Empire des Habsbourg et Union européenne : des parallèles d’hier et d’aujourd’hui

Invitée sur RCF en Belgique, Caroline de Gruyter, auteure de « Monde d’hier et monde de demain » propose une perspective nouvelle d’une vision européenne de l’Empire des Habsbourg et d’une vision habsbourgeoise de l’Union européenne. En ces temps incertains de basculement et de bouleversement, le regard rétrospectif sur cet ensemble multinational offre des perspectives, voire de l’espoir.

Comment meurent les « empires » ?

Avec toutes les crises, est-ce que l’Union européenne va disparaître ? Est-ce que la fin de l’empire des Habsbourg peut servir ? Ce sont les questions au départ de la réflexion. L’empire des Habsbourg n’est pas mort en raison de la pression des nationalistes, alors que l’on croit que l’Europe va sombrer à cause des populistes europhobes. L’empire des Habsbourg s’est écroulé de l’intérieur car sa valeur ajoutée n’était plus pertinente pour faire face aux nouveaux défis après la première guerre mondiale.

Quel souvenir laissent les « empires » ?

Rétrospectivement, le souvenir de l’administration impériales, qui multipliaient les contrôles aux frontières, sur le commerce et en matière sanitaire, a laissé une empreinte positive sur les populations. Message à destination de Bruxelles.

L’empire des Habsbourg était perçu comme « bénévolant », de bonne volonté au service des citoyens, tout en étant très largement critiqués tout au long de son existence. C’est quand l’empire a disparu qu’on a pris conscience de sa perte. Le sentiment de non-Europe sera la clé pour l’UE.

Aussi, l’empire des Habsbourg a été le moins autoritaire des empires du XIXe siècle, et n’a jamais été totalitaire, c’était un précurseur pour des idées modernes, avec de nouveaux services publics : écoles, académies, fondations, hôpitaux… Bâtir à l’échelle des prochaines générations, des infrastructures qui endureront et dureront.

Comment se battent les « empires » ?

Sur le plan international, l’empire des Habsbourg a toujours eu des difficultés à mener des guerres offensives, il était capable seulement de mener des guerres défensives. La diplomatie habsbourgeoise navigue à vue, négocie, avance à tâtons, en reculant, et surtout en ménageant toutes les parties.

L’objectif de maintenir l’unité, en dépit des différences et des intérêts divergents est au cœur des compromis de l’empire, qui rend beaucoup plus difficile les conquêtes mais facilite lorsqu’il s’agit de se défendre ensemble, face à un ennemi commun, qui nous unit, comme la lutte contre le covid ou Poutine. Des zones tampon sont aussi nécessaires pour éviter de diviser les nations. Enfin, l’empire est passé maître dans l’art de la temporisation pour reculer au maximum toute décision difficile.

Quelle place pour la MittleEuropa ?

L’Europe Centrale, au cœur de l’empire des Habsbourg, brisée par la première guerre mondiale et enfermée derrière le rideau de fer, revient et reprendre sa place au cœur de la nouvelle Europe. L’Europe Centrale est indispensable dans l’équilibre de l’Europe, que ce soit hier, aujourd’hui ou demain.

Dans l’UE, tous les nouveaux États-membres arrivent enfin maintenant dans le centre de la politique européenne. A cause notamment de l’agression russe, c’est le moment de l’émancipation et de leur unité, ce qui change la configuration de l’Europ, qui retrouve son point d’équilibre.

La Pologne, par exemple, était marginalisée, elle se retrouve au centre, comme la visite de Biden l’a montré, y compris sur des sujets difficiles à faire avancer comme les dossiers des migrations (position en faveur de la protection des frontières) mais aussi de l’état de droit, pas encore réglé.

Quel rôle pour la RealPolitik ?

L’Union européenne doit apprendre à être plus géopolitique, c’est le seul changement possible. Son modèle qui consistait à dépolitiser les conflits, à casser les problèmes en mille morceaux et à tenter de les recoller différemment ne fonctionne plus.

L’Europe doit réapprendre à penser politique et doit grandir moralement, ça veut dire être capable de prendre des décisions géopolitiques, comme l’accord sur les migrants avec la Turquie, qui n’est pas brillant, mais qui est une solution.

Comme l’empire des Habsbourg a appris face à d’autres empires européens allemand et russe plus sournois, l’art de ne pas être seul, encerclé, avec des adversaires coalisés peut servir aussi de leçon dans la gestion du conflit avec la Russie en Ukraine.

Comment ? Les « empires » protègent

La protection des minorités aura été au cœur de la mission historique de l’empire des Habsbourg, ce rôle, c’est un peu celui de l’Union européenne qui vise à protéger les consommateurs sur le marché européen.

Les Européens ne comprennent pas que le fonctionnement même médiocre, avec tous les compromis, est le seul, qui permettent que tout un chacun soit protéger, en tenant compte des réalités. C’est devenu tellement normal, banal, que les gens oublient et ne se rendent pas compte.

Quel narratif pour les « empires » ?

En Europe, il fait toujours avoir un narratif. La fin de la guerre, qui a longtemps servi pour l’UE, mais n’était plus à l’ordre du jour pour les nouvelles générations, reprend du service. Maintenant, on voit bien que cette promesse demeure très forte.

Les gens commencent à comprendre qu’on a construit quelque chose sans s’en rendre vraiment compte : c’est l’état de droit et l’esprit de dialogue qui président. Notre vivre ensemble repose, sans jamais faire rien parfaitement, ce qui est frustrant, sur le fait que l’on écoute tout le monde et que l’on agit collectivement. C’est un bien unique, qui unit, c’est même le seul moyen de nous rassembler tous ensemble. Cet art très spécial, c’est la garantie de notre paix.

Et la culture dans tout ça ?

L’Union européenne a toujours défendu le respect du patrimoine et la défense de la diversité. Laisser exister nos différences les unes à côté des autres, c’est la méthode pour laisser vivre les uns et les autres. On ne peut pas avoir une Europe qui gagne, avec des forts face à une Europe des petits qui perdent.

Dans notre monde où la grandeur et la belligérance sont redevenues des options crédibles, c’est très bien de disposer de notre modèle : très strict sur nos principes, sur tout le reste, on peut discuter. C’est illisible et compliqué, mais c’est pour ça que ça marche. Les gens attendent toujours trop , on ne peut pas prendre de grandes décisions à 27.

Et la politique dans les « empires » ?

Les chefs d’État et de gouvernement doivent mieux expliquer leurs choix. Ainsi du plan de relance post-covid, reposant sur un financement partagé pour s’en sortir ensemble, qui a été compris et soutenu.

Le courage d’expliquer les décisions, de prendre ses responsabilités, avec davantage de votes au sein des parlements nationaux et d’approuver les compromis est la seule solution pour mettre un terme au « Brussels blame game »

On ne doit plus dire que c’est Bruxelles qui prend toutes les décisions, plus que jamais, ce sont les États qui ont le pouvoir au sein d’Europe de plus en plus intergouvernementale. Les États-membres contrôlent toutes les décisions, mais ils ne le disent pas et même cachent leur rôle, c’est l’un des plus grands problèmes de l’Europe.

Quelle nouveauté pour l’Union européenne ?

Les leaders européens sont davantage visibles car les affaires européennes sont de plus en plus importantes. Les sujets sensibles, comme la santé, la sécurité ou le climat sont davantage européens. La mise à l’agenda de ces nouveaux sujets s’est imposée, non pas par choix, mais par le poids des événements. Tout est ré-évaluer en fonction des nouveaux défis, la politique européenne devient de plus en plus intéressante, parce qu’on y discute de sujets importants pour la vie.

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