Comment démocratiser, sans politiser, les institutions indépendantes de l’Union, dernière chance de succès de l’Europe ?

Avec le recul d’une décennie après sa publication, la lecture du manuel d’Antoine Vauchez, « Démocratiser l’Europe » offre la bonne distance pour évaluer l’épineuse problématique de la démocratisation de l’Union européenne…

Le « malentendu européen »

L’expression d’Albert Camus « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » est sans doute le talisman pour bien comprendre le malentendu européen. Si l’on s’inscrit seulement dans le paradigme de la démocratie représentative, celui des États-membres, qui fonde la légitimité sur l’élection, alors pour juger de la démocratie européenne, ce sera la résolution du « déficit parlementaire » pointé par le rapport du doyen Vedel qui corrigera le péché originel, d’un projet technocratique en renforçant les pouvoirs du Parlement européen.

Il est clair que ce paradigme, par sa simplicité du fait d’une sorte de correspondance entre les démocraties nationales et la démocratie européenne a connu un vrai succès. La parlementarisation du projet européen est belle et bien vue comme la condition de la démocratisation de l’Europe. Ce narratif s’est très largement imposé ces derniers temps dans les pratiques. Ou plutôt, cette mystique qui portait une certaine ambition s’est transformée en politique, avec ses dérives en termes de politisation.

Prenons l’actualité politique européenne de cette rentrée pour en juger de ce paradigme de la politisation comme progrès de la construction européenne.

  1. Du côté de la Commission européenne, cette politisation incarnée par la présidente reconduite Ursula von der Leyen s’exerce avec des pressions publiques et controversées sur les capitales européennes dans la sélection de leurs candidats, au point qu’elle a demandé la démission de Thierry Breton qu’Emmanuel Macron lui a accordé, ce qui fait qu’aucune personnalité d’envergure de la sa première Commission ne poursuivra après les départs tant de son numéro 2 Timmermans que le départ de la danoise Vestager.
  2. Du côté du Parlement européen, cette politisation se traduit aussi par un jeu exacerbé qui s’annonce dans les auditions des Commissaires-désignés. Nonobstant la presse qui dresse déjà des listes des Commissaires-désignés les plus fragiles, dès le lendemain de l’annonce de leur portefeuille, il est déjà annoncé que la Commission européenne pourrait être nommée avec retard non plus en novembre mais décembre prochain, plus de 6 mois après les élections européennes, en considérant l’éventualité prévue dans les traités comme l’évidence du calendrier, que des personnalités seront forcément écartées par les eurodéputés.

Cette forme de politisation de l’Union européenne, qui hérite des pires pratiques des démocraties nationales en Europe constitue-elle un progrès dans la voie d’une légitimation et d’un renforcement de la confiance des citoyens ?

Démocratiser l’indépendance

Au-delà de la démocratisation « politique » quel que soit les raccourcis qu’on peut donner à cette expression, demeure la question de faire lever le verrou de la démocratisation réelle, en profondeur d’un système institutionnel, d’un écosystème qui n’est pas réductif aux schémas de pensée binaires et limitatifs.

Le défi au cœur de la réflexion d’Antoine Vauchez repose sur la démocratisation des institutions spécifiques à la construction européenne : la haute-autorité (actuelle Commission), la cour de justice et la banque centrale européenne – autant d’institutions qui fonctionnent avec leur propre agenda, et selon leurs propres repères :

  • Un mandat : une fonction prévue par les traités, une sorte de souveraineté qui s’impose ;
  • Une compétence : une langue, l’eurospeak qui véhicule une sorte de rationalité qui prédomine ;
  • Une indépendance : une pratique, une sorte de neutralité à distance des intérêts politiques.

Face à cette trinité qui donne une sorte d’immunité qui rend intouchable, le travail doit consister à lancer un réveil dogmatique et démocratique, une remise en question qui soit à la fois une critique intellectuelle, théorique et doctrinale :

  • Débat autour du paradigme exclusif du « marché » qui apparaît encore plus nécessaire avec les problématiques géopolitiques posées à l’Europe aujourd’hui ;
  • Débat public organisé, concurrentiel et inclusif autour de la communication des décisions, qui pourrait viser à introduire des « opinions dissidentes » ;
  • Débat scientifique contre les « vérités scientifiques » gravées dans le marbre des traités avec des controverses entre chercheurs sur les finalités, les formes et les résultats des institutions européennes.

Démocratiser vraiment l’Union européenne nécessite de mettre en récit contributif, qui « soumettent à la question » les poncifs de la construction européenne, dans une démarche de révolte civilisée contre l’Europe des clercs.

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