Européanisation des universités : pourquoi et comment intégrer l’Europe dans les stratégies de communication ?

Au cœur des enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche aujourd’hui, se trouve une injonction nouvelle et forte à la coopération européenne et à l’internationalisation des universités, en termes de mobilité, de recherche et d’innovation. Cette dynamique d’européanisation sans précédent, qui s’accélère, place ces institutions académiques face à de nouvelles problématiques, notamment en termes de communication.

Les Rencontres de l’association des responsables de communication des universités COMOSUP qui se sont déroulées à l’Université de Strasbourg, dans les locaux du collège doctoral européen ont été dédiées à l’exploration de ces problématiques sous l’angle de l’activité qui fédère ses membres : « Pourquoi et comment intégrer l’Europe dans nos stratégies de communication ? ».

L’Europe, l’horizon commun aux universités : quand la stratégie s’oriente vers l’Europe, gouvernance et communication s’alignent

Afin de poser d’emblée les principales problématiques, Jean-Marc Planeix, vice-président des partenariats internationaux à l’Université de Strasbourg présente un panorama des enjeux et contextualise les modifications significatives dans l’enseignement supérieur en termes de nouveautés et de leur accélération. Les politiques de l’UE structurent toujours davantage les universités autour d’orientations stratégiques qui évoluent vers la compétitivité avec la publication des rapports Draghi et Letta mais aussi d’une mission redéfinie des universités vers une ambition qui pousse vers la recherche et l’innovation, dans le cadre de l’initiative Union of Skills de la Commission européenne au service du développement des compétences tout au long de la vie.

Suggérées dans le discours de la Sorbonne du président Macron et portées rapidement par la Commission européenne, les « alliances européennes d’universités » sont une véritable levier pour transformer les universités européennes, autour de plusieurs modèles : un modèle intégratif qui associe les structures autour d’une nouvelle marque européenne ; un niveau intermédiaire d’intégration progressive autour de la construction de thématiques communes et un modèle fédératif qui rassemble les entités sans perdre les identités propres à chaque université. Autre nouveauté, le diplôme européen, présenté comme une priorité par la Commission von der Leyen II, se développe en commençant par l’étape d’un label européen.

Ces dynamiques de coopération européenne posent de multiples défis : des enjeux sensibles en lien avec le Ministère des Affaires étrangères pour l’accueil de réfugiés enseignants ou étudiants liés à des crises internationales en Ukraine, à Gaz et aux Etats-Unis ; des enjeux de pouvoir dans la gouvernance et la communication des alliances européennes d’universités ; des mutations qui se multiplient et s’accélèrent impactant à court terme l’action européenne des universités et à long terme la relation au savoir et à la science.

Quels impacts sur le développement de stratégies de communication qui reflètent et promeuvent les engagements européens des universités françaises ?

  1. Anticiper les risques d’une communication trop précoce ou trop tardive, d’un choc culturel dans la mise en œuvre, nécessitant une traduction systématique des messages pour lever les incompréhensions.
  2. Appréhender les différences dans la relation aux institutions, différentes selon les structures fédérale ou centralisée des États-membres, soulignant le besoin de principes et de modalités partagées dans la gouvernance et la communication.
  3. Expliciter ce que l’Europe apporte, sa place spécifique dans l’internationalisation des universités.
  4. Se positionner vis-à-vis des classements internationaux, dont les critères n’évoluent pas toujours de manière cohérente, notamment dans la pondération de la place de prix Nobel dans les effectifs.
  5. Développer une forme de « diplomatie scientifique », selon Jean-François Mauduit qui aborde le mode de gouvernance entre autonomie revendiquée, contraintes impératives et impact sur la recherche et l’innovation.
  6. Incarner les valeurs européennes, sans exclure les non-Européens, en mettant en avant les valeurs démocratiques et les valeurs universelles à la science qui peuvent être largement revendiquées autour de la rationalité de la démarche théorique et la connaissance ouverte et en évolution.
  7. Faire entendre la voix française dans le réseau des alliances européennes d’université, qui est reconnu comme un interlocuteur légitime de la Commission européenne.
  8. Intégrer toutes les cibles stratégiques entre les décideurs locaux, nationaux et européens.
  9. Communiquer, en s’appuyant sur les stratégies des établissements, mettre en avant et rendre visible les activités et les avantages de s’impliquer à l’échelle européenne, sans oublier la communication interne pour mobiliser les effectifs.
  10. Montrer, au bon moment, en quoi la participation à des appels à projet européens sont au service de l’université et valoriser le gain puis les résultats.

Les programmes européens Erasmus+ et Horizon Europe : quand les ambitions de mobilité, de recherche et d’innovation font face aux problématiques budgétaires

D’ores et déjà, les prochaines négociations budgétaires pour le budget de l’UE pour les principaux programmes européens, tels qu’Erasmus+ et Horizon Europe sont au cœur des réflexions.

Du côté de la Commission européenne, leurs initiatives visent à développer un statut juridique pour les 65 alliances européennes d’universités, qui rassemble 10% des établissements chartés Erasmus, soient 500 entités parmi les plus importantes en termes d’effectifs universitaires ; développer des programmes conjoints, reconnu via un label européen et un diplôme européen à terme et à déployer une carte européenne étudiante, interconnectant les données et services. Fanny Lacroix-Desmazes, policy officer à la Direction générale de l’éducation, de la jeunesse, du sport et de la culture (DG EAC) de la Commission européenne précise que la « Stratégie européenne pour les Universités » publiée en 2022 est la première Communication qui s’adresse directement aux universités. L’Union des compétences annoncée plus récemment vise à renforcer la compétitivité et à élargir le vivier des compétences européennes, particulièrement auprès des femmes.

Du côté du gouvernement français, 2025 est une année de transition vers le cycle de négociation des futures bases légales des programmes européens. David Itier, chef du département Stratégie de l’espace européen de la recherche et de l’enseignement supérieur au sein de la Délégation aux affaires européennes et internationales du Ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation annonce que les politiques publiques visent à juguler le déclin de la compétitivité européenne, avec une recherche qui peut apporter des réponses aux transitions démographique, climatique et numérique. Les positions françaises seront le reflet des acteurs de terrain consultés (organismes de recherche et syndicats d’étudiants).

Pour le programme Horizon Europe, la France vise à placer l’excellence scientifique, évaluer par les pairs comme critère principal d’attribution des projets ; de rationaliser les financements à quelques thématiques et technologies comme l’IA, les énergies renouvelables, l’espace ou le quantique… et de favoriser les innovations de rupture et la création de startups, à l’interface des labos privés et de la recherche publique.

Pour le programme Erasmus, la France tient à cet instrument, bien connu et qui fonctionne, et soutient une trajectoire budgétaire plus ambitieuse. Les alliances européennes d’universités, qui ont le potentiel de transformer le paysage de l’enseignement supérieur sont soutenues au profit d’un modèle de type Airbus visant à fusionner des entités pour renforcer l’attractivité internationale. Le diplôme européen d’ingénieur est le diplôme européen prioritaire à créer. Les équipes qui font de la recherche doivent aussi faire de la mobilité pour approfondir et pérenniser les gains.

Dans un contexte de dégradation des finances publiques françaises, qui ne sera pas sans impact sur le prochain budget européen, la pression pour capter les budgets européens fléchés pour la France est un challenge quotidien. La France est globalement au rendez-vous pour Erasmus, avec 400.000 bourses annuelles, elle reste le premier pays de départ dans l’Union, à des fins d’études ou de stages (33%) ; même si dans le budget 2024 les séjours ont été réduits à 6 mois, compte-tenu que seulement 63% des demandes ont pu être satisfaites ; l’objectif de 23% de bénéficiaires n’est pas encore atteint. Les dispositifs à mieux faire connaitre sont d’une part, les bourses « inclusion » et d’autre part, les programmes intensifs hybrides de préparation intensive avant le départ. Pour les financements du programme Horizon Europe, la France n’a pas comblé son déficit de soumission de projets pour le financement de la recherche. Enfin, pour les universités, plusieurs sources de financement sont accessibles : les partenariats de coopération, les projets plus complexes avec des entreprises et les alliances européennes.

L’identité européenne des universités, des défis et des opportunités de communication

Les sujets ne manquent pas :

  1. La marque : Les alliances européennes impliquent de nouveaux noms, de nouvelles plateformes de communication, il s’agit d’injonctions à communiquer sur des superstructures complexes qui posent des questions sur l’identité de l’université.
  2. Le portage : Les relations européennes (et internationales) ne sont pas toujours lisibles dans la communication interne et donc la communication intra-établissement.
  3. Le pilotage : Le partage des responsabilités dans les alliances, entre positions motrice ou attentiste, interroge dans la motivation, l’animation des réseaux de communicants et l’alignement des supports de communication.
  4. La promesse : Les alliances européennes d’universités portent des enjeux quasi géopolitiques tandis que la attentes portent sur les bénéfices concrets, à quoi ça sert, qu’est-ce que ça apporte pour l’étudiant.
  5. La langue : La traduction en anglais n’est pas suffisante.
  6. La communication : positionnement, différenciation et branding justifient de sortir du projet, pour faire le marketing du projet pour les étudiants en termes d’offres et aller dans l’émotionnel pour répondre au besoin de toucher et faire adhérer.

Les bonnes pratiques se développent, peu à peu :

  1. Parcours utilisateur : réfléchir aux points de contacts des étudiants avec l’alliance européenne.
  2. Partage d’expérience : favoriser les témoignages là où ils sont.
  3. Culture partagée de l’international : susciter une forme de reconnaissance des acteurs mobilisés autour des opportunités de budgets européens.
  4. Priorités : sensibiliser à la dimension européenne autour des grands sujets comme la vie démocratique, le développement durable, la numérisation et l’inclusion.
  5. Plan de communication : structurer, distribuer les rôles et organiser les actions qui donne du sens à l’internationalité et l’interculturalité en termes d’apprentissage de vie, aussi intégrer les étudiants dans les temps forts collectifs dans une logique de co-construction de moments de rencontre et de rapprochement.

Que retenir de tous ces enjeux ? La priorité, c’est d’ores et déjà la négociation sur le futur budget, le prochain « Multiannual Financial Framework » pour sécuriser les investissements européens dans la mobilité, la recherche et l’innovation. La dynamique d’européanisation des universités françaises se poursuit à plusieurs vitesses. La communication européenne des universités doit s’angler sur les bénéfices interculturels incarnés plutôt que les promesses axiologiques désincarnées. La nécessité de partager les bonnes pratiques au sein de la communauté des communicants est plus que jamais d’actualité.

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