Quels sont les facteurs de coopération entre les correspondants de presse à Bruxelles ?

Bruxelles représente un des centres de presse les plus grands au monde. Dans une étude qualitative des correspondants de presse à Bruxelles « Covering the EU : Alone or Together ? Cooperation Patterns of Brussels Press Corps », Alena Sobotova estime que la coopération est une partie essentielle du travail, par delà les nationalités…

La coopération intensive, l’élément distinctif du corps de presse à Bruxelles

Le « networking » intensif est l’un des traits distinctifs du « milieu » des correspondants de presse à Bruxelles, par rapport à d’autres endroits où être un correspondant dans un pays étranger est généralement un travail solitaire.

Forte concentration des lieux de pouvoir, la condition matérielle de la coopération

La coopération est rendue possible par l’extrême concentration des journalistes, qui travaillent ensemble tous les jours, dans les mêmes lieux :

  • Le « Midday-Briefing » à la Commission européenne devient une rencontre institutionnalisée, certes pas particulièrement appréciée par les journalistes pour l’information officielle, mais considérée comme un hub permettant d’effectuer « échange d’informations », « reality check » et « networking ».
  • Les diverses réunions du Conseil de l’UE et du Conseil européen permettent également aux journalistes de se livrer à l’échange d’informations en attendant les résultats des négociations politiques qui filtrent derrière des portes closes et surtout à l’interprétation de ces infos, souvent d’ailleurs l’objet d’une réflexion collective.
  • Last but not least, les voyages de presse organisés deux fois par an par les présidences tournantes sont favorables à la formation de contacts sociaux.

Isolation des journalistes et complexité des informations, le cocktail de la coopération

Une grande partie des journalistes est envoyée à Bruxelles seuls. L’isolement de la plupart des correspondants de leur rédaction, sans l’appui éditorial de leurs collègues les conduits à rechercher des liens sociaux et professionnels en dehors de leur média afin de compenser le manque d’infrastructures qui va de pair avec des ressources éditoriales limitées.

La complexité des questions à traiter dans les affaires européennes implique nécessairement le recoupement pour vérifier si l’information est bien comprise, mais aussi pour neutraliser l’influence des institutions qui fournissent beaucoup d’informations aux journalistes.

En ce sens, la coopération est un moyen de garantir une plus grande objectivité. C’est également un outil d’analyse comparative, pour voir ce qui est pertinent pour les autres est utile à l’angle de ses propres histoires.

L’information européenne étant par nature transnationale, il est également nécessaire de recueillir des informations sur les positions des autres pays, sur l’impact potentiel des décisions politiques prévues. Les autres journalistes sont une source importante à cet égard, car ils fournissent un raccourci utile pour résumer la position et les réalités d’un pays. Les collègues sont ainsi souvent contactés sur la base de leur nationalité, en tant qu’experts sur leur pays d’origine.

La nationalité reste centrale dans le choix des partenaires de coopération

Tous les journalistes s’accordent sur l’absence relative de concurrence à Bruxelles comme l’un des principaux facteurs qui rendent toute coopération possible.

La coopération « naturelle » avec les co-nationaux

Certes, une légère concurrence affecte les relations avec ses compatriotes, mais beaucoup plus petite que celle qui règne à la maison. Les co-nationaux forment le premier cercle « naturel » des contacts sociaux et reste le principal point de référence et de contact social pour la plupart des journalistes, qui se retrouvent à couvrir les mêmes sujets, d’intérêt pour leur public national.

La coopération avec les autres nationalités

Puisque les espaces publics nationaux restent très isolés, il n’y a pratiquement pas de concurrence avec des journalistes étrangers. Les collègues d’autres nationalités sont également pour tous les journalistes des sources potentielles de coopération.

L’influence du pays entre petits et « nouveaux » États-membres ayant moins de correspondants et leurs homologues des « anciens » et grands Etats-membres est un critère important dans le choix de ses collègues d’autres nationalités.

D’autres critères existent, le simple fait de partager une frontière commune ne constitute pas une condition suffisante pour initier une coopération, des affinitiés culturelles sont nécessaires.

De même, la grande taille du pays joue un double rôle : un plus grand nombre de correspondants à Bruxelles et des grands pays généralement considérés comme plus influents expliquent pourquoi « leurs » journalistes peuvent être considérés comme potentiellement des contacts utiles.

Les compétences linguistiques sont un facteur important de coopération. Les langues sont des outils de base de coopération. La sympathie personnelle et le hasard sont au total des facteurs qui influencent de manière décisive le choix de leurs partenaires de coopération.

Le double rôle des collègues étrangers

La coopération du corps de presse à Bruxelles est à la fois une nécessité matérielle et une conséquence très appréciée de la nature cosmopolite de l’UE permettant aux journalistes de comparer leurs points de vue et perspectives nationales afin d’obtenir une image plus équilibrée de l’entreprise complexe qui est de l’UE.

La coopération donne un nouvel éclairage sur le rôle que joue la presse à Bruxelles dans la formulation de l’information européenne :

  • Les collègues étrangers agissent souvent comme des experts, des informateurs nationaux n’impliquant aucune adhésion à la position gouvernementale de leur pays mais offrant leur point de vue potentiellement critique (et idéalement objectif) – l’une de ses principales valeurs ajoutées recherchées par leurs collègues.
  • Les collègues étrangers agissent comme des interprètes de leur opinion publique nationale, ils parlent aussi au nom de leurs publics, en expliquant quelles sont les opinions de leurs compatriotes sur les questions politiques. Cela n’est pas considéré comme de la spéculation, mais offre des informations contextuelles utiles à ceux qui connaissent les réalités de leur pays moins bien.

La valeur ajoutée de la coopération : une couverture plus équilibrée de l’actualité européenne, au moins partiellement européanisée

S’appuyer sur un collègue d’une autre nationalité pour compléter ses propres sources d’information est utile pour nuancer le caractère fortement ethnocentrique du discours présenté par les responsables politiques nationaux et passer ainsi d’un point de vue strictement national à quelque chose de plus équilibré, au moins avec une partie internationale.

Tenir compte des différents points de vue des pays est également utile pour politiser l’information européenne que la nature consensuelle a tendance à être exagéré par les différents services de communication des institutions européennes qui ont tendance à faire taire les désaccords Etats membres potentiels.

Last but not least, le recoupement des faits avec d’autres collègues étrangers va à l’encontre de la tendance générale des politiques nationales de rejeter constamment la faute de toutes les décisions impopulaires sur « Bruxelles » et d’autres Etats membres.

Ainsi, le corps de presse à Bruxelles se caractérise par des mécanismes de coopération intensive. Toutefois, le contact social et professionnel avec des collègues étrangers est toujours dominé par l’appartenance nationale et les pratiques de coopération transnationale ne se traduisent pas directement par plus de contenus transnationaux, les médias étant toujours dominés par les cadres essentiellement nationaux.

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