Selon Alain Lamassoure de la Fondation Robert Schuman, la réconciliation des peuples voisins, ce qu’il appelle la « paix des cœurs » – puisque « nos pères se haïssaient à mort, nos enfants convolent en justes noces » – exige d’en transmettre le récit par l’enseignement de l’histoire de l’Europe. Quels en sont les défis sachant qu’il s’agit d’une compétence exclusivement nationale et qu’elle risque de le rester encore longtemps ?
Les dilemmes d’un récit du passé à l’âge de la paix et de la mondialisation
Pour enseigner le passé, chaque État-membre de l’UE « se heurte désormais à un dilemme originel » :
- D’une part, la consolidation de l’acquis de la réconciliation risque d’effacer certains épisodes ou personnages liés à la phase sombre du récit national ou européen. Cette réécriture de l’histoire pour la bonne cause dans le sens inverse de la glorification antérieure n’en demeure pas moins problématique.
- D’autre part, « avec la mondialisation, le besoin d’appartenance à un groupe familier, d’affirmation d’une identité collective, de recherche de ses racines, de reconnaissance des « siens », n’a jamais été aussi fort » au risque d’un récit chauvin voire narcissique. Ces récits nationaux rédigés au siècle des nationalités ont beaucoup coûté à la fraternité européenne.
De nouveaux dilemmes contemporains : la pénurie du temps disponible dans les horaires d’enseignement ; le tsunami des sources d’information liées à la révolution internet ; le hiatus entre le contenu enseigné à l’école et « l’école de la vie » (souvenirs familiaux, discours politiques et médiatiques, commémorations) ; l’embarras sur la part d’oubli nécessaire à l’apaisement.
Plutôt que de chercher le fil d’un récit commun, mieux vaut s’assurer que chacun peut écouter celui de l’autre. Pour Alain Lamassoure, « le « narratif commun », en quoi Paul Ricoeur voyait l’identité européenne, n’est pas un récit unique, mais une symphonie de récits, qu’il nous appartient d’accorder ».
Les premiers pas de l’Observatoire européen de l’enseignement de l’histoire
Comment nos sociétés peuvent-elles se réconcilier avec elles-mêmes, comme entre elles, en se réconciliant avec leur passé sachant que l’éducation est fondamentalement une compétence nationale ?
Grâce à un état des lieux de l’enseignement de l’histoire dans les pays européens, une photographie complète, exacte, certifiée, mais dépourvue du moindre commentaire critique, depuis la conception des programmes jusqu’à la nature des examens, en passant par la formation des enseignants ou le statut des manuels.
La première publication du tableau complet aura lieu en 2023, pour Alain Lamassoure, « l’effet de choc sera garanti devant la découverte des différences énormes entre les systèmes nationaux : dans la moitié des États membres de l’Union, y compris parmi certains pays fondateurs, la construction européenne, ses traités de base, ne figurent même pas au programme d’histoire contemporaine »…
Le but final n’est pas de parvenir à un « roman européen » uniformisé, aseptisé, présentant une version commune « politiquement correcte » de notre passé commun. De la réconciliation entre nos peuples via des dizaines de récits nationaux différents doit émerger la conscience de l’appartenance à une destinée européenne commune.