Question étrange même pour son auteur, Eddy Fougier dans « L’Europe en formation nº 357 automne 2010 » puisqu’il existe
- un Centre du journalisme européen,
- des associations regroupant des journalistes européens, comme l’Association des journalistes européens (AJE),
- des formations au journalisme européen,
- et même qu’un prix du journalisme européen, le prix Louise Weiss, remis chaque année depuis 2005 par la section française de l’AJE.
Et pourtant…
Le journalisme européen existe !
La preuve : il existe des journalistes qui, de près ou de loin, suivent et traitent l’actualité européenne
Les premiers et les plus connus, sont les correspondants de médias dits de « qualité » à Bruxelles. Pour la France, on peut citer Jean Quatremer, de Libération.
Les seconds sont ceux chargés de suivre l’actualité européenne au sein des rédactions nationales et/ou qui ont des émissions ou des chroniques consacrées à l’Europe dans des médias. En France, on peut citer :
- Marie-Christine Vallet, directrice déléguée à Radio France pour l’Europe, responsable de chroniques sur l’Europe sur France info ;
- Véronique Auger, rédactrice en chef de l’émission Avenue de l’Europe sur France 3 ;
- José Manuel Lamarque, producteur de l’émission Transeuropéenne sur France Inter.
Les troisièmes sont les journalistes des organes de la presse spécialisée sur l’actualité européenne.
Le journalisme européen n’existe pas !
La preuve : il n’existe ni média paneuropéen de masse, ni européanisation des pratiques journalistiques
Certes, il existe quelques médias transeuropéens, mais qui ne sont pas grand public :
- des médias à vocation européenne, dont le cœur de métier n’est pas nécessairement de couvrir l’actualité européenne existent comme les chaînes de télévision Euronews, Arte ou Eurosport.
- des médias européens officiels, comme, le service d’informations télévisées de l’UE, Europa by Satellite (EbS), ou la chaîne de télévision du Parlement européen, Europarl TV.
- des médias qui ont pour particularité de traiter principalement de l’actualité européenne, comme des agences de presse spécialisée.
Mais, en dépit de plusieurs tentatives, il n’existe pas à ce jour de média paneuropéen grand public. Pourquoi ?
- difficultés du côté de la demande (l’hypothétique « public européen » et « point de vue européen ») : absence de langue et de références culturelles communes au sein de l’UE alors que le traitement de l’information se réalise en fonction des préoccupations et des sujets d’intérêt du public.
- conséquences du côté de la demande : financement exsangue notamment via des ressources publicitaires, parce qu’il n’existe pas véritablement de marché publicitaire paneuropéen et parce qu’il est très difficile de mesurer les audiences européennes.
- difficultés du côté de l’offre médiatique (l’hypothétique « culture journalistique européenne ») : faible européanisation des pratiques journalistiques, en raison de la pression du système journalistique national, y compris chez les correspondants de presse à Bruxelles.
- conséquence du côté de l’offre : complexité de faire travailler au sein d’une même rédaction des journalistes en provenance de différents pays européens pour des raisons interculturelles, mais aussi tout simplement compte tenu de l’absence d’un statut de journaliste européen.
Le journalisme européen existe (en partie) !
La preuve avec les titres de presse européens spécialisés
La presse écrite spécialisée sur les questions européennes est loin d’être connue du grand public.
Panorama des agences de presse européennes et de la presse écrite européenne spécialisée :
Panorama des sites internet d’informations spécialisées sur l’UE :
- EUObserver
- Euractiv.com
- MyEurop
- EUBusiness
- Presseurop
- Eurotopics
Panorama des sites d’information sur l’Europe « participatifs » : Café Babel, Euros du village ou Le Taurillon.
Le journalisme européen n’existe pas vraiment !
La preuve avec la presse anglo-américaine ayant une influence sur les « décideurs européens »
Fondamentalement, la presse ayant une influence sur les « leaders européens » correspond à la presse internationale et économique anglo-américaine avec l’International Herald Tribune, The Economist, The Financial Times Europe et The Wall Street Journal Europe.
Caractéristiques de cette presse élitiste dominée par la presse anglophone :
- priorité à la couverture de l’actualité institutionnelle de l’Union européenne (UE) ;
- basée à Bruxelles et concentre son attention sur le quartier européen de Bruxelles ;
- publiée avant tout en langue anglaise ;
- cible en priorité les « décideurs européens ».
Au bout du compte, on aboutit ainsi à une dichotomie de plus en plus flagrante entre :
- d’un côté, une presse ultra-spécialisée sur l’Europe, très difficile d’accès, au sens strict, par son coût et la difficulté que représente sa lecture pour le non-spécialiste, donc lue principalement par des « eurocrates »,
- de l’autre, une presse populaire nationalo-centrée, qui se désintéresse de plus en plus de ces questions et laisse le grand public largement dans l’« ignorance » de la chose européenne.
Ainsi, selon Olivier Baisnée « l’UE a un public et même une “opinion publique” (…) caractéristique du XVIIIe siècle, celle d’un cercle d’auteurs “éclairés” ».
Je suis complètement d’accord avec votre analyse et votre description très lucide, en particulier sur la division entre médias européens spécialisés, les presses nationales et les médias anglo-américains avec un vrai public international.
Entièrement d’accord avec ton état des lieux, sauf sur un point:
« Certes, il existe quelques médias transeuropéens, mais qui ne sont pas grand public :
des médias à vocation européenne, dont le cœur de métier n’est pas nécessairement de couvrir l’actualité européenne existent comme les chaînes de télévision Euronews, Arte ou Eurosport. »
Euronews, pas grand public? Oui et non, les chaînes d’info et les RDV traditionnels du 13h/20h sont encore des moments clés dans beaucoup de paysages audiovisuels nationaux en Europe. Et Euronews parle autant de l’actualité technique de l’UE que des expos artistiques à côté de chez soi…
Quant à Eurosport, si ce n’est pas une chaîne grand public, c’est que je n’ai rien compris aux médias. Qu’est-ce-qui génère les plus grosses audiences TV en Europe et dans le monde? Coupe du monde de football, tour de France, JO, etc… Eurosport n’est certes pas captée par tout le monde, car elle est payante, mais c’est une chaîne à forte audience par excellence. Où la publicité est d’ailleurs plutôt bien gérée, entre pubs européennes multilingues et pubs locales.
Au final, j’imagine que tu voulais plutôt parler de chaînes « généralistes »?! Là, c’est sûr, c’est juste irréaliste! On n’est même pas capable d’avoir un média belge bilingue, alors un média généraliste européen, ça relève de l’utopie…
Félicitations pour cet article!
Ceci dit…
a) Je suis heureux de voir une mention d’EurActiv sous ‘site internet’, mais un peu déçu que ceci ne soit pas repris sous ‘presse écrite’ (dont le tableau n’est d’ailleurs pas tout à fait à jour: il y a un disparu). En effet, la presse internet n’est t’elle pas aussi de la presse écrite? (et accessoirement vidéo)
b) Par ailleurs, la presse spécialisée Europe n’est pas limitée à ce qui se fait à Bruxelles (y compris le média qui indique un siège à Cardiff)
Par exemple, le réseau EurActiv en 15 langues et 15 capitales, ce qui apporte aussi un élément de réponse à cette interrogation:
« conséquence du côté de l’offre : complexité de faire travailler au sein d’une même rédaction des journalistes en provenance de différents pays européens pour des raisons interculturelles [….] »
Un exemple? http://www.euractiv.fr (rédac’chef: Clémentine Forissier, que vous pourriez rajouter sur la liste de journaliste européen de référence?)
c) Enfin, la presse spécialisé n’est pas principalement lu par les eurocrates.
Réseau EurActiv: 609 000 visiteurs uniques (moyennes mensuelle 2010, dédoublée, Google stats, non il ne s’agit pas de visites ou de pagevues et ou ‘hits’, mais d’individus comptés une seule fois quelque soit leur fréquence d’utilisation).
C’est beaucoup plus que le nombre de fonctionnaires européens, principalement des ‘multiplicateurs’ au plan national. Et, grâce au multilinguisme et à la localisation, un bon complément aux médias anglo-saxons que vous décrivez.
Bonne continuation!