Archives mensuelles : avril 2015

Pourquoi la communication de l’UE a un problème de publics ?

Quelque soit l’outil ou l’action de communication européenne ; et d’autant plus aujourd’hui que les « citoyens » sont placés en théorie au cœur des stratégies de messages, l’UE souffre d’un problème entre les publics visés et les cibles atteintes. Pourquoi ?

Comprendre la différence entre une cible de papier et un vrai public

La communication de l’UE doit progresser afin de s’adresser vraiment à une cible définie suivant des critères socio-démographiques plutôt que d’annoncer l’intention de s’adresser au grand public, ou aux jeunes – deux « publics » qui en soient n’existent pas.

Autrement dit, il vaut mieux identifier quelques acteurs clés, à la fois relais et prescripteurs et vraiment développer un projet qui les concernent et dans lequel ils sont impliqués, plutôt que produire des supports « tout public » et espérer une large diffusion sans cibler, comme c’est trop souvent le cas.

Comprendre la défaillance des médiateurs naturels de l’UE

Idéalement, la communication de l’UE devrait s’appuyer sur les médiateurs traditionnels que sont les journalistes, les responsables politiques et les enseignants, bref, sur les leaders d’opinion (cf. two-tier flow of communication).

Mais, comme l’analyse le rapport Herbillon sur la « fracture européenne », les médiateurs naturels de l’Europe sont défaillants :

La défaillance des élus : « L’Europe ne fait pas l’élection »

L’Europe n’est généralement pas considérée par les élus comme un atout pour gagner les élections, sauf comme un combat contre « Bruxelles ». Au mieux, la construction européenne est perçue comme un mal nécessaire, sans passion ni véritables convictions. En résumé, on gagne une élection contre l’Europe, pas grâce à elle.

La défaillance des médias : « L’Europe ne fait pas vendre »

Dans une large mesure, l’agenda médiatique ne fait, la plupart du temps, que suivre l’agenda politique. Les journalistes seraient responsables mais pas coupables du déficit d’information des Français sur l’Europe, qui ne serait que le reflet du désintérêt d’une grande partie de la classe politique pour la construction européenne.

Les caractéristiques du traitement médiatique des affaires européennes, tous médias confondus sont :

  • l’Europe est le plus souvent présentée sous le seul prisme national ;
  • les journalistes privilégient une approche concrète des questions européennes alors que les débats institutionnels de l’UE restent l’affaire des spécialistes ;
  • les médias ont besoin d’un conflit ou d’une crise pour évoquer l’Europe.

Bref, les médias s’intéressent à l’Europe à travers les polémiques qui ont un impact national.

La défaillance des enseignants : « L’école n’a pas à faire la propagande de l’Europe »

La pédagogie sur l’Europe est essentiellement abordée dans le cadre des programmes d’histoire et de géographique et des cours d’instruction civique. Il n’existe pas d’enseignement spécifique sur la construction européenne, à la différence de certains pays de l’UE.

Comprendre le cœur de cible des « publics forts » de l’UE

Dernier problème de publics de l’UE, l’importance que représente les « publics forts », selon la typologie établie par E.O. Eriksen, constitués d’individus ou d’organisations intégrés au milieu institutionnel européens et proches des centres de décision à Bruxelles.

Ces publics captifs vivent de l’UE soit directement en tant que fonctionnaires européens ou militants subventionnés par l’UE soit indirectement pour les lobbyistes et les publics segmentés, organisés autour de préoccupations communes ou spécialisés sur des thématiques spécifiques dans un entre soi social élitiste, très éloignés des citoyens ordinaires.

Au total, la communication de l’UE doit-elle être dépensée à tenter d’influencer des leaders d’opinion défaillants ou à revendiquer des « citoyens » pris comme cible de papier ?

Comprendre l’importance de l’indifférence des citoyens européens face à l’Union européenne

Faire le bon diagnostic pour agir efficacement devrait constituer la mission première de la communication européenne. Aujourd’hui, les termes choisis par Marc Abélès semblent bien poser les choses : « l’Europe représente (…) une sorte de planète éloignée que les citoyens scrutent avec appréhension, parfois avec résignation ». Comment comprendre cette « distance planétaire » entre les Européens et l’Union européenne ?

L’analyse erronée de la pseudo-thèse d’une attitude de rejet ou d’opposition des citoyens européens face à l’UE

Virginie Van Ingelgom, dans « Mesurer l’indifférence. Intégration européenne et attitudes des citoyens » effectue un travail salutaire d’analyse de l’opinion des Européens vis-à-vis de l’UE.

Rien n’est plus faux que l’« hypothèse d’un changement dans les attitudes des citoyens européens envers l’intégration européenne au cours du temps, en termes à la fois de rupture du « consensus permissif » et de passage au « dissensus contraignant » ».

Certes, la période du consensus permissif correspondant à une large approbation en faveur du processus d’intégration, qui aurait prévalue des années 1950 jusqu’au début des années 1990 ne souffre aucune erreur d’analyse et d’interprétation.

Mais, la thèse du « dissensus contraignant » qui fait l’analyse d’une période de remise en question du projet d’intégration européenne depuis le début des années 1990 ne se confirme pas dans les faits.

Le postulat faux consiste à considérer que la visibilité accrue de l’Europe aurait entraîné une politisation progressive des enjeux européens et par là une polarisation des attitudes des citoyens européens, marquée par une augmentation des opinions défavorables, au fil de la consolidation du processus d’intégration européenne.

Au total, la lecture basée sur le diptyque « rupture du consensus permissif et montée de l’euroscepticisme » n’offre pas la grille d’analyse pertinente de la réalité de l’opinion publique européenne.

L’analyse féconde de la thèse d’une attitude d’indifférence et d’indécision des citoyens ordinaires face à l’UE

À partir des données de l’Eurobaromètre, Virginie Van Ingelgom « démontre que le changement principal au sein des attitudes dans l’ère post‑Maastricht est un déplacement vers une attitude indifférente et indécise » des citoyens ordinaires. Un phénomène massif resté pourtant jusqu’à présent peu étudié.

Les mouvements profonds de l’opinion publique européenne ne correspondent pas à l’imagerie d’Epinal de peuples européens frappés par l’euroscepticisme. Bien au contraire, à mesure que le soutien des citoyens à l’UE diminue, la catégorie indifférente et indécise augmente, et cela plus rapidement que les réponses qui manifestent un rejet.

Au total, « loin d’être devenus majoritairement plus eurosceptiques, les citoyens sont à présent principalement, et avant tout, plus ambivalents et indifférents face à l’intégration européenne », conduisant à un aplatissement de la distribution des attitudes des citoyens vis-à-vis de l’UE.

La mobilisation supposément accrue des médias autour des enjeux européens, ainsi que les discours souvent réitérés sur l’avènement d’une période marquée par l’euroscepticisme contribuent probablement à expliquer pourquoi les observateurs ont conclu à une augmentation de la polarisation des attitudes des citoyens

Le choix des instruments de mesure et des temporalités, portent également leur part de responsabilité dans l’aveuglement relatif des « européanistes » face à ce qui se déroulait pourtant sous leurs yeux.

En conclusion, Virginie Van Ingelgom estime que « la non‑polarisation des citoyens à l’égard de l’intégration européenne n’est pas en soi un phénomène nécessairement négatif pour l’ordre politique européen, aussi longtemps qu’elle reflète l’acceptation passive du jeu politique ».

Plus que l’euroscepticisme, c’est sans doute l’indécision et l’imprédictibilité qui en découle qui contraignent aujourd’hui les décideurs européens et l’indifférence génératrice d’apathie qui menace la légitimité du processus d’intégration européenne.

Au total, pour revenir à la mission première de la communication européenne, il n’a jamais été aussi important aujourd’hui de faire la bonne analyse des attitudes des citoyens européens entre l’impasse de la polarisation – le rejet et l’opposition ne progressent pas – et l’importance de l’indifférence de plus en plus majoritaire.

10 ans après le rapport Herbillon : quelles actualités des « leviers du changement » pour européaniser la vie publique ?

À l’occasion des 10 ans du rapport Herbillon sur la « fracture européenne », l’occasion se présente de mesurer l’étendue du chemin qui reste à parcourir « pour changer d’échelle et toucher un public de masse ». Quid des trois leviers du changement : la formation, la médiatisation et la proximité ?

Le levier de la formation est au point mort, encore pour longtemps ?

Pour le député Herbillon, « il s’agit là autant de la formation initiale (à l’école) que de la formation continue, autour d’un objectif : former les principaux relais que sont les élus, les fonctionnaires, les responsables associatifs et syndicaux, les journalistes et les enseignants ».

Non seulement cet effort de formation reste aujourd’hui trop ponctuel et limité à certaines professions pour les adultes, mais surtout l’ambition même de former largement les nouvelles générations à l’Europe passe en second plan, puisque l’enjeu est sous le radar des classements internationaux qui obnubilent l’Education nationale et les écoles supérieures privées.

Le levier de la médiatisation est en régression, faute de moyens ou de volonté ?

Pour le député Herbillon, « le traitement médiatique des affaires européennes est la clé de voûte de l’information sur l’Europe ».

Sur le principe, tout le monde s’accorde pour que les médias, et la télévision en particulier, doivent contribuer à rendre l’Europe plus accessible, plus ludique et plus visible. La plupart reconnait qu’il ne faut pas privilégier le seul canal de l’information, mais aussi élargir le traitement médiatique des affaires européennes à la fiction et au divertissement.

La médiatisation doit permettre la popularisation de l’Europe. Mais les médias ne fonctionnent qu’à condition qu’il existe un événement. Il faut un prétexte que l’Europe n’a jusqu’à présent pas su trouver.

10 ans après, les « prétextes » pour que l’Europe soit davantage dans les médias semblent plutôt en régression, faute de moyens dans les rédactions ou à cause d’un manque de volonté d’éveiller les publics ?

Tant que les médias ne tenteront pas d’aborder différemment la thématique européenne, il ne leur sera pas possible d’atteindre un public plus large.

Le levier de la proximité en légère progression, vouée à la dispersion éternelle des moyens ?

Pour le député Herbillon, « le débat sur l’Europe souffre d’un double déficit de permanence et de proximité. L’information doit s’adapter aux attentes et aux préoccupations des citoyens (…) Sur le terrain, les élus doivent s’approprier les questions européennes et en débattre avec leurs administrés ».

Là encore, le constat et le vœu (pieux) sont impeccables et n’ont pas pris une ride. Mais la réalité – malgré les nombreuses initiatives institutionnelles (dialogues citoyens de la Commission européenne, centres Europe Direct…) ou associatives – est toujours plus contrastée.

Pire, impliquer de façon régulière l’ensemble des acteurs de la société civile, à travers une structure permanente de débat et de consultation qui parvienne à dépasser le cercle des initiés et rassemble associations, organisations professionnelles ou syndicales, chambres de commerce, ordres ou clubs sportifs, afin d’être aussi représentative que possible de la société civile, demeure aujourd’hui inenvisageable.

Au total, les « leviers de changement » pour refonder la politique d’information et de communication sur l’Europe en France posés dans le rapport Herbillon sont restés dans les cartons, jusqu’au prochain échec d’un référendum ?