Décryptage des résultats de la conférence sur l’avenir de l’Europe par Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris et titulaire de la chaire Jean Monnet…
Où réside le vrai succès ?
La réussite dépend beaucoup de la façon dont vous mesurez le succès. S’il s’agit que vous regardiez l’intérêt médiatique, comme pour tous les sujets européens, il n’a pas été là non plus au rendez-vous, mais ce n’était non plus la finalité.
Si vous faites partie de ceux qui s’attendaient à ce que la conférence délivre comme par magie une réouverture du traité, vous risquez d’être déçu. Aucune majorité n’existe pour approuver la demande du Parlement européen qui a poussé lors des échanges préparatifs pour son droit d’initiative, ses listes transnationales ou sa journée d’élection commune. La révision des traités, pour la beauté du geste disons ne pourrait ne jamais se matérialiser, même s’il faudra attendre le Conseil européen en juin. Mais, là encore, ce n’était peut-être pas le but par la conférence.
Si, au lieu de cela, vous considérez la conférence sur l’avenir de l’Europe comme un processus ouvert (non lié aux résultats), vous serez peut-être satisfait. Dorénavant, nous disposons d’un mécanisme potentiellement permanent de délibération citoyenne dans le processus décisionnel de l’UE, et cela peut se faire sans modification du traité. Mais il y a plus.
Comme prévu, la conférence sur l’avenir de l’Europe a agi – comme la plupart des exercices délibératifs – comme un cheval de Troie dans la conversation politique dominante. Les recommandations brisant les tabous avancés par les citoyens montrent comment l’exercice participatif a en quelque sorte ouvert la fenêtre Overton de la réforme politique de l’UE. Un nouveau cadrage des possibilités, des potentialités de l’Europe est à l’ordre du jour, c’est une sacrée réussite.
Certes, ce n’est pas seule la conférence sur l’avenir de l’Europe, mais les événements extraordinaires tels que la pandémie et la guerre en Ukraine qui ont révélé au plus grand nombre la nature incomplète de l’intégration européenne. Pourtant, c’est bien le modèle délibératif de la conférence qui aura été propice à faire le point sur ce grand calcul et c’est sur la base de ce contexte que la conférence a capitalisé pour ses réflexions et recommandations finales.
Quelle est LA vraie légitimité ?
La question est maintenant de savoir s’il faut se contenter de réponses fragmentaires de l’UE aux nouvelles urgences – comme l’exigent les 12 pays qui résistent au hasard du traité – ou plutôt s’engager dans un « saut quantique » pour faire évoluer l’Union vers le « meilleur des mondes » dans lequel nous nous retrouverions avec la mise en œuvre des recommandations de la conférence.
La réponse à cette question définira non seulement le cours de l’histoire de l’UE, mais aussi celui de ses 450 millions de citoyens, et potentiellement de nombreux autres qui attendent à ses portes (demandez aux Ukrainiens, aux Moldaves, etc.).
De ce point de vue, la conférence sur l’avenir de l’Europe est sur le point de marquer un tournant décisif dans l’intégration de l’UE, car elle obligera tous les dirigeants politiques à se positionner PUBLIQUEMENT sur l’orientation future de l’UE contre les préférences RÉVÉLÉES des citoyens.
Autrement dit, la conférence sur l’avenir de l’Europe représente la 1ère reconnaissance que l’autorité ultime de l’UE n’appartient pas aux institutions ni aux États membres, mais à ses citoyens. En raison de son importance constitutionnelle, cela affectera de manière irréversible la nature de l’intégration européenne.
Les recommandations qui ont émergé des citoyens étaient plus le sous-produit de la véritable expérience transnationale (quasi constituante) acquise par les participants à la conférence, que le résultat inévitable d’une initiative prétendument pro-UE.
Reste à savoir quelles seront les grandes idées sur la manière de capitaliser sur ce « moment constitutionnel » dans lequel l’UE pourrait entrer.