Depuis plusieurs décennies, la « facture européenne » dans les urnes n’a cessé de progresser (référendums et élections européennes) et les partis politiques gouvernementaux français peinent à trouver un récit d’intégration européenne ; sans pour autant affecter jusqu’à présent la mise en œuvre de la politique européenne de la France. Mais, le fossé – béant lors de la campagne électorale – entre le choix européen des gouvernements français et la sphère publique dominée par les critiques de l’Europe est-il durable à long terme ?
La lente érosion du récit européen de l’Europe puissance
Olivier Rozenberg analyse – dans « La France à recherche d’un récit européen » in Les Cahiers européens de Sciences Po – la bataille des idées sur l’Europe.
Pour lui, l’idée d’« Europe puissante » a de plus en plus difficulté à persuader les gens d’aimer l’Europe, parce que les dirigeants qui soutiennent les traités ont de plus en plus de mal à assumer et justifier leur position dans le débat public.
Une sorte d’euroscepticisme « doux » de la part des dirigeants des partis gouvernementaux s’est peu à peu imposée afin de rassembler les extrêmes dans chacun de leur camp.
L’érosion de l’Europe puissante en tant que récit national majeur pour justifier l’intégration européenne s’explique en raison de son inadaptation :
D’une part, l’intégration européenne est justifiée si elle fournit un pouvoir supplémentaire capable de produire des résultats. De toute évidence, ce type de justification est problématique lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le soutien à l’Europe souffre car il n’a pas produit les résultats escomptés.
D’autre part, l’Europe puissance est justifiée si elle place la défense de la grandeur de la France au centre. Or, l’élargissement de l’UE et la domination économique de l’Allemagne ont imposé un discours sur la réforme nécessaire de la France, qui place l’Europe du côté des efforts et des sanctions.
Le remaniement problématique du récit européen de la France
Face au déclin du récit français des gouvernements sur l’Europe puissance, le manque d’imagination pour concevoir un grand « design » européen de remplacement renforce la situation problématique de l’Europe dans les discours politiques.
Les raisons, selon Olivier Rozenberg, en seraient la culture politique nationale et le système politique français.
D’une part, les normes partagées par les élites politiques et administratives françaises sont de plus en plus éloignées de l’Europe entre la réticence sur le modèle du marché libre et l’idée de volontarisme politique, un concept idéalisé en France qui tend à favoriser la personnalisation et la centralisation au détriment de la gouvernance collective et multi-niveaux pratiquée par l’UE.
La solution d’une « Europe politique » est si régulièrement proposée que l’idée est devenue polymorphe et même insignifiante.
D’autre part, la difficulté de renouveler le récit français de l’intégration européenne s’explique par le régime de la Ve République. Certes, le centralisme présidentiel offre une certaine efficacité dans la définition et la poursuite des principales priorités nationales au niveau européen. Mais, cela endommage une vision cohérente.
L’élection présidentielle à deux tours oblige les candidats des deux principaux partis gouvernementaux à rédiger une vision synthétique de l’Europe qui peut gagner, à la fois les europhiles et les eurosceptiques au sein de chaque camp. Un exercice particulièrement difficile à concilier pour ce scrutin.
La vision de l’Europe du candidat est trop souvent mise en avant, juste avant la campagne, dans une relative superficialité du travail sur les programmes et pour les Présidents élus dans une relative indifférence à respecter le programme électoral. La déconnexion entre les politiques électorales et publiques ne favorise pas l’établissement de programmes et de doctrines cohérentes.
Au total, Olivier Rozenberg estime que la bataille des idées se perd à un prix élevé. L’euroscepticisme « soft » des partis gouvernementaux risque d’ouvrir la voie à un développement critique de la politique européenne de la France.