À partir des travaux de Clément Mabi dans « Citoyen hackeur – Enjeux politiques des civic tech », tentons l’exercice de cartographier les initiatives de civic tech européennes, ces « outils numériques ayant pour ambition de transformer le fonctionnement de la démocratie, d’améliorer son efficacité et son organisation grâce à un renouvellement des formes d’engagement des citoyens »…
Cartographier les civic tech
Clément Mabi propose une cartographie des civic tech autour de 2 tensions :
1. « Le degré d’institutionnalisation de chaque civic tech et la proximité qu’elle entretient avec les pouvoirs publics :
- d’un côté les projets inscrits dans une logique de contre-pouvoir, une sorte de lobby citoyen afin de peser sur les institutions de l’extérieur ;
- de l’autre, les projets qui collaborent fortement avec les pouvoirs publics et tentent d’agir en tenant compte des contraintes institutionnelles. »
2. « La volonté de transformation sociale des projets, avec d’un côté ceux qui cherchent à approfondir la démocratie institutionnelle et de l’autre ceux qui souhaitent transformer son organisation et renouveler son fonctionnement. »
De ces tensions, 4 grandes familles de civic tech se dégagent pour renouveler, plus ou moins profondément, le fonctionnement de la démocratie :
Les « critiques externes »
Les initiatives qui relèvent de la contre-démocratie et qui cherchent à approfondir le fonctionnement de la démocratie représentative par un meilleur contrôle des représentants et une connaissance plus fine de son fonctionnement. On trouve ici les initiatives qui luttent pour améliorer la transparence de l’action publique et la circulation de l’information.
A l’échelle européenne :
European Integrity Watch surveille l’intégrité des décisions prises par l’UE afin de contribuer à accroître la transparence, l’intégrité et l’égalité d’accès aux décisions de l’UE et à surveiller les institutions de l’UE.
LobbyFacts donnent des indications sur le lobbying d’entreprise et d’intérêt public, les dépenses des organisations en lobbying et les rencontres avec la Commission et le Parlement européen.
FactcheckEU a été la première plateforme européenne de crowd-checking collaboratif de vérification par les faits sur l’Europe.
VoteWatch Europe rapporte des informations non partisanes sur les actions réelles des acteurs politiques européens : décisions prises dans les institutions de l’UE et développements dans les États membres.
Les critiques externes sont pour le moment les acteurs les plus anciens et les mieux installés sur la scène européenne.
Les « réformateurs externes »
Les « réformateurs externes » cherchent à approfondir le fonctionnement de la représentation en favorisant la collaboration entre citoyens et institutions. Cette dynamique inclusive peut prendre différentes formes, de la consultation des citoyens (sondages) à la co-construction de l’action publique en passant par de l’éducation civique.
A l’échelle européenne :
Search Europa, un moteur de recherche de documents européens, développé par l’European Journalism Centre afin de faciliter l’accès à l’information européenne pour les journalistes.
Citizen Initiative travaille exclusivement pour l’introduction et la mise en œuvre réussie de l’Initiative citoyenne européenne, le premier outil mondial de démocratie participative, transnationale et numérique.
Politix souhaite renforcer les interactions entre les décideurs et les citoyens via une plateforme conçue comme une « boucle de rétroaction » entre les politiciens et les citoyens.
Les réformateurs externes sont pour le moment la catégorie de civic tech la plus diverses en Europe.
Les « réformateurs critiques »
Les « réformateurs critiques » relèvent de la contre-démocratie et visent à transformer la démocratie institutionnelle. Le mode d’action repose sur la mobilisation de la société civile en vue de faire pression sur les gouvernants pour mettre des sujets à l’ordre du jour et tenter d’influer sur le cours de la décision.
A l’échelle européenne, WeMove vise à créer une communauté citoyenne européenne pour améliorer les décisions prises au niveau européen via des campagnes de mobilisation en ligne afin de mettre l’activisme de masse au profit de campagnes ciblées et de combler le fossé entre Bruxelles et les citoyens.
Les « hackeurs embarqués »
Les « hackeurs embarqués » rassemblent les acteurs qui cherchent à réformer en profondeur le système tout en s’y impliquant. Leur objectif est de hacker la démocratie au sens propre du terme, de participer à son fonctionnement pour le modifier de l’intérieur, en profitant de ses ressources.
Pour Clément Mabi, « les résultats de ces expérimentations sont modestes mais ouvrent d’intéressantes perspectives, notamment en invitant les citoyens à s’interroger de manière critique sur le contenu et le fonctionnement de la représentation démocratique ».
A l’échelle européenne, le projet The Good Lobby vise à organiser une forme de lobbying citoyen, en forgeant des partenariats non conventionnels entre des bénévoles experts (universitaires, avocats, professionnels des affaires publiques) pour partager leurs compétences et des ONG travaillant sur les questions sociales et politiques les plus importantes d’Europe afin de faire pression pour l’intérêt public.
Au total, l’écosystème des civic tech européennes est encore émergent mais en plein développement.