Dès qu’il s’agit de porter son regard sur la communication de l’Europe, chacun y va de ses solutions pour résorber le fameux déficit démocratique de l’UE. La plupart de ses idées sont plus ou moins utopiques. Quelles sont les utopies de la communication européenne ?
Les utopies idéalistes
Le « storytelling » : un nouveau narratif pour l’Europe, la puissance explicative des arts et des sciences
Dernière utopie de la Commission Barroso finissante, le projet visant à donner un nouveau narratif pour l’Europe correspond exactement à ce genre de grandes idées généreuses mais inefficaces pour réorienter la communication de l’UE.
La puissance explicative de la construction européenne apportée par les arts et les sciences ne peut pas palier l’absence de vision politique.
Le « storytelling » ne peut pas fonctionner éternellement à vide et l’incapacité à formuler un projet commun avec des priorités d’action ne peut pas être remplacé par un catalogue de valeurs et de bonnes intentions.
Le « soft power » : une diplomatie publique de l’UE, la force douce de la culture et du sport
Autre utopie – développée notamment par Jean-Christophe Gallien à EuropCom – la conviction que le message de l’Europe au monde doit se porter sur une diplomatie publique destinée à toucher les peuples sur des sujets « concernant », à savoir qui intéressent les individus, comme peuvent le faire le sport ou la culture.
La force douce apportée par les arts et les sciences, quoique très vraisemblablement susceptible de « reconnecter » avec les gens ne peut sérieusement se substituer en intégralité à une construction politique européenne.
Le « soft power », quoique prometteur pour permettre à l’UE de s’adresser différemment aux autres continents non-Européens, ne peut pas fonctionner auprès des peuples européens qui entendent davantage dans leur quotidien la crise de leur Etat-providence.
Le dialogue citoyen : une interaction entre l’UE et les citoyens, le discours de la Commission européenne sous Reding
Dernière utopie « idéaliste » – au sens d’intellectuellement séduisante mais pratiquement irréalisable – le discours véhiculé à satiété par la Commission européenne sous Viviane Reding portant sur le dialogue citoyen.
À défaut de trouver des solutions qui remettent en question l’UE afin de réduire la distance entre l’UE et les citoyens, la démarche adoptée par la Commission européenne a consisté à « mieux expliquer » l’UE, comme si les Européens, ces grands enfants, ne comprenaient pas biens ou ne savaient pas poser les bonnes questions.
Les utopies pragmatistes
La publicité de l’Europe : une campagne TV, l’impact des émotions sur les opinions
La publicité de l’Europe est l’utopie la plus récemment formulée par Jacques Séguéla, le prestataire choisi par la Commission européenne pour réaliser la première campagne de publicité à grande échelle dans quelques Etats-membres.
L’impact des émotions d’un message publicitaire créatif sur les opinions personnelles, dans une logique de conversion quasi magique est la croyance sur laquelle repose la démarche d’une mécanique publicitaire.
L’investissement à coût de millions d’euros pour exister auprès d’une masse d’Européens est-il une promesse suffisante pour se laisser convaincre par cette démarche ?
L’espace public européen : le terreau d’un embryon de scènes et d’acteurs européens
L’espace public européen, cette utopie littérale, ce lieu qui n’existe pas, en tout cas pas totalement, pas de manière chimiquement pure est néanmoins annoncé, attendu par de nombreux spécialistes, notamment universitaires.
Fruit d’une européanisation d’espaces existants ou d’une création sui generis, l’espace public européen possède souvent le défaut d’échapper à ses auteurs.
Les espaces publics européens qui pourraient éventuellement existés aujourd’hui se réfugient soit dans des médias anglo-saxons qui sont quasiment les seuls à offrir des supports et une langue commune avec le défaut en retour d’influencer lourdement la construction européenne ; soit dans des communautés en ligne qui forment des bulles, dont la « brussels bubble » dans les médias sociaux n’en est que l’écume la plus visible.
La politisation de l’UE : l’espoir d’un programme politique mobilisant des financements
Cette utopie correspond au choix délibéré de la nouvelle Commission Juncker d’offrir – selon l’analyse de Luuk van Middelaar – une approche clientéliste à la romaine s’appuyant sur des rétributions et des services ; constatant que les utopies identitaire à l’allemande capitalisant sur la culture et les valeurs européennes ou civique à la grecque de gestion commune des affaires publiques n’ont pas su portées leurs fruits.
Évidence à rappeler, la politisation de la Commission européenne, et de son discours, ne peut réussir que si les résultats sont au rendez-vous, surtout auprès des Européens. C’est tout l’enjeu de la « Commission de la dernière chance », un quitte ou double dangereux mais qui était sans doute devenu indispensable.
Au total, les utopies de la communication européenne ne manquent pas, mais y en aura-t-il au moins une à se concrètiser ?