Agenda-framing du « moment Hamiltonien » de l’Union européenne

L’annonce historique d’une proposition du couple franco-allemand en faveur d’un endettement mutualisé de l’UE d’un montant de 500 milliards d’euros constitue une belle occasion de décrypter les manières de raconter la construction européenne en mouvement. Quels sont les cadres narratifs et interprétatifs mobilisés autour de ce « moment Hamiltonien » de l’Union européenne ?

Agenda-framing « basique/classique » : le moteur du couple franco-allemand

Premier cadre des narrations sur l’Europe, la renaissance des initiatives du couple franco-allemand est au cœur des récits qui réinscrivent l’avancée dans une histoire de compromis qui ont fait avancer l’UE au cours des crises.

Principal constat, cette interprétation semble davantage mobilisée en France puisqu’elle replace l’adhésion au projet européen dans la dynamique d’une projection qui grandit la France, face à un partenaire allemand qui doit se laisser convaincre, comme ce fut le cas pour la création de la monnaie commune.

Primordiale raison, ce récit ayant déjà été mobilisé pour les précédentes étapes de la construction européenne, ce cadre narratif et interprétatif se trouve disponible et compréhensible pour un vaste public disposant de peu de connaissances et d’intérêts pour la construction européenne.

La mise en récit du couple franco-allemand (expression très française qui n’est pas traduite de la même manière par le partenaire allemand) est le mode de narration le plus accessible et donc le plus usuel dans les médias, en particulier les médias audiovisuels qui ne consacrent que quelques instants à ce sujet pourtant majeur.

Agenda-framing « stato-centré » : les négociations du concert des nations européennes

Deuxième cadre de présentation de l’initiative, l’intégration de cet élément de péripétie narrative dans la mise en scène plus globale du dialogue entre les chefs d’État et de gouvernement des États-membres de l’UE. Le mouvement de la France et de l’Allemagne doit ainsi se comprendre en réponse aux positions de l’opposition constituée par les frugaux.

Force est de constater que ce cadre interprétatif nécessite de réinscrire la dernière séquence dans un plan plus long, avec davantage de « personnages » : Macron et Merkel sont ainsi en dialogue avec leur homologues des pays européens, dont seuls les plus importants, comme l’italien Conte sont à minima connus voire reconnus dans les opinions publiques européennes.

Par conséquent, ce cadre présente une lecture plus « fleurie », avec davantage d’intrigues et de tension narrative, pour un public forcément plus « averti », qui tendra à se réduire aux consommateurs d’information plus internationale et aux amateurs d’enjeux géopolitiques. Toutes les connaissances préalables relatives aux situations nationales en Europe peuvent être mobilisées pour multiplier les interprétations et les prédictions sur les issues futures.

Agenda-framing « européo-centrée » : la mutualisation du destin européen

Dernier cadre interprétatif observé autour de l’annonce de la mutualisation de dettes européennes en réponse à la crise du Coronavirus, la mobilisation non seulement de « briques » narratives nationales mais surtout de ressources symboliques liées à l’Union européenne à proprement parlé.

Ce qui distingue ce cadre narratif, c’est évidemment que la narration se fait sous un angle européen, à partir des référentiels de l’Union européenne. L’annonce se comprend comme l’approfondissement de l’unification économique, rendue indispensable après l’arrêt de la cour fédérale de Karlsruhe, dans un prolongement attendu, pensé à la suite de la quasi-fédéralisation de l’union monétaire avec la monnaie unique, l’euro et la Banque centrale européenne, la BCE.

Évidemment, cette mise en récit familière des milieux européens et simplificatrice pour la bulle bruxelloise, se voit portée par les acteurs en scène, en particulier dans les institutions nationales et européennes, qui disposent de tout le capital social pour naviguer avec aisance voire plaisance dans ce dédale où la simple annonce devient un moment charnière vers la mutualisation des souverainetés.

Certains spécialistes s’essaient même à chaud à offrir une quasi-théorisation de l’événement, ce que l’expression « moment Hamiltonien » suggère puisqu’il s’agit de l’introduction de la mutualisation des dettes entre les États fédérés des États-Unis d’Amérique – un agenda-framing indisponible à la quasi-totalité des Européens, à fortiori avant l’annonce.

Au total, l’enseignement à tirer : les cadres de narration et d’interprétation, auquel le public accède, s’appuient sur des ressources symboliques et des référentiels discriminants préexistants à l’annonce. Une même annonce n’a pas le même impact.

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