Déficit démocratique de l’Europe : entre mythe et réalité ?

Il n’y a pas de concept sur l’Europe plus soumis à de multiples interprétations que la notion de « déficit démocratique » devenu un lieu commun – depuis son apparition dans les années 1980 – sur une construction européenne qui se serait construite sans consulter les peuples. Tentative de décryptage de ce paradoxe qui veut que l’Europe, qui est un espace démocratique, souffre cependant d’un déficit démocratique, mais lequel ?

Le déficit démocratique est une réalité.

Ce point de vue semble le plus évident. Il en recouvre pour autant plusieurs réalités :

Réalité historique : une sorte d’effet boomerang, selon Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, Chercheur à l’IRIS : « le déficit démocratique serait le résultat politique du mode de production historique de la Communauté économique européenne puis de l’Union européenne ».

La construction de l’UE apparaît comme le fruit d’une stratégie de contournement, de tâtonnements et de compromis intergouvernementaux, un palliatif de l’impossible grande stratégie fédéraliste et politique.

Réalité politique : un symptôme du manque de pédagogie des responsables politiques, selon René Andrau dans « Dieu, l’Europe et les politiques » : « la construction européenne n’est pas compatible avec les valeurs républicaines : les communautés se substituent à la nation, la gouvernance à la souveraineté populaire, les droits fondamentaux de la personne aux droits de l’homme et du citoyen… »

La construction de l’UE apparaît comme la réalisation d’un projet aux procédures et aux institutions qui ne correspondent pas à la culture et aux pratiques politiques nationales.

Réalité sociologique : une forme de procès en élitisme, selon Olivier Costa et Paul Magnette « Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne » : une minorité agissante, multilingue, experte et modernisatrice, unie par une culture des intérêts communs, aurait « utilisé des registres peu politisés pour promouvoir les institutions et les politiques supranationales ».

La construction de l’UE apparaît comme une période d’invention empirique marquée par l’importance accordée au droit et aux avancées jurisprudentielles.

Réalité médiatique : un déficit de visibilité, selon Julien Navarro, Docteur en science politique, Chercheur associé à SPIRIT – Sciences Po Bordeaux : C’est sans doute là que réside le principal déficit démocratique de l’Union européenne aujourd’hui : dans l’absence d’intérêt médiatique véritable pour les institutions et les politiques de l’Union européenne.

La construction de l’UE apparaît sous la forme d’une faible visibilité médiatique récurrente conduisant à minimiser l’importance des élections européennes et à régulièrement renforcer l’abstention.

Le déficit démocratique est un mythe.

Ce point de vue semble plus iconoclaste. Il en demeure pas moins instructif.

Mythe de bureaucrate : une invention d’eurocrate, selon la thèse de Luuk van Middelaar, auteur de « Passage à l’Europe : histoire d’un commencement » présenté dans l’interview donné hier sur ce blog : « C’est une métaphore de comptable : les entrées et les sorties doivent correspondre. Transposée à la politique, cette image propage l’idée selon laquelle un EX-ercice du pouvoir européen peut seul être contrôlé et balancé par une IN-fluence du Parlement. »

Mythe de politiste : une inquiétude injustifiée, selon Andrew Moravcsik, professeur de science politique et directeur du Programme sur l’Union européenne de l’Université de Harvard : « évalué à l’aune des critères prévalant dans les démocraties industrielles avancées plutôt qu’à celle d’une démocratie plébiscitaire ou parlementaire idéale, l’UE bénéficie d’une légitimité démocratique (…) L’UE redresse, plus qu’elle ne crée, les distorsions dans la représentation politique, la délibération et les outputs ».

Ainsi, entre visions mythique ou réaliste, la notion de « déficit démocratique » révèle surtout une Europe « à la recherche de son public », en crise de légitimité, en interrogation d’abord sur un plan symbolique, en raison probablement de l’absence d’un espace public européen, espace symbolique propre à l’Union européenne.

Reste à savoir sur quelle(s) stratégie(s) – synthétisée par Luuk van Middelaar – faut-il s’appuyer pour lutter contre ce fléau :

  • stratégie « allemande » mettant l’accent sur la thématique identitaire (culture et symboles) ?
  • stratégie « romaine » misant sur les « clientélismes » intéressés des politiques communes (de la PAC à la PESC) ?
  • stratégie « grecque » enfin portant haut les valeurs de « citoyenneté » (« pétition », « parlement », constitution etc…) ?

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