Prochain élargissement de l’UE : un impératif géopolitique, des choix difficiles à faire

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 affecte la géopolitique du continent européen comme aucun événement depuis 1989 et la fin de la guerre froide, précipitant l’élargissement de l’OTAN à la Finlande et bientôt la Suède, la création de la Communauté politique européenne et l’ouverture de l’Union à de nouveaux membres. Hans Kribbe et Luuk van Middelaar, de l’Institut bruxellois de géopolitique, analyse les choix difficiles qui nous attendent

Qu’est-ce qui fait de l’élargissement de l’UE un impératif géostratégique ?

Les zones grises ou tampons intermédiaires comme l’Ukraine, la Moldavie ou la Géorgie, pris en sandwich entre Russie et UE n’existent plus. Une ligne de fracture stratégique traverse désormais le continent, il est dans l’intérêt stratégique de l’Union d’intégrer fermement et définitivement les États de « notre » côté, c’est devenu une priorité majeure.

De même pour les six États des Balkans occidentaux actuellement dans la salle d’attente d’adhésion (l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Serbie). Cela signifie que l’Union doit maintenant se préparer à l’adhésion de neuf nouveaux membres.

Un tel élargissement sera monumental pour l’Union elle-même et son fonctionnement. En fait, sans une réforme interne significative de l’UE, il est difficile d’imaginer comment ce sera possible. Ce ne sont pas seulement les États candidats qui doivent se préparer à l’adhésion. L’UE doit être prête à l’expansion.

Réforme interne

Sur plusieurs points clés de la gouvernance et des politiques européennes, l’UE doit se réformer :

  1. Pour une prise de décision efficace et légitime : une modification inévitable de la dynamique institutionnelle et politique de l’Union et au cœur du processus décisionnel de l’UE ;
  2. Pour le budget de l’UE, l’agriculture et la politique de cohésion : l’UE devra faire des choix budgétaires difficiles ;
  3. En théorie, pour le marché unique, la libre circulation et l’emploi : de nouvelles opportunités économiques et de nouveaux emplois permettant de renforcer la compétitivité de l’Europe et de stimuler la croissance ;
  4. Pour l’État de droit et démocratie : ne rien faire pour renforcer l’État de droit risque de provoquer une perte de cohésion et un écart croissant entre les discours et la réalité ;
  5. Pour la sécurité externe : une nouvelle frontière extérieure abritera des intérêts géostratégiques, la dépendance à l’égard des États-Unis en matière de sécurité va très probablement augmenter.

Un dilemme à la fois nécessaire mais également impossible

Un nouveau consensus sur la nécessité stratégique d’ancrer fermement ces États dans la sphère de sécurité et de prospérité de l’Union et dans le même temps, un impératif de protéger le fonctionnement, la cohésion et les valeurs fondatrices de l’Union.

Ce qui est impossible aujourd’hui peut devenir possible demain. D’où bien sûr l’obligation pour les candidats de se changer et de se réformer avant leur entrée. D’où également la nécessité pour l’Union de se préparer et de se changer. Ces deux processus, juridiquement distincts mais politiquement liés, sont censés se réunir au moment où l’Union et (certains ou tous) les candidats seront « prêts » et que l’élargissement pourra avoir lieu.

Acceptation du public

Le soutien public à l’élargissement ne peut être tenu pour acquis. Même si l’adhésion après la guerre froide n’était pas une fatalité, les dirigeants et les majorités publiques en Europe se sont finalement ralliés à la grande mission de « réunifier le continent ». Mais le soutien a rapidement cédé la place à une lassitude face à l’élargissement, à une inquiétude croissante de l’opinion publique concernant l’emploi et les salaires, la croissance de la migration intra-UE et le spectre du « dumping social ».

La méfiance à l’égard de l’élargissement persiste dans de nombreuses régions de l’Union. L’humeur du public est changeante. La guerre d’agression de la Russie pourrait désormais renforcer le soutien de l’opinion publique à l’adhésion de l’Ukraine et d’autres candidats.

Pour offrir aux nouveaux membres un foyer adapté aux 36 pays, les dirigeants de l’UE doivent trouver des moyens d’impliquer leurs propres électeurs, sinon la porte de l’Union risque de rester fermée. C’est peut-être là que réside peut-être la mission actuellement la plus sous-estimée à laquelle l’Union est confrontée.

Que retenir ?

La perspective de l’élargissement va libérer toutes sortes de forces contradictoires, prise entre la nécessité et l’impossibilité, l’impatience des nouveaux candidats et le ressentiment des anciens, et sous la pression du temps exercée par le rythme des événements, l’UE doit jouer la carte de la clarté et de l’honnêteté quant aux compromis et aux dilemmes, nécessitant du leadership. Éviter les questions difficiles dans l’espoir qu’elles disparaissent ne trompera pas l’opinion publique des deux côtés de l’Union.

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