Storytelling : l’UE ce convoi de 27 bateaux naviguant sur les flots de l’océan géopolitique

A l’occasion d’un discours « Les défis à relever par l’Europe dans un monde qui change » au Collège de l’Europe à Bruges, le 25 février dernier, Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen à filé une métaphore de la construction européenne…

Storytelling de Van Rompuy : « l’Union européenne est un convoi de 27 bateaux naviguant sur les flots de l’océan géopolitique »

Partant d’une citation de Shakespeare: « There is a tide in the affairs of men » (les affaires du monde ont leurs marées), Herman Van Rompuy a conclu ainsi son intervention :

A quoi peut ressembler l’Union européenne dans cet océan géopolitique ? Sommes-nous tous dans le même bateau, naviguant sous le seul drapeau européen ? Ou sommes-nous 27 bateaux, chacun suivant sa route ? À aucune de ces deux questions on ne peut répondre par l’affirmative.

Imaginez-les: 27 bateaux, battant chacun pavillon national et pavillon européen, poussés par un vent qui tantôt les éloigne les uns des autres, tantôt les fait naviguer dans la même direction.

Regardez-les : certains bateaux sont plus faciles à manœuvrer, d’autres sont plus robustes, certains plus petits, d’autres plus grands, certains à la marge du convoi, d’autres en son centre.

Ce que vous ne voyez pas, c’est ce que savent parfaitement les 27 capitaines: sur l’eau, leurs bateaux, comme les 27 gouvernements de l’UE, sont tous reliés, économiquement et monétairement. Ils ne peuvent pas s’éloigner les uns des autres…

Ce convoi européen n’a pas à sa tête un seul capitaine, bien qu’il dispose depuis peu d’un président permanent dont l’une des tâches est de présider les réunions des 27 capitaines et de :

  • trouver un consensus sur la direction à prendre ;
  • retrouver un cap stratégique ;
  • aider l’Union européenne à trouver sa boussole.

La petite histoire du storytelling : le parcours de Luuk van Middelaar, auteur d’une thèse sur la construction européenne devenu speechwriter de Van Rompuy

Luuk van Middelaar, auteur d’une thèse sur la construction européenne : « Passage à l’Europe : histoire d’un commencement » (prochainement publiée en français) avait présenté cette métaphore lors de sa conférence « l’Europe, c’est qui ? » à l’institut néerlandais à Paris, le 29 septembre dernier.

Herman Van Rompuy « très impressionné » par le livre de Van Middelaar – selon le NRC Handelsblad, le journal néerlandais dans lequel Luuk van Mediator chroniquait les affaires européennes – lui avait demandé de rejoindre au début de l’année son cabinet en tant que speechwriter.

Ainsi, le souhait de Viviane Reding, Commissaire à la justice, aux droits fondamentaux, à la citoyenneté (et à la communication) dans une interview à New Europe, le 3 janvier dernier de « raconter l’Europe. Vous ne pouvez pas faire une bonne communication, si vous n’avez pas une bonne histoire à raconter » semble se réaliser…

Comment le basculement de l’accréditation de l’information peut bénéficier à la communication européenne ?

Actuellement, nous sommes en train d’assister à un basculement de l’accréditation de l’information. L’accréditation, cette « capacité d’indexer, d’évaluer ou de recommander une information », selon Bernard Huygues, échappe de plus en plus aux spécialistes de l’information standardisée par les mass médias pour passer de plus en plus entre les mains des communautés sur les réseaux sociaux…

Aujourd’hui, une « information socialisante » produite par immixtion entre relations sociales et actualités

La dernière étude du Pew Internet Research Center « Understanding the Participatory News Consumer » analyse les habitudes de consommation d’information des Américains :

  • 75% des consommateurs d’information en ligne reçoivent leur information par mail ou par des posts sur les réseaux sociaux ;
  • 62% suivent l’actualité parce qu’ils apprécient en discuter ensuite avec leurs pairs sur le web ;
  • 52% partagent des liens avec leur entourage par mail ou réseaux sociaux.

Ainsi, les nouveaux prescripteurs de lecture d’information ne sont plus les mass media mais bien les membres de son réseau.

Les principales tendances de l’information socialisante sont que l’accréditation de l’information pour les gens sera de plus en plus personnalisée, portable, et participative :

  • 28% des utilisateurs d’Internet ont personnalisé leur page d’accueil pour englober les nouvelles provenant de sources et sur des sujets qui les intéressent ;
  • 33% des propriétaires de téléphones portables accèdent à l’information par ce biais ;
  • 37% des internautes ont contribué à la création de l’information, à la commenter et à la propager à travers des médias sociaux comme Facebook et Twitter.

En résumé, l’information autrefois accréditée par les journalistes devient une « information sociale et socialisante » pour citer le billet « Les réseaux sociaux, médias de demain ? » de Marie-Catherine Beuth : « les gens utilisent leurs réseaux sociaux pour filtrer, évaluer et réagir à l’information ».

Demain, une communication européenne produite par capillarité entre les communautés

Alors qu’au temps de l’accréditation journalistique – diffusion par les mass médias, notamment audiovisuels – l’information sur l’UE était quasi absente, le rôle de « gatekeeper » étant solidement verrouillé ; avec le nouveau modèle de l’accréditation sociale – transmission par les pairs, sur les médias sociaux – l’information sur l’UE pourrait être présente, à condition de disséminer les têtes de réseaux susceptible de communiquer sur l’Europe.

L’enjeu technologique :

Au-delà de la constitution et de l’animation d’un réseau, le vrai pouvoir réside dans la corrélation et la contextualisation de l’information, des méta-données et des moteurs de recherche…

L’intérêt démocratique :

Les effets positifs de la production d’information de pair à pair sur les réseaux sociaux se traduisent par :

  • la restructuration des relations de pouvoir, avec de nouveaux leaders d’opinion influents ;
  • l’amélioration de l’autonomie individuelle, à condition d’avoir accès et d’être formés à l’environnement du web social.

Ainsi, si l’UE sait saisir l’opportunité du basculement de l’accréditation de l’information, il lui devient possible de mieux informer les citoyens sur l’Europe.

Comment l’UE pourrait-elle se doter d’une plateforme communautaire ?

En complément de mon billet d’hier « Pourquoi l’UE devrait-elle se doter d’une plateforme communautaire ? » plaidant pour la création d’une communauté active de citoyens européens désireux de s’engager dans des échanges approfondis et structurés sur l’UE, voici quelques pistes sur la réalisation de cette plateforme communautaire…

La finalité est de construire des relations privilégiées, en particulier IRL, avec les « influents » actuels sur les sujets européens dans les réseaux sociaux en vue de les inviter à participer sur la plateforme communautaire de l’UE à l’amélioration des décisions de l’UE, notamment sa communication, par leur idées de la conception jusqu’à l’évaluation des politiques de l’UE.

1e étape : construire une communauté

Avec l’utilisation de Twitter – via les tags #web2EU et #openbeer invitant à BXL « IRL » des personnes déjà engagées dans l’information au sens large sur l’UE sur le web – la construction de la communauté s’organise.

Les objectifs de cette étape sont de :

  • faciliter la discussion en petits groupes afin de conserver la confiance par l’intimité des échanges ;
  • maximiser le partage d’informations afin d’augmenter un libre échange des connaissances et des expériences.

2e étape : convaincre les autorités compétentes de l’UE

Avec la publication d’une lettre ouverte au Président Barroso et aux Commissaires entrants pour « exploiter la puissance d’Internet pour une meilleure communication », la communauté des éditeurs et des webmasters de la Commission européenne exerce une sorte de « class action » / de lobbying collectif.

Les objectifs de cette étape sont de :

  • s’assurer d’un engagement des décideurs d’intégrer les résultats de la plateforme communautaire dans les politiques publiques européennes ;
  • éviter les résultats prédéterminés : la délibération authentique, ce n’est pas de convaincre la communauté d’accepter une proposition prédéfinie.

3e étape : animer la plateforme communautaire

Les objectifs de cette ultime étape hypothétique seraient de :

  • maintenir l’implication en faisant participer la communauté au suivi et à l’évaluation des prises de décisions et des processus politiques ;
  • simplifier, automatiser et organiser au mieux la vie de la communauté ;
  • à terme, échanger avec d’autres communautés et sensibiliser les membres des réseaux sociaux…

Ainsi, la réalisation d’une plateforme communautaire de l’UE permettrait de recourir au « citizen sourcing in the public interest ».

Pourquoi l’UE devrait se doter d’une plateforme communautaire ?

Alors que la communauté des éditeurs et des webmasters de la Commission européenne a publié en janvier une lettre ouverte au président Barroso et aux Commissaires entrants afin de mieux communiquer sur le portail Europa et dans les réseaux sociaux (voir notre analyse : Comment la communauté web de la Commission européenne peut-elle « exploiter la puissance d’Internet pour une meilleure communication » : les recommandations du Guide des médias sociaux de Brian Solis ?), l’UE devrait également se doter de sa propre plateforme communautaire ?

La lecture d’un billet de Fred Cavazza : « Ne confondez plus communautaire et social » publié en novembre 2008 permet de mesurer la différence d’expérience communicationnelle entre les plateformes sociales et les plateformes communautaires.

Communiquer sur les réseaux sociaux permet de sensibiliser un public passif

Pour citer Fred Cavazza, sur les « plateformes sociales comme Facebook, FlickR et Twitter, les membres publient du contenu dans une dynamique passive : ils s’expriment mais n’attendent pas nécessairement de réaction. La dynamique sociale sur ces plateformes repose avant tout sur le besoin d’appartenance (”moi aussi j’ai un profil Facebook“) et l’égo (”ma vie intéresse forcément les autres“) des membres qui sont motivés par la visibilité et les rencontres (personnelles ou professionnelles). Il n’y a pas réellement de dialogue au sein de ces plateformes, juste des micro-discussions entre visiteurs de passage ».

Autrement dit, communiquer sur les plateformes sociales pour l’UE revient à s’engager dans des échanges limités avec des cibles potentiellement nombreuses mais relativement non identifiées et faiblement engagées.

Communiquer sur une plateforme communautaire permet de fédérer des membres actifs

Pour citer Fred Cavazza, sur les « plateformes communautaires, les membres engagent des conversations : ils posent des questions, débattent, se chamaillent et témoignent. La dynamique communautaire repose avant tout sur l’empathie (”je cherche des personnes ayant eu la même expérience que moi“), des membres qui cherchent à partager une passion ou un vécu (cf. les gigantesques forums pour passionnés d’automobile, de produits high tech ou pour les femmes enceintes). Le dialogue est donc l’ingrédient essentiel des communautés.

Autrement dit, créer une plateforme communautaire dédiée à l’UE reviendrait à s’engager dans des échanges approfondis et structurés de personnes à personnes, entre les membres de la communauté des éditeurs et des webmasters de l’UE, élargies éventuellement à d’autres représentants légitimes de l’UE et des citoyens européens sans aucun doute moins nombreux mais empathiques, passionnés et mobilisés.

Ainsi, en complément du recrutement d’« amis » sur Facebook, de « Followers » sur Twitter, etc. en vue d’élargir progressivement l’audience de l’UE dans les réseaux sociaux, la création d’une plateforme communautaire de l’UE permettrait de constituer un immense focus group pour capter les mouvements de l’opinion et tester les messages de communication grand public en permettant leur réappropriation pour garantir leur diffusion…

La marque UE peut-elle devenir un média dans le web social ?

Alors que l’UE n’a pas imposé sa marque dans les médias traditionnels – soit qu’elle n’a pas su intéresser les journalistes, soit qu’elle n’a pas pu acheter de l’espace publicitaire – l’UE parviendra-t-elle à s’imposer dans le web social ?

Une réponse pour envisager une stratégie permettant à la marque UE de devenir un média avec la lecture de « Why Brands are Becoming Media » dans Mashable. Brian Solis renverse l’approche traditionnelle de la communication entre médias et hors médias à travers une nouvelle classification multimédia…

« owned media » : les sources d’information contrôlées par l’UE sur Internet

Les « owned media » sont intégralement maîtrisés, jusque dans leurs canaux de distribution par leur propriétaire : site Internet avec pages web standard, blogs et comptes Twitter de Commissaires ou députés européens, groupes et pages de fans sur Facebook, chaînes sur YouTube, photos sur Flickr…

L’enjeu stratégique réside dans le plan « médias sociaux » :

  • créant un écosystème qui facilite la navigation entre les contenus ;
  • étendant l’expérience interactive de partage ;
  • fédérant les communautés engagées et déjà actives dans ces réseaux.

« earned media » : les internautes deviennent les sources de conversation

Les « earned media » sont le résultat du plan « médias sociaux » et se reflètent via le bouche-à-oreille, le buzz viral dans : billets de blogs personnels, tweets, mises à jour de statuts Facebook, commentaires…

L’enjeu stratégique réside dans le programme de relations publiques digitales qui cherche constamment à attirer l’attention des journalistes, blogueurs, webmasters, et autres personnes influentes pour produire une « crowd-powered » visibilité, mutuellement bénéfique.

Ainsi, par un investissement humain, intellectuel et financier dans une véritable stratégie de contenus et d’influence, la marque UE peut devenir un média d’affinité dans le web social.