Médias européens sous influence américaine : menace sur la construction européenne ?

Dans Les Cahiers du journalisme n° 20 – Automne 2009, José-Manuel Nobre-Correia de l’Université Libre de Bruxelles analyse la situation des médias européens « largement dominés en matière de fixation de l’ « agenda » mondial de l’information », en clair « sous influence » par rapport aux médias américains. Il s’interroge – à partir de l’idée du sociologue et critique des médias Herbert Schiller « une nation dont les médias sont dominés par l’étranger n’est pas une nation » – sur l’avenir de la construction européenne : « l’UE pourra-t-elle se constituer en nation sans se doter d’un système médiatique fort, où elle puisse affirmer son identité mais aussi sa conception plurielle propre de la démocratie ? »

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le retard de l’Europe n’a cessé de s’accentuer par rapport à l’influence américaine dans le contrôle des médias

Au-delà de l’influence du cinéma hollywoodien – qui pourrait sembler anecdotique – « le secteur de l’information économique et financière est plus que jamais largement dominé par des entreprises nord-américaines » :

  • Associated Press,
  • Thomson-Reuters,
  • Bloomberg (33 % du marché mondial de l’information économique et financière)
  • groupe Dow Jones avec le Wall Street Journal.

De même, les deux grandes agences mondiales d’images d’information télévisée, Reuters Television et APTN, sont nord-américaines.

En outre, la photo d’information et d’illustration est dominée par les étatsuniennes Corbis (plus de 100 millions de clichés et une distribution dans plus de 50 pays) et Getty Images (plus de 70 millions de clichés).

En presse quotidienne, ce sont des titres comme l’International Herald Tribune et le Wall Street Journal, tous deux étatsuniens qui dominent la scène mondiale.

Pour les magazines, ce sont également les étatsuniens Time, Newsweek et autres Business Week qui dominent la scène mondiale.

Le pouvoir des États-Unis en matière de télévision est trop évident, il suffit de citer CNN ou MTV. A contrario, il a fallu attendre 11 ans pour que la BBC lance la BBC World Service Television en 1992, la France a lancé France 24 seulement le 6 décembre 2006, 26 ans après CNN.

L’audience potentielle, se traduit de manière plutôt contrastée : CNN est captable par 260 millions de foyers, la BBC World par 281 millions et la jeune France 24 par 80 (tandis que TV 5 Monde l’est par 176 millions).

Euronews, la seule initiative vraiment paneuropéenne :

  • une initiative européenne (et plus exactement, plurinationale),
  • pratiquant une approche de l’actualité clairement européenne (c’est-à-dire, non nationale),
  • atteignant une audience européenne (concrètement, transnationale).
  • audience atteignant 189 millions de foyers.

Enfin, sur Internet, la domination étatsunienne est écrasante, ne fût-ce qu’en termes d’information avec les moteurs de recherche et portails d’information suivants :

  • Google (lancé le 15 septembre 1997 ; 605,5 millions de visiteurs uniques en février 2008),
  • MSN (en août 1995 ; 542,7 millions),
  • Yahoo (en janvier 1994 ; 487,5 millions),
  • AOL (en octobre 1991 ; 240,8 millions).

Ainsi, pour citer Furio Colombo, professeur à la new-yorkaise Columbia University : « la majeure partie des nouvelles du monde vient, c’est notoire, de sources américaines. Ceci est vrai dans deux sens : parce que la puissante machine américaine de l’information diffuse dans le monde plus de nouvelles sur son propre pays que ce que n’importe quelle autre source est en mesure de faire, mais aussi parce que les nouvelles de n’importe quel autre pays ne deviennent mondiales que quand elles deviennent des nouvelles américaines ».

Aujourd’hui, la mise sous influence médiatique de l’Europe limite l’affirmation de l’UE comme acteur majeur sur la scène mondial

Si l’UE veut imposer son ordre du jour, sa hiérarchie de l’information et les thèmes qui « feront » l’actualité pour une majorité de ses citoyens ;

Si l’UE veut prescrire des styles de vie, des modèles culturels, des loisirs et des valeurs ;

l’UE pourra-t-elle se dispenser de se doter d’un appareil de collecte, de traitement et de diffusion de l’information ?

l’UE pourra-t-elle se passer d’une approche propre de l’actualité du monde, d’un « agenda » établi en fonction de sa propre position dans le monde ?

Le principal défi de l’Union européenne « consiste à chercher à approfondir sa propre union, sa propre fédéralisation, à un moment où les médias favorisent avant tout la fragmentation socioculturelle des audiences ».

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