Une conférence au Collège des Bernardins sur « Qui veut encore de l’Europe ? » le 12 février dernier invite à creuser le dilemme d’un divorce qui semble toujours davantage consommé entre les institutions européennes et les citoyens alors qu’on ne cesse de parler d’Europe, en particulier lors des multiples crises. Alors, justement, comment peut-on parler d’Europe aujourd’hui ?
Comment définir l’Europe ? Regards croisés sur la construction européenne
Sur le plan intellectuel, l’Europe fait face à un monde post-idéologique qui se cherche après les effondrements des principales idéologies entre la fin du socialisme et donc à l’Est une envie de libertés et la fin du libéralisme, en Occident, avec moins d’envie de défendre les libertés. Définir l’Europe, c’est repartir de la philosophie d’un projet reposant sur l’individu s’accomplissant dans une communauté afin d’intégrer non seulement les sociétés politiques mais aussi les sociétés civiles à un niveau plus culturel.
En termes juridiques, l’Union européenne est une fédération démocratique d’Etats-membres démocratiques mise à l’épreuve par quelques régimes autoritaires qui créent une tension entre la subsidiarité, donc l’autonomie des nations et les valeurs, donc le respect des droits fondamentaux, dont les prochaines élections pourraient être l’épreuve de vérité pour cette communauté de droits qui est parvenu jusqu’à présent à étendre un acquis de domaines et de champs d’application des droits.
Pour Nathalie Loiseau, ministre des Affaires européennes, la vision politique de l’Europe consiste à voir le verre à moitié plein, comme on le fait quand on n’est pas dans l’Union européenne, à savoir le seul espace qui accorde la même valeur à la liberté individuelle, à l’esprit d’entreprise et à la justice sociale en même temps. Un esprit démocratique « olympique » en quelque sorte.
Face à la transition numérique et climatique, l’Europe dessine les nouvelles frontières de la régulation à l’échelle internationale. La civilisation européenne est au rendez-vous des enjeux de notre temps, comme réponse pour maitriser notre capacité de destin.
Comment faire campagne sur l’Europe ? Convergences et combats pour la construction européenne
De manière largement consensuelle, le principal défi des prochaines élections européennes réside dans les réponses apportées pour poursuivre un projet qui n’a jamais été autant nécessaire afin de faire face aux nouveaux enjeux et menaces extérieures alors que ce projet n’a jamais été aussi difficile compte tenu des oppositions et divisions internes à l’Europe.
De manière plus polémique, tandis que Nathalie Loiseau joue la carte du rassemblement contre les partisans d’une autre Europe qui défait les solidarités de l’UE, Justine Lacroix, politiste, estime plus précisément qu’il ne faut pas confondre les oppositions à certaines politiques européennes et l’opposition au projet européen. De manière chaotique, se dessine un espace public européen en train d’émerger en fonction d’une part, des mobilisations des sociétés civiles : pressions citoyennes pour la transparence dans les négociations commerciales, pour le climat, contre la pêche électrique…. et d’autre part, des classes politiques : pression conservatrice contre les migrations…
Au final, selon Justine Lacroix, tout le monde veut plus d’Europe, mais pas avec le même modèle, ce qui constitue un conflit intégrateur finalement positif, permettant un débat plus ouvert qui sort de l’affrontement binaire entre pro et anti. La fin de l’impératif moral quant au soutien à l’Union européenne et ses politiques, c’est le début d’une véritable politisation de l’Europe, qui sache inclure ses oppositions.
Parler d’Europe, c’est passionnant lorsqu’il s’agit d’y penser un peu contre elle-même (discours trop techno) et beaucoup avec les autres (discussion civique et dialogue interculturel).