Journalistes d’Europe : entre mythes et réalités

Passionnant échange entre Isabelle Ory, correspondante pour Europe 1 à Bruxelles et Richard Werly, le correspondant du journal suisse Le Temps à Paris qui couvre également les affaires européennes organisé par la Fondation Jean Monnet pour l’Europe sur le métier de journaliste d’Europe aujourd’hui…

Quel est le rôle d’un correspondant européen aujourd’hui ?

Pour Richard Werly, le métier de correspondant européen doit « inclure un élément de prospective, le monde change très vite, il faut allumer des ampoules pour éclairer le tunnel ».

L’Union européenne est un animal politique qui affronte des défis nouveaux, ce n’est pas un long fleuve tranquille intégrationniste, il faut donc sortir des clichés et entrer dans la complexité.

Les journalistes ne doivent pas être les clercs de notaire des institutions européennes, le poste de correspondant sur l’Europe doit faire un effort narratif, raconter, faire du reportage et le traitement de l’actualité institutionnelle n’est pas prioritaire.

Le journaliste d’Europe, pour Richard Werly, est d’abord un correspondant international, qui a le goût des cultures européennes, une connaissance des langues européennes et des compétences en matières économiques. Bruxelles, c’est là que notre destin se joue. L’épicentre de la question géopolitique passe par l’Europe.

Pour Isabelle Ory, le correspondant à Bruxelles – qui vit une année étrange dans une Union confinée où la salle de presse est pour la première fois fermée depuis mars dernier – doit être capable de se plonger dans les dossiers européens et de s’en abstraire en même temps.

En prise directe avec l’actualité, le correspondant à Bruxelles est à la fois en contact avec les journalistes qui traitent la politique nationale et internationale dans sa rédaction, selon les angles et les sujets.

Quelles sont les contraintes des journalistes européens ?

Entre la journaliste TV/radio et le journaliste de presse écrite, les contraintes sont naturellement différentes.

Pour Isabelle Ory, faire de la télévision à Bruxelles est un oxymore puisqu’il n’y a pas d’image. En outre, les propos « off the record » sont plus nombreux et intéressants que les déclarations officielles, ce qui est facile à rapporter dans la presse écrite, mais beaucoup plus compliqué en radio ou à la TV.

Pour Richard Werly, la presse écrite est le parent pauvre des médias. Entre le poids du temps réel et de l’immédiateté des réseaux sociaux, l’attraction fatale des TV pour les politiques et le droit de relecture et de correction, qui n’est pas pratiqué dans l’audiovisuel de plus en plus souvent en direct, la presse écrite est « le dindon de la farce » sans compter le parasitisme des communicants qui se prennent pour des spin doctors.

Bruxelles : paradis ou enfer des sources ?

Pour Isabelle Ory, Bruxelles est le paradis des sources, puisque les correspondants de presse peuvent se tourner vers le Parlement européen (les groupes politiques, les délégations nationales, les assistants et les élus), les diplomates (de leur État-membre ou d’autres États-membres notamment les Scandinaves traditionnellement plus transparents), etc.

Le plus important, c’est de jouer le jeu bruxellois autour de la culture du off et du partage des informations.

Pour Richard Werly, la source prioritaire est constituée des délégations nationales permanentes à Bruxelles (représentations permanentes et interlocuteurs nationaux) et ponctuelles (ministres).

Mais, sur des grandes questions, les sources du secteur privé ne sont pas à négliger. L’avis des lobbyistes, consultés par la Commission européenne, peut permettre des éclairages intéressants. Et les ONG sont de plus en plus actives et des sources d’information à part entière. Enfin, les interlocuteurs dans les autres capitales européennes – rencontrés lors de sommets ou de reportages – sont précieux.

Face à la profusion des sources, il faut sortir du giron institutionnel vers un creuset plus divers.

Quel est l’état de la couverture européenne dans les médias en Europe ?

Pour Isabelle Ory, il y a un problème spécifique à l’audiovisuel public français. Pour illustrer la diversité de la couverture médiatique, Isabelle Ory évoque une anecdote significative à l’occasion du scandale des LuxLeaks lors de la prise de fonction de Jean-Claude Juncker : tandis que la TV suisse romande voulait faire son ouverture sur la question « qu’est-ce qu’on lui reproche, il y a rien n’a voir, circuler », la radio Europe 1 en France voulait ouvrir en réclamant sa démission immédiate.

Pour Richard Werly, la couverture médiatique de l’Europe est plutôt bien représentée dans la presse écrite, à l’exception de la presse britannique qui a désinvesti l’Europe, sans doute l’une des causes du Brexit. Le fait de travailler dans un journal Le Temps, d’un pays tiers à l’Europe en Suisse permet de jouer carte sur table, donne une liberté de ton plus grande moins empreinte d’une sorte de politiquement correct européens.

En conclusion, Richard Werly et Isabelle Ory se rejoignent sur la situation préoccupante en Hongrie, où il n’y a plus de liberté de la presse, les citoyens ont une vraie conscience des pressions du pouvoir et en Pologne où malgré tout il y a encore une vie médiatique pluraliste et une vraie campagne électorale s’est récemment déroulée. Ce qui se passe en ligne et dans la société civile – les résistances non médiatiques – n’est pas suffisamment connues. Une forme d’autoritarisme médiatique plane comme une zone d’ombre noire dans ces pays.

Vous pouvez regarder l’intégralité de leur échange en vidéo sur Youtube.

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