À l’heure des discours sur l’Europe à plusieurs vitesses pointant des fractures au sein de l’Union selon la date d’adhésion des pays, Alena Sobotova au contraire explore une « communauté de presse en train de naître à Bruxelles » entre les correspondants des anciens et des nouveaux Etats membres…
La problématique du corps de presse à Bruxelles : persistance des stéréotypes ou restructuration/normalisation des schémas cognitifs ?
La socialisation au milieu bruxellois peut agir comme une force homogénéisante, rendant les journalistes semblables indépendamment de leur pays d’origine ou au contraire la rencontre avec un nouveau milieu peut exacerber les différences et les stéréotypes existants.
Les perceptions des correspondants de presse à Bruxelles pour couvrir l’Union qui sont quotidiennement amenés à se rencontrer ne perpétuent pas les stéréotypes et images du “journalisme de propagande“ caractéristique de l’époque communiste faisant désormais partie intégrante de l’imaginaire collectif et un clivage symbolique entre les anciens et les nouveaux Etats membres.
Le milieu bruxellois a potentiellement un rôle à jouer dans l’éventuelle normalisation des perceptions. Les journalistes sont d’autant plus intéressants à étudier qu’ils peuvent agir, à travers le contenu qu’ils produisent, comme des multiplicateurs d’un changement de mentalités qui serait en train de s’opérer à Bruxelles.
1. Le clivage anciens-nouveaux relativement peu saillant dans le corps de presse
Dans l’esprit des journalistes, il est impossible de généraliser. Il n’existe pas de catégorie spécifique qui regrouperait de manière homogène tous les Etats ayant adhéré après 2004.
La forte coopération au sein du corps de presse : la caractéristique du milieu bruxellois
Les appartenances nationales ne se sont pas effacées mais sont la condition même rendant la coopération : chaque collègue étranger devient indirectement le porte-parole de son Etat d‘origine. Il s’agit en soi d’une preuve d’européanisation horizontale du travail des correspondants.
Les rapports de force dans le corps de presse : le facteur national absent
Dans la vie professionnelle des correspondants, l’influence dans la salle de presse ne dépend nullement de l’appartenance nationale mais du prestige et de la « grandeur » des médias, hormis pour les journalistes d’Allemagne, de France et de Grande-Bretagne.
2. Les représentations relatives aux nouveaux venus : le national revient
Les stéréotypes sont en train d’évoluer, laissant place à une vision bien plus nuancée des spécificités. Meilleure interconnaissance et principes déontologiques du journalisme font aboutir à un refus de généralisations hâtives.
Dans la façon même dont toute différence est niée, on parvient à percevoir les présupposés qui ont mené vers une réponse “politiquement correcte“ niant une quelconque différence en termes de qualité de travail journalistique et de niveau de professionnalisme.
La volonté de lutter contre (ou pour le moins ne pas perpétuer) ce que les journalistes perçoivent comme un stéréotype est symptomatique de leur préoccupation d’apparaître comme neutres et objectifs, mais aussi potentiellement de la cohésion naissante de la communauté journalistique bruxelloise.
3. La contribution des nouveaux venus aux transformations de Bruxelles : l’impossibilité de distinguer entre l’impact de l’arrivée des nouveaux correspondants et l’impact des élargissements
L’arrivée des nouveaux acteurs peut être un puissant déclencheur de transformations, modifiant durablement le milieu qui les accueille :
- Déplacement global du centre de gravité linguistique à Bruxelles du français vers l’anglais ;
- Renouvellement au sein de la salle de presse des thématiques et des sensibilités, en particulier vers des sujets relatifs aux questions de voisinage et aux relations avec la Russie ;
- Croissance du nombre de correspondants présents à Bruxelles, associant indirectement la hausse du nombre de journalistes causée par l’arrivée massive de ceux venant des nouveaux États membres aux bouleversements de l’accès à l’information qui devient de fait plus rare et plus officielle.
Globalement, le principal enseignement est la formation d’un esprit de corps, d‘une solidarité naissante entre les journalistes, se manifestant dans le refus de distinguer entre les anciens et les nouveaux et de pointer du doigt des spécificités nationales ou un éventuel écart de qualité professionnelle.