Le tour d’Europe de la communication des présidences semestrielles : variations sur un thème (souvent imposé)

Dans notre série d’été, nous avons disséqué la mécanique et les outils de la communication des présidences semestrielles du Conseil de l’UE. Mais la théorie, c’est bien joli. Qu’en est-il lorsque les stratégies se confrontent au réel ? Cette semaine nous offre un passionnant « Tour d’Europe » des Présidences, de la Pologne (en cours) à la France (passée). Un kaléidoscope d’approches où se mêlent ambitions nationales, contraintes contextuelles et, avouons-le, une certaine convergence thématique dictée par les vents (souvent forts) de l’Histoire. Voyage, voyage, dans les grands messages et les petits secrets des présidences récentes…

En cours, la Pologne (janvier-juin 2025) : la sécurité, encore et toujours

  • Le motto : « Security, Europe! » Difficile d’être plus direct. Le ton est donné.
  • Les priorités : La sécurité déclinée en sept dimensions (externe, interne, info, éco, énergie, alimentaire, santé) + l’Ukraine (soutien, sanctions, élargissement), la compétitivité, la cohésion. Un agenda très marqué par le voisinage oriental et les défis actuels. On note aussi un focus social (égalité, handicap, santé mentale des enfants).
  • La communication : Hyperactivité sur les réseaux sociaux (X-Twitter, Facebook, Instagram, LinkedIn, Youtube – la totale). Surtout, une ambition affichée d’irriguer tout le pays avec près de 400 réunions dans 24 villes polonaises ! Ajoutez à cela des initiatives plus originales : un forum ciblant la société civile biélorusse, et une dimension parlementaire forte. La Pologne semble vouloir marquer le coup, en interne comme à l’externe.

A venir, le Danemark (juillet-décembre 2025) : le cœur du trio

  • Le motto : Pas encore dévoilé (suspense !).
  • Les priorités : Si le programme détaillé de la présidence danoise n’a pas encore été officiellement publié, alignement attendu sur le Trio (sécurité et défense, Compétitivité et souveraineté économique, Transitions verte et numérique, démocratie). Des indices pointent vers l’attractivité et l’innovation (deep tech). Fait intéressant : la concomitance avec leur siège au Conseil de Sécurité de l’ONU pourrait créer des synergies de communication (ou des maux de tête de coordination !). Leur querelle avec les Etats-Unis pour le Groenland pour ce pays modèle dans l’OTAN devrait aussi participer de l’actualité.
  • La communication : Un site web encore inaccessible lors de la recherche. Des événements prévus (sommet recherche, conférence tech) donnent des pistes. On attend la partition complète.

La France (janvier-juin 2022) : agenda européen et élection présidentielle

  • Le motto : « Relance, Puissance et Appartenance » 
  • Les priorités : Souveraineté européenne (Schengen, défense, Afrique), Transition verte (Fit for 55, clauses miroirs), Transformation numérique (DSA/DMA), Europe sociale (salaires minimums, égalité H/F). La Conférence sur l’Avenir de l’Europe était aussi un objectif majeur.
  • La communication : Volonté affichée d’atteindre les citoyens, multilinguisme souligné. Événements délocalisés en France et à l’étranger. Mais… l’élection présidentielle française en plein milieu du semestre a inévitablement mobilisé attention et ressources.

La République tchèque (juillet-décembre 2022) : L’Europe comme une tâche (urgente)

  • Le Motto : « Europe as a Task: Rethink, Rebuild, Repower » (inspiré de Václav Havel). Très fort symboliquement.
  • Les priorités : Agenda massivement dominé par l’invasion russe de l’Ukraine. Gestion de la crise des réfugiés, reconstruction de l’Ukraine, sécurité énergétique, défense européenne (avec l’OTAN), résilience économique et démocratique. La sécurité alimentaire aussi très présente.
  • La communication : Logo faisant écho à leur présidence de 2009. Communication axée sur la proactivité et la neutralité malgré le contexte difficile. Un sommet informel de Prague fut un moment clé. Le concept de com’ tchèque insistait sur la nécessité d’une « voix unique » interne. Succès notés sur les sanctions, le soutien à l’Ukraine, l’adhésion de la Croatie à Schengen. Une présidence de crise par excellence.

La Suède (janvier-juin 2023) : Plus verte, plus sûre, plus libre… mais une neutralité challengée

  • Le motto : Résumé par les priorités : « Greener, More Secure, Freer ».
  • Les priorités : Sécurité/Unité (focus Ukraine, Boussole Stratégique), Résilience/Compétitivité (Marché unique, commerce, numérique), Prospérité/Transition Verte & Énergétique (Fit for 55), Valeurs Démocratiques/État de Droit. Le Pacte migratoire était aussi un objectif clé.
  • La communication :  canaux officiels, événements phares ; succès revendiqués comme sur le « Fit for 55 » et la migration. Mais… des critiques d’ONG environnementales sur le manque d’ambition perçu, malgré un rôle de « broker neutre » globalement reconnu. La preuve que la neutralité ne garantit pas l’immunité critique.

L’Espagne (juillet-décembre 2023) : « plus proche » avant l’année électorale européenne

  • Le Motto : « Europe, closer » (L’Europe, plus proche).
  • Les priorités : réindustrialisation/autonomie stratégique, transition verte, justice sociale/économique, unité européenne. Un focus géographique marqué sur l’Amérique Latine (Sommet UE-CELAC).
  • La communication : engagement avec les parties prenantes, un Sommet UE-CELAC, la communauté des États latino-américains et caraïbes comme plateforme majeure. Un défi unique : gérer la communication en pleine campagne électorale nationale. Les évaluations post-présidence notent des avancées (Pacte migratoire, Ukraine) mais aussi des difficultés de consensus, en partie dues à « l’obstructionnisme hongrois ».

La Belgique (janvier-juin 2024) : équilibre entre ambition législative et gestion des crises géopolitiques

  • Le motto : « Protéger, renforcer, prévoir »
  • Les priorités politiques : Protéger les citoyens : renforcement des frontières, lutte contre la criminalité organisée et promotion de la santé mentale au travail ; Compétitivité économique : simplification réglementaire, soutien aux PME et développement de l’économie numérique ; Transition écologique juste : décarbonation des transports et économie circulaire ; Justice sociale : avancées sur la directive des travailleurs de plateformes, coordination des régimes de sécurité sociale et promotion des stages de qualité ; Unité européenne : défense de l’état de droit (nom de code = problèmes de la Hongrie) ; Influence mondiale : soutien à l’Ukraine et renforcement du partenariat UE-CELAC.
  • La communication : Coordination inédite entre le niveau fédéral (politiques migratoires, défense) et les entités fédérées sur les dossiers culturels, éducatifs et climatiques. Un bilan solide en fin de mandature : adoption du Pacte migratoire, consolidation du soutien à l’Ukraine et progrès sur la directive relative aux travailleurs des plateformes mais des défis persistants sur la réforme fiscale et les clauses sociales, en partie dues aux vetos nationaux.

La Hongrie (juillet-décembre 2024) : une présidence narrative – quasi-fictive – assumée : Budapest se présente comme le « contre-pouvoir » face à Bruxelles

  • Le motto : « Make Europe Great Again » (ça se passe de commentaire) un clin d’œil assumé à la rhétorique trumpiste souverainiste, qui annonce la couleur : Budapest veut imprimer sa marque, quitte à bousculer les codes bruxellois.
  • Les priorités : Souveraineté nationale et européenne : Renforcer le rôle des États-membres, défendre les « valeurs traditionnelles », et promouvoir une vision moins intégrée de l’UE. Élargissement : Balkans occidentaux mais pas l’Ukraine. Famille et démographie : Thème cher à Budapest, une première à ce niveau. Compétitivité et sécurité économique : insiste sur la sécurité énergétique (diversification, nucléaire, gaz). Migration : Application stricte du Pacte migratoire, coopération renforcée avec les pays d’origine et de transit, « tolérance zéro » sur l’immigration illégale.
  • La communication : Visibilité maximale, identité forte, une section « mythes & réalités » pour répondre aux critiques sur le site web ; une tonalité volontiers polémique sur les réseaux sociaux. La présidence la plus « politisée » depuis des années, avec une volonté divisive en jouant la carte de la visibilité maximale et de la communication offensive, un semestre sous haute tension et sous les projecteurs mais sans agenda institutionnel en raison de la période de transition entre les mandatures.

Leçons transversales entre convergence et divergences

Que retenir de ce tour d’horizon ?

  • L’ombre de la guerre : Depuis début 2022, la sécurité, la défense, le soutien à l’Ukraine, la résilience énergétique et économique sont devenus des thèmes quasi obligatoires, créant une forte convergence des agendas et des messages. La communication s’est faite plus grave, plus urgente.
  • La boîte à outils universelle : Le triptyque site web + réseaux sociaux + événements est la norme. Les logos et mottos restent des marqueurs essentiels.
  • La persistance des couleurs nationales : Malgré la convergence thématique, chaque pays imprime sa marque : focus géographique (Espagne et Lat-Am), initiatives spécifiques (Pologne), style (France/souveraineté), contexte domestique (élections, critiques internes).
  • Le défi de la coordination et de la cohérence : L’alignement avec le Trio est mentionné, mais la communication reste largement pilotée au niveau national. La coordination interne (« one voice« ) est un défi constant, surtout quand la politique intérieure s’en mêle.
  • L’imprévu comme nouvelle règle : Les crises et les événements domestiques (élections) démontrent la nécessité d’une communication agile, capable de s’adapter voire de se réinventer en cours de route.

En conclusion (à mi-parcours)…

Ces études de cas illustrent parfaitement la tension inhérente à la communication présidentielle : un cadre d’action (objectifs, outils) relativement défini, mais une pratique profondément façonnée par le contexte géopolitique, les capacités nationales, les aléas politiques et la créativité (ou le manque de créativité) des équipes en place. C’est un laboratoire fascinant de la communication politique européenne en action.

Mais une question demeure, lancinante : quels sont les défis persistants qui entravent cette communication ? Ce sera l’objet de notre prochaine chronique d’été. Préparez-vous, nous allons aborder les sujets qui fâchent (un peu).

À suivre…

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