S’il est bien un sujet où le compromis à l’européenne n’est guère possible, c’est bien la défense, qui nécessite des lignes de stratégie. Quel est l’état du débat au-delà des querelles de concepts et des postures incantatoires, grâce aux vifs échanges lors d’un colloque sur l’Europe à l’Assemblée nationale ?
Réquisitoire pessimiste mais réaliste d’Arnaud Danjean sur le réveil stratégique réversible de l’Europe
Spécialiste des questions de défense au Parlement européen, Arnaud Danjean reconnaît une prise de conscience conjoncturelle et des progrès réversibles :
- L’élection de Biden est un soulagement pour tous et un espoir illusoire de retour à la relation transatlantique où les Européens reprennent leur vieux réflexe et se délestent des obligations de défense sur les Américains.
- Le conception d’autonomie stratégique de l’UE « a du plomb dans l’aile », puisqu’il se voit éjecter des conclusions des Conseils européens et si on perd l’expression, le fond ne sera pas réhabiliter.
- Les instruments souffrent d’un certain ralentissement : le fond européen de défense, c’est « mi chèvre, mi choux », avec seulement 8 milliards d’euros, il ne sera pas promoteur et accélérateur de nouvelles solutions.
- La coopération structurée permanente représente 42 projets qui ne permettent pas de combler nos retards.
- Les opérations de l’UE sont au point mort, aujourd’hui on ne saurait pas refaire des opérations antérieures, faute d’un mandat aussi robuste. On en reste aux missions d’entrainement et de formation mais on ne répond pas aux besoins face aux solutions de combats des puissances régionales.
- La politique étrangère et de sécurité de l’UE n’est pas à la hauteur des enjeux faute d’unanimité face aux grandes puissances.
Le renoncement, c’est que l’UE se perçoit comme un médiateur universel de valeurs qui ne veut pas s’engager dans le rapport de force alors que l’UE devrait être un acteur en termes d’intérêts. L’ironie de l’histoire, c’est que l’administration Biden insistera peut-être encore davantage pour que les Européens se prennent en main.
Claude-France Arnould, ancienne directrice de l’agence européenne de défense : « le soft power pour l’UE, le hard power pour les USA »
Le paradoxe, c’est que des décennies de programmations atlantiques débouchent sur le désarmement de l’Europe. On blâme l’UE, alors que la situation actuelle, c’est l’héritage de l’OTAN où l’on fixe des objectifs inatteignables que l’on se fait pardonner en achetant du matériel américain. Les forces européennes sont à 80% dépendantes des forces américaines. L’atlantisme, c’est une manière illusoire de s’exonérer de nos nécessaires efforts de défense.
Aujourd’hui, il faut réarmer en fonction des menaces actuelles et réelles (le cyber, l’espace, l’Intelligence artificielle) avec une forte exigence d’efficacité pour des systèmes d’armes à haute technologie et dans un cadre européen avec de vrais programmes en repensant nos instruments.
Nicole Gnesotto : « plus les Américains auront une vision large de leur leadership, plus les Européens devraient être sensibles à leur autonomie »
Lors de la crise des missiles en 1983, c’est une réponse européenne qui fut apporter à u problème atlantique : ni rouge, ni mort ! Aujourd’hui, pacifisme et atlantisme, c’est le même combat, c’est la même chose, il ne faut pas les opposer. Plus les Européens ont envie de se dédouaner des responsabilités stratégiques dans le monde, plus les Européens ont besoin d’une OTAN efficace. D’ailleurs, quand l’Allemagne intègre l’Alliance atlantique en 1952, les Européens sortent de l’histoire.
L’Alliance atlantique est une école de déresponsabilisation des Européens vis-à-vis des risques et des menaces. Les Européens ont désappris à gérer les affaires du monde avec l’OTAN.
Être Européen en matière de défense aujourd’hui, ça veut dire 2 choses :
- Penser une vision du monde plus complexe, moins binaire que l’affrontement binaire de la pensée américaine. Il faut articuler une vision du monde au-delà du manichéisme entre les démocraties et leurs ennemis, la rhétorique portée par Biden.
- Décider en Européen, cesser l’obsession du militarisme et penser la défense, au-delà du militaire comme une décision de souveraineté.
Le vrai défi, c’est la définition que les Américains vont donner à leur leadership, sur le militaire avec l’OTAN, sur les investissements directs à l’étranger, sur le commerce international et sur les futures innovations technologiques de rupture.
La puissance européenne, ce n’est pas que le militaire, c’est une vision globalisée de la notion de souveraineté pour maintenir la possibilité d’un troisième pôle européen dans l’ordre mondial.
Franziska Brantner, députée Vert allemande : « des capacités d’action pour une sécurité commune »
Plusieurs mises en garde salutaires :
- Si la stratégie de défense en Europe est d’inspiration française autour de la puissance militaire, alors que la méfiance vis-à-vis de Paris est plus importante que celle de Washington en Europe, elle n’existera pas. C’est aussi vrai de la vision allemande qui démilitarise les questions de défense.
- Les capacités d’action de l’UE en matière de défense ne se feront pas contre les États-Unis, mais justement pour rester de bons partenaires et ne pas prendre le risque de faire s’effondrer toutes les démocraties.
Les défis sont multiples : des acteurs numériques européens beaucoup plus solides face au GAFAM et BATX ; un euro beaucoup plus fort sur la scène internationale ; un lien beaucoup plus logique entre commerce, énergies et climat et une vision du marché de la défense beaucoup plus intégrée pour créer des instruments vraiment européens.
Laissons la conclusion, dans le fil des échanges, à Jean-Louis Bourlanges qui estime que le passage à une Europe de la défense, nous ne saurons le relever, que si nous nous donnons des objectifs qui soient accordés avec notre volonté faible en matière de fighting spirit, une sorte d’intermédiaire entre le létal et le bisounours.