Hier soir, la Fondapol organise à l’occasion de la sortie en librairie du livre traduit de Luuk van Middelaar : « Le passage à l’Europe : histoire d’un commencement » une discussion avec Luuk van Middelaar, l’auteur, Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue Le Débat et éditeur du livre chez Gallimard, Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen et Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol.
Dominique Reynié : quelle est la place des peuples dans la construction européenne ?
Afin d’illustrer l’approche de l’Europe de Luuk van Middelaar et de l’interroger sur la place des peuples dans la construction européenne, Dominique Reynié formule 2 interrogations.
Comment devenir Européen ?
Tandis que Luuk van Middelaar propose 2 orientations l’une autour d’un projet de paix qui inviterait les ressortissants nationaux à devenir des citoyens du monde et l’autre autour d’un projet de puissance qui viserait à affirmer une identité européenne, Dominique Reynié propose une 3e voie avec un projet de souveraineté qui consisterait à maîtriser le destin européen face à la mondialisation.
Quelle stratégie pour devenir Européen ?
Luuk van Middelaar envisage 3 stratégies possibles : l’approche identitaire à l’allemande capitalisant sur la culture et les valeurs européennes, l’approche clientéliste à la romaine s’appuyant sur des rétributions et des services et enfin, l’approche civique à la grecque de gestion commune des affaires publiques. Dominique Reynié convoque 2 possibilités concrètes de mise en œuvre : d’une part, l’évolution des Eurobaromètres pour en faire un véritable outil de participation des Européens à la décision publique européenne et d’autre part, la création d’un référendum européen pour solliciter les Européens non comme public mais comme citoyens.
Marcel Gauchet : quelle est l’originalité du phénomène politique européen ?
Ancien maître de Luuk van Middelaar, Marcel Gauchet qui salue « le 1er livre qui arrive à rendre intéressant l’histoire de l’Europe » formule une question quant à cette construction européenne irréductible aux catégories juridiques : le fonctionnement actuel de l’UE reposant sur l’intergouvernemental est-il un système durablement viable ? une anomalie temporaire ? ou une dynamique inédite ?
Pour Luuk van Middelaar, toute la construction européenne repose sur un phénomène inédit : la dialectique de la règle et de l’événement. Depuis plus de 50 ans, l’Europe s’est construite par une tension permanente entre la sphère externe des États et la sphère interne des institutions européennes, ce qui donne naissance à une sphère intermédiaire au sein de laquelle les Européens partagent des responsabilités. Par la force des événements, les espaces publics nationaux sont saisis, malgré eux, par les règles européennes et avec la crise économique actuelle, l’Europe – via l’euro en particulier – s’impose dans les faits pour les gens.
Jean-Louis Bourlanges : quel est le succès de l’Europe aujourd’hui, le retour du besoin d’Europe ou le détricotage de la méthode communautaire ?
Jean-Louis Bourlanges formule un compliment – très centriste – en reconnaissant à Luuk van Middelaar d’inventer « l’eau tiède » entre « le modèle metternichien » des relations entre États et la vision « youkadi-youkada » des fédéralistes.
Sur le détricotage de la méthode communautaire, Jean-Louis Bourlanges avance que la méthode communautaire qui fonctionnait en reposant sur un équilibre entre les États et les institutions européennes est en train de voler en éclat avec la crise des États. Depuis 2 ans, la succession des Conseils européens et le couple Merkozy ont transformé l’écorchure (la crise grecque) en septicémie (la crise de l’euro). Et si, en politique, le succès est un signe de vérité, alors le dérèglement du fonctionnement européen est un vrai fourvoiement.
Sur le retour du besoin d’Europe, le timing européen est particulièrement à contre-temps. Les années 1990 furent l’époque de l’Europe triomphale avec l’élargissement, la démocratisation et la création de l’euro alors que le sentiment général était à l’inutilité de l’Europe puisque l’histoire était finie (Francis Fukuyama), les États-Unis étaient une hyper-puissance (Hubert Védrine) et la mondialisation heureuse (Alain Minc). Avec les années 2000, tout ça s’est révélé faux, mais entre temps le détricotage de l’Europe était à l’œuvre.
Sur ces 2 points, Luuk van Middelaar répond que la crise oblige les États à redécouvrir qu’ils ont besoin les uns des autres et que dans cette mise à l’épreuve de l’être ensemble européen, les raisons politiques en faveur de la construction européenne l’emporteront. Selon lui, la construction européenne manifeste la naissance d’un purgatoire, la création d’un monde viable entre des États devenus impuissants et un monde ingouvernable.