Archives mensuelles : juillet 2016

Réflexions post-Brexit sur la communication de l’Union européenne

Le succès de la campagne pour le « Brexit » au Royaume-Uni, au-delà des fautes et des faiblesses des partisans du « Bremain » s’interprète massivement comme un échec de la communication de l’Union européenne…

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans la communication européenne ?

Comme le remarque Katie Owens dans « Is now the time to reignite Plan D? », le sentiment dominant est que l’on se retrouve à la case départ, 10 ans en arrière, au moment des échecs des référendums sur le projet de constitution européenne en France et aux Pays-Bas, lorsque Margot Wallström entrepris le chantier de la communication de l’Union européenne.

Plus particulièrement, les axes de progression fixés dans le Plan D de Margot Wallström semblent au point mort :

  • la volonté de communiquer dans un langage clair et compréhensible pour le grand public est demeuré un vœu pieux, voire la situation s’est dégradée en matière de bilinguisme et de lisibilité des actions ;
  • le passage d’une communication axée vers les citoyens, en lieu et place d’une communication tournée sur les institutions européennes n’a parcouru qu’une partie du chemin, la plus facile : les institutions européennes ne parlent plus que des citoyens, mais ces derniers se sont encore davantage détournés de l’Europe ;
  • la décentralisation de la communication européenne, pour s’appuyer sur la proximité des acteurs de terrain ne s’est pas vu octroyé les moyens nécessaires pour vraiment avoir un impact, sans compter que ce sont sans doute « les auto-entrepreneurs de la cause européenne » qui se sont saisis de cette main tendue.

Malgré 10 ans d’efforts et d’initiatives de la part des institutions européennes pour davantage et mieux communiquer, les résultats sont largement insuffisants pour contrer des mouvements profonds dans les opinions publiques européennes. :

  • L’euroscepticisme est le nouveau mainstream intellectuel dans la plupart des formations politiques, même les partis dit de gouvernement ;
  • L’europhobie s’est largement développée, notamment auprès des jeunes et dans les « nouveaux » Etats-membres ;
  • A contrario, le discours « pro-européen » est aujourd’hui crépusculaire et microscopique, totalement absent dans la bouche des responsables et inaudible auprès des électeurs dans la plupart des Etats-membres.

Quel est le principal handicap de la communication européenne ?

Même avec un regard bienveillant, force est de reconnaître que si la communication de l’Union européenne venait à totalement disparaître, il serait impossible pour quasiment tout le monde de faire la différence.

La priorité aujourd’hui ne consiste pas à échafauder dans l’urgence et l’impréparation un nouveau plan pour sauver la communication européenne, avec de nouvelles incantations.

Il s’agit d’analyser les causes, de comprendre pourquoi la communication européenne est inaudible :

Le message est clé : de quoi s’occupe vraiment l’Union européenne ? Personne ne le sait vraiment. Le projet européen ne devrait-il pas se concentrer sur ses fondamentaux, comme par le passé (PAC, Erasmus…) avec quelques domaines d’intervention légitimes et nécessaires à l’échelle internationale (commerce, diplomatie, climat…) ;

La capacité à faire l’agenda est impérative : face à la force de frappe des opposants à la construction européenne, le silence et la langue de bois ne sont plus des réponses, sauf à se condamner à disparaître ;

L’incarnation du projet est indispensable : tant que les actions ne seront pas présentes dans la vie quotidienne des Européens, aucun changement dans les opinions n’est envisageable.

Paradoxalement, l’échec de la communication européenne ne réside sans doute pas dans son incapacité à changer des mentalités entre très nationalo-centrées. Il était illusoire et aujourd’hui impossible d’imaginer que l’UE puisse convaincre, à elle seule les Européens du bien fondé d’une construction européenne tout azimut en même temps. Mais son échec est bien davantage dans sa capacité à laisser prospérer l’idée que l’Europe s’occuperait de tout. Du coup, l’impression que l’Europe déçoit parce qu’elle n’y arrive pas sur pas mal de sujets qui en fait ne la concernent pas prioritairement, suivant le souhait des Etats, est dorénavant le sentiment le plus partagé.

Remettre la communication de l’Union européenne sur les rails ne passera que par une redéfinition claire et démocratiquement approuvée du périmètre d’intervention de l’Union européenne : qui trop embrasse, mal étreint, et finit par s’épuiser.

Y a-t-il un modèle de communication européenne sur les fonds européens en France ?

La stratégie nationale de communication interfonds mise en œuvre par le Commissariat général à l’égalité des territoires en France est assez inédite au niveau européen, selon Clémence Vidal qui publie un mémoire pour s’interroger sur l’existence d’un éventuel modèle de communication européenne interfonds

Une stratégie nationale de communication interfonds, une approche inédite propre au contexte politico-administratif français

Face à l’échec du référendum en 2005, l’Etat manifeste sa volonté politique de construire une communication mutualisée, inédite, sur les fonds européens afin de renforcer la coordination et le partenariat entre les différents acteurs impliqués.

Cette démarche, saluée par les institutions européennes, implique une gouvernance multi-niveaux, adaptée à l’organisation administrative française et à l’architecture de mise en œuvre des fonds dans le pays. Élaborée au niveau interministériel, elle s’appuie sur un dispositif financier assez singulier en Europe, ce qui renforce son originalité.

L’enveloppe identifiée pour ces actions de communication s’élève ainsi à 13 255 000 euros pour la période 2014-2020, selon le budget prévisionnel du programme Europ’Act 2014-2020, Stratégie nationale de communication interfonds, CGET, 2015.

Pour faciliter l’identification et la reconnaissance des fonds européens en France, des moyens d’intervention conséquents ont été déployés :

  • création d’une marque institutionnelle pour donner une identité visuelle,
  • développement d’une stratégie digitale,
  • organisation de campagnes de communication,
  • coordination d’événements grand public et apposition d’un label.

Portée au niveau national, cette stratégie de communication sur l’ensemble des fonds est assez inédite au niveau européen. Pourtant, le « modèle » français de communication sur les fonds européens reste encore inachevé.

Un modèle de communication interfonds encore en construction entre régionalisation européenne et décentralisation française

Au sein de l’Etat, le portage politique du sujet, nécessaire à la mobilisation citoyenne, se révèle difficile face à son étendue et sa complexité. Au niveau interministériel, la coordination des différents acteurs peut également s’avérer problématique.

De plus, dans le contexte français de décentralisation, qui s’inscrit dans celui, plus large, de la régionalisation européenne, la région apparaît comme une échelle privilégiée pour mettre en œuvre une communication décentralisée sur les fonds européens, capable d’incarner l’Union européenne au niveau local.

La région apparaît comme une échelle privilégiée pour mettre en œuvre une communication décentralisée sur les fonds européens même si la relation État-régions dans la stratégie nationale de communication interfonds oscille entre tensions et coopération.

Finalement, la multiplicité d’émetteurs de cette stratégie à des niveaux différents de gouvernance évoque un effet d’émiettement qui peut créer la confusion pour le citoyen, et aggraver le sentiment de désincarnation de l’UE en donnant l’impression qu’il n’existe pas d’émetteur final.

Une approche mutualisée fédérative afin de montrer un visage unique de l’UE

La stratégie de communication sur l’ensemble des fonds européens constitue une opportunité de « faire savoir » à une majorité de citoyens que l’action de l’Union européenne existe dans leur quotidien, de leur « faire aimer » cette Union européenne pour finalement les « faire agir » en se faisant le moteur de la mobilisation citoyenne

Une approche commune à plusieurs fonds permet de simplifier le message de communication tout en l’adressant à des publics très divers dans leur intérêt, leurs motivations et leur niveau de connaissance sur le sujet.

Une communication sur les fonds européens est une occasion privilégiée de passer « d’une communication ponctuelle à une information de fond » pour « remédier au décalage durable entre les décisions politiques et l’opinion publique en matière européenne ».

Au total, la stratégie française de communication interfonds européens semble un modèle, perfectible mais opérationnel pour permettre d’incarner une Europe de la proximité qui intervient dans le quotidien des citoyens.