est démocratique mais aucune décision n’est compréhensible, débouchant sur un anti-modèle de démocratie sans politique.
Défis des élections européennes de 2024 : européanisation de la politique
La démocratie européenne sans politique n’est pas sans conséquences. D’une part, un manque d’affectation des responsabilités. Par exemple, au sujet du programme du Green Deal, qui est vraiment responsable des succès ou des échecs, et donc pour qui voter pour approuver ou sanctionner. D’autre part, la politique n’existe pas de manière transnationale, alors que l’européanisation avance plus vite que la politique. Pour le comprendre, deux chiffres illustrent la situation : alors que seuls 3% des citoyens résidents dans un autre pays que celui de leur nationalité dans l’UE, 50% des Européens au contraire sont exposés quotidiennement au projet européen.
Le principal défi des élections européennes de juin prochain réside dans l’européanisation du scrutin. Ce qui veut dire que la première règle, c’est d’embrasser toute forme timide mais nécessaire de parlementarisation. Cela requière que les décisions doivent tenir compte des résultats électoraux dans les prochaines nominations aux principaux postes de responsabilité dans l’UE ; et que la Commission européenne soit responsable devant le Parlement européen.
Le principe des Spitzenkandidaten, que les familles politiques choisissent leur tête de liste choisie en fonction du résultat des élections européennes pour présider la Commission européenne est en question. Seul Juncker, en 2014, est le seul et unique Spitzenkanditat tandis qu’en 20219, les libéraux n’avaient même pas participé, à cause d’En Marche se situant à mi-chemin entre le Fidesz et La Legua.
Pourquoi les citoyens devraient-ils aller voter s’ils n’ont aucun impact, ni sur les politiques publiques, ni sur les leaders politiques en Europe ?
La tentative de modifier la loi européenne pour une réforme électorale a échoué, c’était la première promesse de la nouvelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, mais elle n’a même pas été considérée pendant toute la mandature. Tous les amendements pour européaniser le scrutin comme les listes transnationales et les Spitzenkandidaten ont été rejetés.
Le réveil après les élections prendra du temps puisque les élections courent du mercredi au lundi matin. Le premier résultat attendu est la baisse des partis sortants des principales forces politiques du PPE, des S&D et de Renew, tandis que les Verts seront le plus lourdement sanctionnés et risquent d’être les premiers perdants. Le second résultat sera la progression des députés européens non rattachés à des groupes politiques ainsi que l’extrême droite divisée entre les groupes ID et ECR. Le troisième résultat sera que 58% des députés européens sont des nouveaux élus sans mandat précédent, ce qui pourrait être aussi un facteur déterminant pour la suite.
Les prédictions sont doubles. D’une part, une plus grande européanisation puisque la présidente de la Commission européenne, accidentelle s’étant montrée résiliente, se positionne comme la candidate du TINA, il n’y a pas d’alternative faute de meilleur candidat, endosse le rôle de tête de liste du PPE. D’autre part, une dé-européanisation se manifeste tant par l’absence de partis politiques transnationaux que par l’absence de candidats européens dans d’autres pays que les leurs.
Le risque d’une paralysie de l’ensemble du cycle politique est à craindre. Avec des Commissaires européens nommés par des partis populistes, le défi pour une institution ou le consensus du collège des Commissaires est déterminant est mis en risque, au point de perdre l’intérêt européen qui devrait être au cœur de l’institution supranationale dominée par les intérêts nationaux. Le soutien politique plus faible risque de réduire la capacité de la Commission européenne à produire des décisions politiques, rendant tout plus difficile à négocier et moins facile à délivrer.
Au final, assisterons-nous à un réveil tardif des partis politiques traditionnels pour sauver le projet européen ou au contraire prenons-nous le risque d’une prise d’otage par les populistes qui risquent de paralyser la capacité à produire des politiques publiques européennes, voire à mettre en danger la nature même du projet européen.