Alors que le scrutin est encore lointain pour les citoyens qui seront appelés aux urnes en mai prochain, l’atmosphère en matière européenne est pour le moins paradoxale. Revue des principaux paradoxes du moment…
Le paradoxe classique d’un scrutin européen mangé par les enjeux de politique intérieure
Comme souvent, selon Jean-Louis Bourlanges dans l’émission Le Nouvel Esprit Public, le 3 février, le débat européen en France est mangé par des enjeux de politique intérieure. Non seulement, la campagne va se dérouler entrecoupée des longs week-ends du mois de mai, mais surtout les conséquences du grand débat national et l’éventuel référendum vont venir escamoter le débat européen.
Plutôt que de s’intéresser aux éventuels programmes et propositions pour le futur de l’UE, la scène médiatique est davantage préoccupée par l’écume liée au choix des têtes de liste ; ce qui générera le ressentiment des électeurs qui n’auront pas eu le sentiment que les vrais sujets auront été abordés et tranchés par les résultats électoraux.
Le paradoxe contemporain d’un projet européen dorénavant à sauvegarder
Hérité des années 1950 et des Trente Glorieuses, le projet de construction européenne, reposant sur la démocratie représentative, le multilatéralisme en politique étrangère, l’économie sociale de marché régulée et redistributive est dans le climat actuel tombé du côté des « avantages acquis » à sauvegarder face à la poussée populiste.
La mobilisation des extrêmes autour d’une dynamique paneuropéenne et de leur éventuel coalition – quoiqu’illusoire en majeur partie – tire le jeu politique non plus vers le sinistrisme qui poussait les forces politiques vers une montée irrésistible des forces « progressistes » mais bien davantage vers un affrontement entre la sauvegarde de la construction européenne co-construite par la social-démocratie et la démocratie chrétienne et la destruction sous la pression des forces populistes et néo-conservatrices.
Le paradoxe médiatique européen de débats éloignés des attentes
Dans les médias, le débat autour de l’Europe se traite davantage sous l’angle doctrinal, idéologique ou théorique sur la forme de la construction européenne, sur des décisions arbitrales pour ou contre telle ou telle action (l’euro, Schenghen…) ou des sujets forcément polémiques, comme l’immigration.
Dans les sondages, ou lors des consultations citoyennes européennes, les attentes du public sont, en revanche, beaucoup plus prosaïques, concrètes pour faire avancer l’Europe de l’apprentissage et de la formation tout au long de la vie pour faire face aux changements, de la progression des protections, notamment sociale ou encore de la lutte contre les changements climatiques, sans compter tous les enjeux régaliens de l’Europe : défense, justice et droits fondamentaux.
Le paradoxe européen d’une élection à finalité incertaine
La finalité des élections européennes n’est pas – plus – consensuelle :
- S’agit-il d’« élire » le futur président de la Commission européenne via le système des Spitzenkandidaten qui consiste à imposer aux chefs d’État et de gouvernement la tête de liste du parti européen arrivé en tête le soir du scrutin, sachant que ce système n’est plus défendu par tous les membres du Conseil européen ?
- S’agit-il de choisir les représentants qui défendront les orientations politiques soutenues par les citoyens, la première consistant à approuver ou désapprouver le président de la Commission européenne nommé par le Conseil européen, puis chaque Commissaire et chaque projet de texte sur la base de coalition ad hoc ?
Le lendemain du scrutin européen n’a jamais été aussi indéterminé, non seulement en raison de la fébrilité face à la vague annoncée de populisme mais surtout à cause de l’inconnu du Conseil européen, qui pencherait vers une nomination de circonstance « en fonction des résultats », selon les termes du traité de Lisbonne, mais donc indépendamment du système des Sptizenkandidaten.
Le paradoxe europhobe d’une détestation de l’UE qui fait la démonstration de sa raison d’être
Dernier paradoxe soulevé par le correspondant des Echos à Bruxelles Gabriel Grésillon dans « la très paradoxale percée des europhobes ». Selon lui, « à mesure que les partis populistes s’imposent dans le paysage européen, leur discours ouvertement hostile à l’Union donne à cette dernière une reconnaissance politique inégalée ».
Ce paradoxe des partis eurosceptiques radicaux – dit europhobes – est également pointé par France Culture qui constate que « la posture anti-européenne des eurosceptiques radicaux rejoint un positionnement anti-système, anti-élite, censé avoir des retombées électorales. Une façon donc de s’ancrer un peu plus dans le système politique qui est en théorie rejeté. »
Au total, les balbutiements de la campagne électorale 2019 sont à plus d’un titre paradoxaux : les opposants les plus farouches légitiment en dépit l’Europe tandis que les acteurs censés les plus européens délégitiment en partie le scrutin européen.