Quels récits géostratégiques pour l’Europe, puissance économique ?

Pendant des décennies, le succès économique de l’Europe s’est appuyé sur la mondialisation des échanges, mais l’avenir est dorénavant incertain. Pour le think tank Brussels Institute for Geopolitics dans “European economic statecraft in search of a future”, il n’existe pas un seul avenir géopolitique, ni un unique récit stratégique. Alors que l’Union européenne commence à développer sa propre politique économique stratégique, quels récits stratégiques sur la façon et le moment de déployer sa puissance économique de manière cohérente, efficace et responsable ? Les Européens doivent examiner la situation géopolitique et historique actuelle du continent, à travers le prisme de récits stratégiques et la projection de différents futurs, certaines politiques apparaîtront comme évidentes, tandis que d’autres seront considérées comme « du mauvais côté de l’histoire » et écartées…

Le récit Wilsonien, policer l’ordre international fondé sur des règles

Le grand récit avec lequel les élites politiques de Bruxelles ont grandi, et qui jusqu’à récemment coulait dans les veines de la ville, est d’esprit wilsonien. Il est construit sur un optimisme inébranlable concernant l’avenir, prédisant le triomphe de l’ordre international libéral fondé sur des règles.

Dans le langage wilsonien, la puissance économique est utilisée uniquement pour faire respecter les règles, non pour des objectifs stratégiques ou d’autres intérêts. La politique économique coïncide grossièrement avec les sanctions.

Le récit Bushien, gagner le bellum sanctum

Lié au président George W. Bush, qui après les attentats du 11 septembre a redécouvert la présence du mal dans le monde. Bien que ce récit soit également ancré dans l’ordre libéral fondé sur des règles, il accuse les optimistes wilsoniens de naïveté envers les dictatures, particulièrement la Chine et la Russie. Plutôt que de voir ces puissances illibérales comme étant en route vers l’adhésion à l’ordre fondé sur des règles, le langage de Bush identifie un conflit existentiel dans lequel l’empathie diplomatique équivaut à l’apaisement.

Dans le langage stratégique de George W. Bush, l’objectif ultime de la politique économique est de gagner la guerre contre un « Axe » mené par la Chine et de restaurer la primauté des États-Unis (et de leurs alliés), seule véritable garantie de sécurité. Le cadre d’une lutte mondiale entre démocratie et autocratie pousse inexorablement l’utilisation de la politique économique, et du pouvoir étatique plus généralement, à ses extrêmes, puisqu’aucun compromis avec une force maléfique ne peut être justifié.

Le récit Kissingerien, westphalien, préserver l’équilibre des pouvoirs

Considérant les futurs de Wilson et Bush comme Vergangene Zukunft (futurs passés), des futurs imaginés déjà périmés, puisque l’ordre fondé sur des règles, selon cette vision, a déjà connu ses jours de gloire et les plans néoconservateurs visant à contraindre l’Histoire vers son « stade final » par la force ne sont que des élans de nostalgie.

Dans le langage stratégique de Kissinger, l’objectif global de la politique économique n’est pas de restaurer la primauté occidentale et l’ordre fondé sur des règles, mais de sécuriser et gérer l’équilibre des pouvoirs.

Faire avancer le débat stratégique de l’Europe

Les langages stratégiques dans lesquels ces différents futurs sont esquissés fournissent des cadres normatifs qui, même grossièrement dessinés, éclairent la prise de décision sur l’emploi de la puissance économique. Ils fixent des objectifs généraux et délimitent l’utilisation du pouvoir économique. Ils apportent des orientations sur le pourquoi, le quoi, le qui et les autres questions auxquelles les doctrines de sécurité économique doivent répondre. Les types de politiques concrètes qu’ils peuvent suggérer peuvent parfois se chevaucher. Ces politiques diffèrent également, soit dans leur substance, leur portée ou le récit utilisé pour offrir des justifications.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la boussole stratégique de l’Europe était le wilsonisme, une mentalité encore profondément ancrée dans la culture politique et la machinerie institutionnelle de l’UE. Mais bien que tous les acteurs de l’UE ne soient pas prêts à l’admettre, le wilsonisme est terminé – pas seulement à Washington mais aussi à Bruxelles. Le véritable choix que l’Europe doit faire est de savoir comment utiliser sa puissance de manière sensée et ciblée, dans quel but et – non moins important – dans quelles limites.

Quelle est la doctrine de sécurité de l’Union ?

Des récits stratégiques sont nécessaires pour définir quand utiliser la puissance économique, contre qui la diriger et dans quel but, et plus largement, comment l’ordre et la stabilité dans le monde doivent être assurés ; menant à une conversation politique plus claire et honnête, et à une meilleure compréhension des choix politiques que l’Europe doit faire.

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