L’adoption des modes de pensée, des solutions et des pratiques de communication dérivés du monde de l’entreprise au sein des institutions nationales (ou européennes) via le concept de « nation branding » (ou « European branding ») n’est pas sans risque, selon Paweł Surowiec dans « Is Corporatisation of Soft Power Failing Strategic Communicators? ». Pourquoi le concept d’image de marque est contre-productif à l’échelle de l’Union européenne ?
Une image de marque européenne ne peut durablement se prétendre apolitique
Les partisans du « national branding » (ou « European branding ») supposent que, par leur pragmatisme et leur vision tournée vers le marché, leur communication ne doit subir aucune influence politique. Par conséquent, les marques nationales (ou européennes) doivent tendre vers une forme de dépolitisation.
Cependant, l’argument selon lequel l’image de marque d’une nation (ou de l’Europe) devrait être « apolitique » démontre une compréhension limitée des sociétés démocratiques, où des élections conduisent légitimement à des changements sous l’influence de gouvernements démocratiquement élus.
Songeons à l’introduction d’une stratégie de marque contre-productive à plusieurs reprises au Royaume-Uni, où le Cool Britannia du New Labour de 1997 a été remplacé par la «GREAT Campaign » du gouvernement conservateur, qui s’est d’ailleurs écrasée contre les dures réalités du Brexit.
Une image de marque européenne ne peut uniquement reposer sur une croyance dans la rationalité
Quelques soient les agendas politiques, les marques nationales (ou européenne) font principalement des promesses économiques. La finalité du « nation branding » vise à attirer des investissements, à développer le tourisme et à soutenir les exportations.
Néanmoins, l’idée de développer des narratifs stratégiques sur la base d’une rationalité économique est très restrictive et ne permet pas aux décideurs et aux communicateurs de comprendre quels sont les problèmes qui entraînent des changements dans les perceptions et la réputation des entités politiques.
Considéré un système politique particulier (national ou européen) comme un « tout » pour en assurer le « branding » ne permet pas d’en examiner les détails quand il s’agit de mieux répondre à des attentes et besoins nouveaux ou de répondre à la complexité liée notamment aux transformations écologiques, industrielles et numériques.
Une image de marque européenne serait trop autoritaire et peu flexible
D’une part, la communication stratégique contemporaine requiert une flexibilité, qui fait souvent défaut à la gestion d’une marque commerciale unilatérale et unidimensionnelle alors qu’une nation ou à fortiori l’Union européenne doit évoluer dans un contexte multilatéral (au niveau international) et multiniveaux (avec les échelles nationales, régionales et locales). Autrement dit, la gouvernance de la communication européenne nécessite une flexibilité que le branding ne permet pas.
D’autre part, l’image de marque d’une nation (ou de l’UE) est, en théorie tellement rigide, qu’elle se trouve plus proche des régimes autoritaires que des institutions pluralistes. Son engagement autour d’une vision fixe pour l’unification et la synergie est difficilement viable dans les démocraties libérales où les voix institutionnelles représentent des intérêts divers. En somme, l’idée de marque est plus proche de la pratique de la propagande dans les régimes autoritaires que de la communication polyphonique lié à l’institutionnalisme pluraliste et démocratique où les acteurs politiques s’engagent dans une « gouvernance polyphonique ».
Une image de marque européenne serait trop managée et inadaptée aux stratégies spécifiques aux acteurs
Le concept d’image de marque pour les nations (ou l’Union européenne) comporte des effets idéologiques incompatibles sur la gouvernance en légitimant des stratégies discursives qui repose sur l’inévitabilité des logiques de management et de marché.
En Pologne, les principes liés à l’image de marque de la nation, légitimés comme « post-idéologiques » ne sont finalement parvenu ni au stade « post-politique » en ne parvenant pas à transcender les clivages politiques, ni au stade « post-historique » en ne permettant pas à la nation polonaise de s’éloigner de son passé.
Une application directe de l’image de marque dans la communication stratégique européenne aurait pour conséquence une « asymétrie de la rationalité » : les pratiques issues de l’entreprise se heurtent aux réalités politiques, aux cultures institutionnelles et à l’environnement médiatique européen.
Au total, imaginer que l’Union européenne puisse être gérée comme une « marque » au niveau stratégique est ingérable tant les risques de problèmes surpassent les illusoires solutions.