De l’importance de l’exemplarité dans les actes : le cas des nominations à la Commission européenne

A force d’analyser la stratégie de communication de l’UE – visant à bâtir un discours s’appuyant sur des preuves concrètes de l’action de l’UE dans la vie quotidienne des citoyens européens – on en oublierait presque l’importance des actes de l’UE et de leur exemplarité pour la crédibilité et l’image de l’UE…

Les nominations à la Commission européenne : des enjeux et des actes

La nouvelle Commission européenne devrait prochainement entrer en fonction et les nominations à différents niveaux (les Commissaires, les porte-parole de la Commission, les membres des cabinets) sont autant d’enjeux d’exemplarité :

  • enjeux liés aux nationalités : afin de respecter les souverainetés nationales, la distribution des portefeuilles répond à une règle précise avec un Commissaire pour chaque Etat membre. Néanmoins, selon Euractiv, « une note interne souligne que de nombreux cabinets sont trop orientés en termes de nationalité, avec une prédominance trop évidente de fonctionnaires issus du même pays que le commissaire qui les a sélectionné ». Le cabinet de José Manuel Barroso apparaît plutôt déséquilibré avec 6 Portugais dans une équipe composée jusqu’ici de 14 membres.
  • enjeux liés aux langues : afin de respecter le multilinguisme, l’équipe du service de porte-parole devrait répondre le plus possible au plurilinguisme. Néanmoins, la tendance à l’hégémonie linguistique de la langue anglaise semble confirmée selon Euractiv, : « 11 des 26 porte-parole déjà désignés pour la prochaine Commission européenne sont anglo-saxons ».
  • enjeux liés aux genres : afin de respecter la parité, l’équilibre entre les hommes et les femmes devrait être l’un des objectifs comme le cabinet de José Manuel Barroso, composé de sept hommes et de sept femmes. Bizarrement, ceux qui sont les plus déséquilibrés sont ceux des commissaires femmes. La liste actuellement non finalisée des membres de cabinet compte 112 hommes et seulement 67 femmes.

Les intérêts de l’exemplarité comme « démarche » en matière de communication

Au travers des nominations, la Commission européenne peut saisir l’occasion pour mener une véritable « démarche » d’exemplarité, qui peut se révéler très judicieuse en matière de communication :

  • donne force et cohérence à la démarche prescriptive liée à l’exercice de responsabilité : respect du « je fais ce que je dis », indissociable de toute bonne gouvernance ;
  • crédibilise le discours de la Commission auprès de ses cibles internes et externes : respect dans les actes des engagements pris dans les discours ;
  • créé une culture interne transversale mobilisatrice et porteuse.

Attention à ne laisser place ni à l’hégémonie d’une stratégie de communication survalorisant en façade en filtrant les difficultés ni à l’usage excessif du qualificatif « exemplaire » qui peut être un repoussoir trop moralisateur.

Ainsi, veiller à l’exemplarité des actes que sont les nominations semble une démarche plus que souhaitable pour la communication de la Commission européenne.

Vers une nouvelle pédagogie sur l’Europe en France

Dans une interview au Figaro du 22 janvier, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, annonce des initiatives :

  • « Je veux avec le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, développer la pédagogie de l’Europe dans les collèges et les lycées en délivrant une éducation civique européenne. »
  • « Je veux mettre en place une université de l’Europe pour qu’il y ait en France un lieu où tous les citoyens, toutes les forces vives de la nation pourront s’informer sur les institutions et les mécanismes européens qui peuvent leur servir, sur leurs interlocuteurs et les aides dont ils peuvent disposer. »

Reprise de la proposition de créer des cours d’éducation civique européenne pour les jeunes scolarisés

Dans un avis du Comité économique et social européen sur « Comment concilier dimension nationale et dimension européenne dans la communication sur l’Europe » sollicité par la Présidence française de l’UE et adopté le 10 juillet 2008, la rapporteur Béatrice Ouin « recommande au niveau européen, de mettre à disposition un socle commun de connaissances » rassemblant l’essentiel de l’histoire et des valeurs européennes pour former les jeunes.

Quel modèle pour l’éducation civique européenne ?

Alors qu’en France, la formation européenne est marquée principalement par l’enseignement des langues vivantes et les échanges d’enseignants et de classes, selon Sabine Strauss, Directrice adjointe du département des séminaires au Centre international de Formation européenne dans « Enseignement et construction européenne », 2 types de programmes seraient envisageables :

  • un cours d’éducation civique européenne traiterait des objectifs originaux et des grandes lignes de l’unification européenne ;
  • une instruction civique européenne serait à insérer dans chaque matière, notamment l’histoire et les sciences sociales.

Quel contenu pour l’éducation civique européenne ?

Pour Raymond Toraille, Inspecteur Général honoraire de l’Éducation Nationale, dans « Pour une éducation civique européenne », 3 objectifs de connaissances seraient à développer selon le niveau de scolarité :

  • valoriser les valeurs de la démocratie ;
  • informer sur le fonctionnement global de l’Union européenne ;
  • favoriser la mise en pratique du respect des valeurs et de la connaissance des institutions européenne dans la vie quotidienne.

Relance d’une ambition de créer une Université de l’Europe pour former les Européens à l’Europe

Utopie formulée par le regretté Bronislaw Geremek dans une tribune publiée dans Le Monde du 19 janvier 2006 « Pour une Université de l’Europe », cette université qu’il proposait d’installer à Strasbourg dans les locaux du Parlement européen :

  • serait une occasion de revenir aux fondamentaux de l’idéal classique : le retour à un véritable humanisme européen qui symbolise l’esprit européen ;
  • serait un lieu d’excellence où s’unirait harmonieusement enseignement pluridisciplinaire de haute qualité et recherche à vocation universelle.

Pourquoi lancer une Université de l’Europe ?

Pour Pauline Gessant, Vice-Présidente des JEF-Europe dans Le Taurillon, les raisons seraient :

  • Forger une conscience et une identité communes ;
  • Donner à la mobilité étudiante un nouveau moyen de réalisation grâce à la mise en place de ce réseau universitaire européen ;
  • Donner corps à l’idée de mobilité des chercheurs au sein de l’espace européen de la recherche ;
  • Rétablir le lien entre « Université et Europe » alors que ce sont aujourd’hui les universités américaines qui attirent une majorité d’étudiants.

Comment éviter le risque de s’adresser uniquement aux élites ?

Selon Bronislaw Geremek dans une interview à Touteleurope, « l’université ne concerne pas uniquement les élites, mais l’Europe tout entière. Si nous n’arrivons pas à changer le système éducatif en Europe, à lui donner une dimension européenne, à retrouver la force d’innovation qui caractérise l’esprit européen, l’Europe ne se fera pas. Il faut que les citoyens se retrouvent dans la construction européenne, qu’ils voient dans quels domaines c’est une chance pour eux. Or l’éducation est au centre de la vie quotidienne, il n’existe pas de sujet plus populaire, plus universel. »

Avec ces 2 initiatives, le Secrétariat d’Etat aux Affaires européennes reprend la 3e des 10 propositions pour l’avenir de l’Union européenne proposées lors des « Consultations européennes des citoyens » : inciter l’apprentissage d’une langue européenne dès la maternelle en :

  • créant un cours d’éducation civique européenne, mis en pratique par un dialogue hebdomadaire avec une classe partenaire via les NTIC ;
  • organisant un échange par cycle scolaire ;
  • créant un mensuel européen distribué dans les écoles et mis en ligne sur le site de l’UE.

Ainsi, une nouvelle pédagogie sur l’Europe longtemps attendue s’annonce en France.

Faut-il un Commissaire européen à la communication ?

Le débat sur la place qu’il convient d’accorder à la communication au sein de la Commission européenne est relancé aujourd’hui avec la publication d’un court billet de Martin Westlake (en anglais) : « Communicating Europe ». Quels sont les arguments des « pros » et des « antis » Commissaire à la communication ?

Pour les antis : la communication de l’UE n’étant pas une politique, un Commissaire n’est pas nécessaire

Ce point de vue est défendu notamment par Cédric en rebond de mon interview dans Le Taurillon, que je reproduits intégralement : « La communication n’est pas une politique mais un outil. Par conséquent, l’idée d’un commissaire dédié à la communication, ou encore l’idée d’un chapitre « communication » dans le programme politique annuel de la Commission, sont des hérésies. L’UE en tant qu’institution ne devrait pas communiquer, mais promouvoir des valeurs, promouvoir le débat. Les mots importent. Une institution qui assume le mot « communiquer » est suicidaire, elle donne à ses adversaires l’occasion rêvée d’une accusation de propagande. C’est aux politiques (politiciens) européens de communiquer. Communiquer est pour eux une nécessité personnelle quotidienne, pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir. »

Ne partageant pas cet argument, je considère qu’il est primordial d’articuler de manière optimale communication des institutions européennes et communication des responsables politiques européens, mon billet d’hier « Pour une communication européenne à la fois institutionnelle et politique » précise ces deux registres :

  • approche institutionnel devant se limiter à son champ d’intervention sur le long terme ;
  • approche politique devant pleinement prendre possession de son terrain d’expression quotidienne.

Pour les pros : l’UE a besoin d’une politique de communication stratégique, un Commissaire est indispensable

Ce point de vue est défendu de manière paradoxale par Martin Westlake, puisqu’il s’appuie sur une tribune d’Alastair Campbell portant sur le conflit en Afghanistan pour en appliquer les arguments à l’Union européenne.

L’argument de base d’Alastair Campbell est que, « tandis que les soldats peuvent gagner des guerres, l’échec dans la bataille des cœurs et des esprits peut les perdre. » Il tire trois leçons du conflit en Irak qu’il invite à prendre en compte dans celui en Afghanistan :

  • d’abord, « il faut prendre au sérieux la stratégie de communication » ;
  • ensuite, « dans une alliance multinationale, il faut internationaliser la communication » au sein des différents systèmes politiques nationaux ;
  • enfin, « il faut porter une attention constante sur la consistance des arguments ».

Appliquée à l’Union européenne, la réflexion montre l’importance d’une politique de communication stratégique et consistante, portée par un Commissaire dédié, permettant à l’UE de lui faire prendre toute sa place dans les médias avec ses propres arguments.

Ainsi, la décision de José Manuel Barroso de ne pas attribuer de portefeuille à la communication au sein du Collège des Commissaires fait l’objet de vifs échanges, qui devraient connaître d’autres rebondissements…

Pour une communication européenne à la fois institutionnelle et politique

Quoique la distinction entre la communication des institutions communautaires et la communication des responsables politiques semble loin d’être clairement perçue, vue de l’extérieur, il apparaît évident que c’est de leurs interactions – les différents acteurs sont condamnés à s’entendre – que peut jaillir une bonne communication européenne…

Pour une communication institutionnelle de l’UE irréprochable

Sur le plan théorique, la meilleure définition de la communication institutionnelle est donnée par Pierre Zemor dans son Que sais-je « La communication publique » : « la communication « formelle » qui tend à l’ échange et au partage d ’information d’utilité publique, ainsi qu’au maintien du lien social, et dont la responsabilité incombe à des institutions publiques ou à des organisations investies de mission d’intérêt collectif ».

Sur un plan pratique, la communication institutionnelle de l’UE se voit portée essentiellement par les acteurs publics communautaires et vise à :

  • porter les valeurs de la construction européenne afin de faire émerger une sphère publique européenne / un sentiment d’appartenance à l’Union / une conscience européenne partagée ;
  • présenter les institutions communautaires et leur fonctionnement ainsi que les politiques européennes et leurs financements.

Parce que pour les institutions publiques, communiquer est un devoir qui répond au droit à l’information des citoyens, cette communication « institutionnelle » européenne s’inscrit dans la durée pour mettre à la disposition des Européens (citoyens, entreprises, associations…) toutes les informations relatives à l’action publique européenne.

Le principal enjeu actuel de la communication institutionnelle de l’UE, c’est d’être irréprochable devant les citoyens :

  • trouver le ton juste pour dialoguer avec les citoyens sans jargonner la langue de Bruxelles ni plagier des démarches participatives sans public ;
  • éviter l’instrumentalisation partisane en inscrivant les messages au service de l ’intérêt général européen sans être détournés à des fins particulières.

Pour une communication politique sur l’Europe responsable

Sur un plan théorique, la meilleure définition de la communication politique est donnée par Jacques Gerstlé : « la communication politique, c’est d’abord et avant tout de la politique. Il s’agit de tous les efforts de communication accomplis par ceux qui cherchent à faire adhérer – soit en l’imposant par la propagande, soit en la rendant acceptable (négociation, délibération…) – à des perceptions publiques qui orienteront les préférences »

Sur un plan pratique, la communication politique sur l’Europe est naturellement incarnée par les responsables politiques afin de :

  • poser les enjeux et les choix liés à la construction européenne dans le cadre des compétitions électives : il s’agit de nourrir la controverse programmatique sur l’avenir de l’UE et l’ambition européenne ;
  • proposer des priorités des politiques européennes et commenter les actions européennes dans le cadre de l’exercice du pouvoir : il s’agit de nourrir l’agenda médiatique d’actualité européenne.

L’enjeu principal de la communication « politique » européenne : c’est d’être responsable devant les citoyens, c’est-à-dire de vraiment prendre ses responsabilités, d’agir concrètement et de rendre pleinement des comptes sur les actions menées, loin de la course aux places ou aux promesses.

Finalement, qu’il s’agisse de la communication institutionnelle ou de la communication politique, les deux doivent se montrer stratégiques, au sens où le registre institutionnel doit se limiter à son champ d’intervention sur le long terme tandis que le registre politique doit pleinement prendre possession de son terrain d’expression quotidienne.

Inquiétude sur la communication de l’UE après les propos de Viviane Reding à New Europe

Dans une interview donnée à New Europe, le 3 janvier 2010, Viviane Reding, Commissaire désignée pour la justice, les droits fondamentaux, la citoyenneté (et la communication) livre quelques indications sur sa vision – inquiétante – de la communication de l’UE…

Réponse de Viviane Reding sur comment elle compte s’appuyer sur le travail de (son prédécesseur) la Commissaire Margot Wallström

« Je crois que la communication n’est pas une politique. La communication est un outil. Et nous devons utiliser cet outil afin de raconter l’Europe. Vous ne pouvez pas faire une bonne communication, si vous n’avez pas une bonne histoire à raconter. Donc, nous, les responsables politiques, devons créer de bonnes histoires, avoir une vision claire de où nous voulons mener cette Union européenne, et ensuite le dire aux citoyens. Ainsi, la communication sera un outil pour raconter de bonnes histoires que nous, les politiques, aurons mis en pratique. »

1e inquiétude : pour Viviane Reding la communication de l’UE n’est pas une politique mais un outil

Confirmant ce que nous décrivions comme « une orientation stratégique relativement instrumentale » à la lecture de son questionnaire remis au Parlement européen en vue de son audition publique :

« Je compte rendre la communication sur les questions européennes plus efficace et mieux ciblée vers les médias locaux et régionaux afin que l’Europe soit mieux comprise par les citoyens. … j’utiliserai les instruments dont dispose la Commission pour mettre en place une communication plus efficace des politiques de l’UE et de leur incidence concrète pour le citoyen, y compris au moyen d’Internet. »

Viviane Reding semble davantage porter une vision de la communication portée par une orientation « outil » avec des instruments de communication « plus efficaces/mieux ciblés » au détriment d’une orientation « politique » visant à « combler le déficit de communication entre l’UE et ses citoyens par l’intermédiaire d’une coopération (entre les institutions communautaires) et de partenariats efficaces (avec les Etats membres) », portée par la stratégie adoptée en 2007 « Communiquer sur l’Europe en partenariat ».

Devons-nous en déduire que la déclaration politique signée le 22 octobre 2008, entre les institutions communautaires et les États membres pour une politique de communication européenne en partenariat devient obsolète ?

2e inquiétude : pour Viviane Reding la communication sera un outil pour raconter de bonnes histoires (story-telling)

Explicitant sa vision de l’Europe et de la communication de l’UE, Viviane Reding affirme :

« Nous devons créer de bonnes histoires, avoir une vision claire de où nous voulons mener cette Union européenne, et ensuite le dire aux citoyens. … Nous devons créer ce continent où le citoyen se sent chez lui, où le citoyen comprend que ses droits, ses aspirations, ses préoccupations sont prises au sérieux, qu’il obtient une réponse. »

Viviane Reding semble davantage porter une vision top-down de la communication, c’est-à-dire une relation verticale des autorités vers les citoyens alors que la modernité – que le web social permet – consiste davantage dans le bottom up, c’est-à-dire la collaboration et la discussion entre les citoyens et les responsables.

Faut-il rappeler le jugement largement partagé par la communauté du web lors du Personal Democracy Forum Europe (à Barcelone les 20 et 21 novembre 2009) et confirmé par E-toile, le blog du Centre d’information sur l’Europe en France : « la dernière campagne pour les élections européennes en juin dernier a en tout cas été labellisée « top down ». Pas sûr que les citoyens s’y retrouvent. »

Devons-nous surtout en déduire que la « lettre ouverte de la communauté des éditeurs et des webmasters de la Commission européenne au président Barroso et aux Commissaires entrants » qui en appelle à « exploiter la puissance d’Internet pour une meilleure communication » : « créer une culture de communication interne qui encourage et habilite le personnel à utiliser Internet et les nouveaux médias pour interagir avec les citoyens » soit déjà lettre morte ?

La nouvelle position rétrogradée de la communication au sein du Collège des Commissaires – Margot Wallström était « Première Vice-présidente de la Commission européenne, Commissaire aux Relations institutionnelles et à la Stratégie de communication » tandis que Viviane Reding n’est pas explicitement titulaire de ce dossier – ainsi que ces premières prises de parole à New Europe font peser des doutes sur les orientations de la communication de l’UE. Il n’est pas trop tard pour les dissiper.