Danger sur la « Commission géopolitique »

Le narratif d’une « Commission géopolitique » introduit par Ursula von der Leyen, analysé comme « de la nouvelle chance », selon Eric Maurice, responsable du Bureau de Bruxelles de la Fondation Robert Schuman afin de remplacer le récit d’une « Commission politique » vue comme « de la dernière chance » par Jean-Claude Juncker est en train de faire déraper la communication européenne. Explications…

Un concept qui s’est imposé tardivement

Premier constat d’ordre chronologique, le concept de « Commission géopolitique » est apparu tardivement dans la vision de la nouvelle présidente de la Commission européenne.

Cette idée est – faut-il le rappeler – totalement absente de son programme politique en tant que candidate cherchant les suffrages des eurodéputés au début de l’été dernier et tout autant inexistant dans son discours d’investiture le 16 juillet 2019 au Parlement européen.

Lors de la présentation du Collège des Commissaires début septembre, le mot de « Commission géopolitique » est introduit de manière imprécise : « La Commission que je présiderai jouera un rôle géopolitique engagé en faveur de politiques durables ». Mais, ce point ne sera pas repris par la plupart des médias et des politiques intéressés par la polémique du portefeuille « Protéger le mode de vie européen » qui conduira la présidente von der Leyen à publier une tribune pour éviter le dérapage incontrôlé, sans mention de la dimension géopolitique.

Dans les nouvelles « méthodes de travail de la Commission européenne » présentées début décembre, le concept n’est également pas directement mentionné dans le document complet même si un nouveau « groupe de coordination de l’action extérieure : EXCO » est envisagé « afin d’assurer une action extérieure plus stratégique et cohérente » et «  une coordination et une cohérence politiques complètes en matière d’action extérieure ». La page de synthèse introduisant les méthodes de travail aborde la « Commission géopolitique » afin d’aligner les dimensions interne et externe des travaux de la Commission. L’idée commence à infuser auprès des journalistes européens et des think tanks européens.

Dans le Programme de travail de la Commission pour 2020 « Une Union plus ambitieuse » publié fin janvier la doctrine si l’on peut dire est plus explicite puisque « la nécessité d’une Union européenne forte et unie, s’appuyant sur l’ensemble de ses atouts diplomatiques, économiques et politiques » justifie d’une certaine manière « le programme de travail de cette Commission géopolitique. Toutes les actions et toutes les initiatives prévues mettront fortement l’accent sur l’action extérieure ». Cette mention semble acter l’évidence et l’éminence du concept.

Ainsi, le premier constat en termes de généalogie indique une genèse tardive mais de plus en plus saillante dans la communication de la Commission, ainsi que dans les mentions médiatiques et politiques. Le nouveau narratif s’est peu à peu imposé comme un point central, quasi le point d’orgue, la clé de voute de l’édifice de la Commission von der Leyen.

Un concept qui se révèle problématique

L’imposition tardive mais définitive du concept de « Commission géopolitique » ne va pas sans soulever des inquiétudes voire des problèmes qu’il ne faut pas négliger.

D’abord, le concept est source de mal-information voire de désinformation. Pour des acteurs formés et informés des affaires européennes, même bienveillants, il n’est pas aisé de se limiter à l’interprétation officielle d’un concept de « Commission géopolitique » appliqué dans le cadre des traités, et des compétences exclusives et partagées de l’Union européenne consistant à prendre en compte des enjeux globaux stratégiques, en tant qu’input dans les futures politiques publiques de l’UE. Mais, pour tous les autres, moins regardant et animés par une cause pro ou anti-européenne, la dimension géopolitique est une occasion rêvée de projeter ses propres fantasmes au risque de mal-informé ou désinformé le grand public.

Pire, la mission de gardienne des traités confiée à la Commission européenne est virtuellement menacée par le narratif d’une « Commission géopolitique » entendu dans un sens différent de celui qui lui est donné par la présidente Ursula van der Leyen. Une Commission qui ferait de la géopolitique au sens où elle exercerait une puissance régalienne combinant soft et hard power est très éloigné de la réalité. Le concept de « Commission géopolitique » est donc très peu performatif, il ne dit pas ce qui est, peine à dire ce qu’il devrait dire – des politiques publiques européennes plus imprégnées d’enjeux globaux – et on peut lui faire dire bien davantage que ce qu’il conviendrait.

Ensuite, la promesse d’un tel concept est contre-productive. Pour ceux qui n’auraient pas bien compris comment il faut entendre la « Commission géopolitique » selon von der Leyen, les résultats seront catastrophiques. S’ils se sont laissés convaincre qu’il fallait une Commission européenne plus forte, plus assertive dans le concert des nations, ils ne seront que déçus par la réalité d’une construction européenne complexe, lente, imparfaite qui règne davantage par l’empire de la norme que par la politique de l’événement, à fortiori dans des domaines où l’unanimité est nécessaire.

Enfin, le capital politique et médiatique lié au nouveau narratif européen introduit par Ursula von der Leyen risque d’être dilapidé prématurément à cause de l’incompréhension et de l’absence de résultat prévisible autour de la « Commission géopolitique » alors que d’autres dimensions introduites par la nouvelle présidente de la Commission européenne ont déjà fait long feu comme la protection du mode de vie européen ou risquent de s’enliser dans les sables compte-tenu de l’ambition forte du nombre de législations en préparation. Le danger de se corneriser est trop grand et vraiment inutile pour ne pas agir vite afin de corriger le discours ambiant.

Au total, le concept de « Commission géopolitique » risque de se révéler toxique à la communication européenne, qui ne doit pas simplement être intelligente mais également intelligible.

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