Dans un entretien à EurActiv, Jacques-René Rabier, le fondateur de ce qui est devenu la DG Communication de la Commission européenne, et ancien collaborateur de Jean Monnet précise sa vision de la communication européenne. Extraits…
Vous venez de participer au Congrès de l’Europe de La Haye, organisé par le Mouvement européen. Cet évènement a essayé de recueillir, filtrer et discuter « 60 idées pour l’Europe « , présentées aux Présidents des Institutions européennes. Ce type d’initiative peut-il rendre l’Europe plus démocratique ? Des thèmes vous ont-ils marqué ?
L’initiative est intéressante, moins peut-être parce qu’elle apporte aux décideurs (ou aux chercheurs) que par ce qu’elle incite les répondants à réfléchir, imaginer et…répondre. On retrouve dans ces 60 idées – et plus encore dans le classement qui en a été fait par les participants au Congrès – des thèmes qui sont largement traités par les médias : ce que j’appellerai, sans connotation péjorative, la « rhétorique ambiante ».
Qu’est-ce qui manquait, par exemple : l’avenir imaginé (ou souhaité) pour l’Union européenne à l’horizon 2068, puisqu’il s’agissait, cette année, à La Haye, de rappeler les progrès obtenus depuis 1948.
Vous êtes le fondateur de ce qui est devenu la Direction Générale de la communication de la Commission. Depuis toujours, celle-ci semble hésiter entre information et communication. Quelle approche recommandez-vous ?
Les mots ont une certaine importance…(« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », disait Albert Camus). Information, au sens habituel, c’est donner forme, ou tout au moins une aptitude à prendre connaissance; communication, c’est établir une relation en vue de transmettre quelque chose à quelqu’un. Je n’en fais pas une querelle de vocabulaire, mais, pour simplifier mon propos, je dirais que la communication c’est le tuyau, et l’information ce que l’on veut (ou tout au moins ce que l’on souhaite) faire passer…
A un cours que je donnais en 1965 à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université libre de Bruxelles, j’avais donné comme titre : « L’information des Européens et l’intégration de l’Europe » ; cela signifie que, dans ma conception, l’information n’est pas neutre ; elle annonce les couleurs et, bien sûr, suscite la discussion, en prenant garde de ne pas dériver vers la propagande et l’endoctrinement. Son contenu : des « news », évidemment, mais aussi des valeurs et des symboles. Toutes les institutions de l’Union européenne devraient contribuer à cette politique d’information du public, et je dirais plutôt des citoyens et citoyennes.
Mais je pense que chaque institution doit agir selon sa propre compétence. Une concertation est évidemment nécessaire ; elle pourrait, par exemple, prendre la forme d’une meilleure utilisation concertée de l’ « Eurobaromètre ». Le Parlement européen devrait, en ce domaine, jouer un rôle beaucoup plus important.
A l’initiative de la Vice Présidente Wallström, la Commission a réagi aux référendums Français et Néerlandais en lançant le Plan D « Dialogue, Débat, Démocratie ». Qu’en pensez-vous? Le nouveau Président du Comité des Régions Luc Van Brande suggère un « quatrième D » : Décentralisation : comment feriez-vous cela ?
« Dialogue, Débat, Démocratie, Décentralisation »: je n’ai rien à ajouter. C’est un beau programme. Encore faut-il du courage pour l’appliquer. La Commission européenne a un rôle capital à assumer, sous le contrôle évidemment du Parlement européen. Elle ne doit pas se défausser de ses responsabilités politiques propres sur les Etats membres, avec lesquels elle doit évidemment coopérer en faisant connaître et en encourageant les meilleures initiatives.
Avez-vous d’autres conseils à donner à Mme Wallström, ou au Directeur Général de la DG Communication, Claus Sörensen ?
Je connais trop les difficultés de la fonction – plus encore dans une Union à 27 que de mon temps – pour me permettre de donner des conseils à mes successeurs. Tout au plus des encouragements…
Dans un an auront lieu les élections au Parlement européen. La tendance à long terme est à la baisse du taux de participation et les études eurobaromètre – dont vous êtes également le fondateur – n’incitent pas à l’optimisme. Comment contrer cette tendance ? Comment porter le débat sur les vrais sujets européens dans les médias et les classes politiques nationales ? Quel rôle peut jouer l’internet dans ce débat ?
La question est vaste. Le Parlement européen a une image relativement bonne, mais sa notoriété et celle de ses activités reste faible. La participation électorale, dans les pays où le vote n’est pas obligatoire, (c’est-à-dire dans la plupart d’entre eux), est peu élevée. La mobilisation des électorats dépend évidemment des partis politiques et des organisations de la société civile.
La principale difficulté, me semble-t-il, c’est que l’on appelle à voter pour un Parlement européen à partir de thèmes principalement – sinon exclusivement – nationaux. Ce qu’il faudrait, c’est ouvrir et nourrir le débat sur les solutions qui pourraient être recherchées et débattues au niveau européen à des problèmes ressentis au niveau national ou régional.
Des débats sur une plateforme Internet entre parlementaires de divers pays et d’une même tendance politique pourraient être utiles. On pourrait aussi, dans les pays où les élections européennes se font au scrutin de liste, suggérer aux partis qui en auraient le courage et sauraient en valoriser l’initiative d’introduire sur leur liste un nombre non négligeable de candidats d’autres nationalités.
Avez-vous des questions à suggérer pour des prochaines éditions de l’Eurobaromètre ? Etant donné la sensibilité de certaines questions et la difficulté pour les institutions d’en publier les résultats, pourquoi ne pas encourager des instituts de sondage privés, associés à des médias, de réaliser leur propres enquêtes comme c’est déjà le cas au plan national ?
Voilà une question toute trouvée pour l’ « Eurobaromètre », à poser aux personnes qui se disent inscrites et disposées à voter pour l’élection du Parlement européen : « Je ne vous demande pas pour quelle liste vous allez probablement voter, mais si, sur cette liste, figuraient, par exemple, plusieurs candidats d’une autre nationalité européenne que la vôtre, seriez-vous très pour, plutôt pour, plutôt contre, très contre, ou est-ce que cela vous serait égal ? « . (Dans une autre partie du questionnaire, on demande aux personnes interrogées de se positionner sur la dimension « droite-gauche », ce qui éclaire l’analyse).
On pourrait même « pimenter » le questionnaire en demandant à ceux qui auront répondu positivement : « Y a-t-il néanmoins des candidats de votre tendance politique, mais d’une autre nationalité européenne que la vôtre, pour qui vous ne voteriez pas certainement ? Si oui, de quelle nationalité s’agit-il ? ».
Les responsables actuels de l’ « Eurobaromètre » n’aiment pas ce genre de questions « pimentées », par exemple celle qui n’a plus été posée depuis 1997 sur la confiance entre les peuples… Manque de courage? Il en a pourtant fallu, en 1950, cinq ans après la fin de la guerre, pour proposer d’unir Français, Allemands, Italiens et « Bénéluxiens » dans la première « Communauté européenne »… Et ce n’était pas une question dans un sondage !
Il me semble que des médias pourraient demander à la Commission européenne la possibilité de poser dans un « Eurobaromètre », à leur charge et sous leur responsabilité éditoriale, des questions « européennes » légèrement « pimentées », mais il me semble que ce serait plutôt au Parlement européen de prendre l’initiative de telles questions, éventuellement en liaison avec des chercheurs universitaires intéressés.
Périodiquement, on entend des appels à créer de « vrais média de masse pan-européens »? Qu’en pensez-vous ?
Médias de masse pan-européens ? Certaines tentatives ont été faites. Aucune n’a encore réussi . Question de langues , évidemment, mais aussi de contenu… « Salut aux chercheurs d’aventure ! « , pour reprendre un propos historique !
Pour lire l’intégralité de l’entretien.