L’Europe des Médias : présentation de l’espace médiatique européen

Aujourd’hui, l’information européenne est en profonde mutation au point que le pluralisme de la presse européenne et l’urgence de conserver une représentation médiatique pour l’idée européenne ne semblent plus pour le moment menacés. Pourtant, l’espace public européen demeure embryonnaire et les médias vraiment européens sont peu nombreux. (Article paru initialement dans la Revue Tank)

Qu’est-ce que l’espace public européen ?

Le concept d’espace public européen possède en effet souvent le défaut d’échapper à ses auteurs. Existerait-il seulement à l’occasion de l’Eurovision et de la finale de la Ligue des champions, à défaut d’une meilleure maîtrise des langues européennes et d’une mobilité renforcée des Européens ? Mettons de côté l’intérêt académique du concept, limpide dans la réflexion d’Olivier Baisnée autour d’un espace public européen « orléaniste », au sens où il n’implique qu’une élite socialisée à, et intéressée par, les questions européennes, constituée au premier chef par les journalistes européens.

La réalité, c’est plutôt qu’entre un espace public vraiment transeuropéen encore en gestation et des espaces publics nationaux cloisonnés, les limites d’un espace public européen sont fortes. Du coup, les médias transeuropéens sont relativement faibles et l’Europe dispose d’une portion congrue dans les médias nationaux.

Qui s’intéresse à l’Europe ?

Dans les médias nationaux, que l’on juge qu’il s’agisse d’un problème d’offre (les médias nationaux et les politiques ne savent pas vendre l’UE) ou de demande (les citoyens ne s’intéressent pas à l’UE), le résultat est le même. Les médias octroient à l’UE l’importance que les citoyens et les politiques lui donnent, hormis éventuellement quelques médias anglo-saxons transnationaux monolingues (The Economist, The Financial Times Europe et The Wall Street Journal Europe), qui poursuivent une couverture élitiste de l’UE à travers un prisme national assumé correspondant à l’expansion culturelle ou idéologique d’un média à forte notoriété, lus dans plusieurs pays européens et qui forgent l’opinion auprès des milieux dirigeants. Pour les médias transeuropéens, la règle est somme toute assez cruelle : l’importance des publics est inversement proportionnelle au traitement de l’UE. Autrement dit, les médias transeuropéens de masse ne traitent quasiment pas de l’UE tandis que les médias couvrant les affaires européennes tentent une approche plus pluraliste du sujet mais s’adressent de facto à un public restreint, qu’il soit monolingues ou multilingues.

Au bout du compte, on distingue une dichotomie de plus en plus flagrante entre d’un côté, une presse ultra-spécialisée sur l’Europe, très difficile d’accès, au sens strict, par son coût et la difficulté que représente sa lecture pour le non-spécialiste, et de l’autre, une presse populaire nationalo-centrée, qui se désintéresse de plus en plus de ces questions et laisse le grand public largement dans l’ignorance de la chose européenne.

Un média paneuropéen est-il possible ?

Certes, il existe quelques médias audiovisuels transeuropéens. Mais force est de constater qu’ils ne parviennent pas à toucher le grand public, soit qu’ils s’agissent de médias à vocation européenne dont le cœur de métier n’est pas nécessairement de couvrir l’actualité institutionnelle européenne (chaînes de télévision Euronews, Arte ou Eurosports) soit qu’il s’agisse des agences de presse spécialisées (Agence Europe – Bulletin Quotidien Europe, Europolitique aujourd’hui disparue). En dépit de plusieurs tentatives, il n’existe donc pas vraiment, à ce jour, de média paneuropéen grand public. Pourquoi ?

  • difficultés du côté de la demande : absence de langue et de références culturelles communes au sein de l’UE alors que le traitement de l’information se réalise en fonction des préoccupations et des sujets d’intérêt du public.
  • conséquences du côté de la demande : financement exsangue, parce qu’il n’existe pas véritablement de marché publicitaire paneuropéen et parce qu’il est très difficile de mesurer les audiences européennes.
  • difficultés du côté de l’offre médiatique : faible européanisation des pratiques journalistiques, en raison de la pression du système journalistique national, y compris chez les correspondants de presse à Bruxelles.
  • conséquence du côté de l’offre : complexité de faire travailler au sein d’une même rédaction des journalistes en provenance de différents pays européens pour des raisons interculturelles.

Etat de l’offre

Pourtant, une presse écrite et en ligne spécialisée sur les questions européennes méconnue du grand public existe. Malgré un débat sur leur modèle économique ou leur équilibre dans la place accordée aux professionnels et aux amateurs de l’information, une vingtaine de médias européens dédiés aux affaires européennes coexistent.

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Face aux médias européens « historiques » (New Europe, European Voice aujourd’hui racheté par Politico Europe) assurant leurs revenus avec de la publicité et des abonnements à des éditions papier et offrant de la visibilité à des experts via des tribunes libres, de nouveaux acteurs « pure player web » plus ouverts au sponsoring et aux partenariats (Euractiv, EU Business, Contexte) sont apparus, eux-mêmes concurrencés par des médias reposant davantage sur la vidéo (Vieuws, EU Reporter) et proposant des services de média training et de production en complément de leur activité éditoriale.

Des projets financés par les acteurs publics (Eurotopics, Touteleurope), par des cabinets de conseil (The Parliament Magazine, Paris-Berlin) ou alors par des volontaires (VoxEurope), des amateurs (E!Sharp) ou des freelances (MyEurope) tentent de se faire également une place.

Nouveaux sujets, nouvelles opportunités ?

Par ailleurs, de nouvelles thématiques s’européanisent et trouvent des échos dans des médias inattendus, comme les euromythes dans la presse grand public britannique ou les blogs contestataires qui s’intéressent de près aux projets « bruxellois ». Là, l’Europe devient peu à peu un espace naturel et un centre d’intérêt même si un certain populisme se développe aussi.

Et de nouvelles pratiques se développent comme la professionnalisation de la prise en compte des attentes et besoins de leurs publics avec davantage de pédagogie et de comparaison pour les médias grand public ou d’analyse et de contexte pour les médias destinés aux professionnels des affaires publiques européennes. Une certaine éditocratisation politique du journalisme européen favorisant un traitement plus politique des affaires européennes vise davantage à « mener » le débat politique européen.

En somme, le paysage médiatique européen est beaucoup plus divers avec une plus grande segmentation des manières de pratiquer le métier entre correspondants à Bruxelles précarisés, spécialistes européens marginalisés et éditocrates européens installés. Le journalisme européen est en profonde transformation, tant avec l’arrivée de pure players dont Politico Europe, du data journalisme, d’une nouvelle euro-génération Erasmus multilingue et digital native, de médias décalés et satiriques, d’une alliance inédite baptisée : « Leading European Newspaper Alliance » (LENA) d’échange d’articles entre des journaux européens de référence, etc.

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