Comment porter et incarner la prise de parole de la marque Europe ?

A l’occasion de la conférence « Communication européenne, comment se faire entendre ? », hébergée par l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible, Nicolas Baygert, chercheur, enseignant à Sciences Po Paris, aborde la question du « leadership européen et (de) son influence sur la “marque UE”»…

Une rivalité systémique et systématique entre les présidences

Depuis 5 ans, s’est glissée une relation dysfonctionnelle au cœur du projet européen, un leadership européen concurrentiel avec la relation entre Charles Michel, président du Conseil européen, l’institution réunissant les chefs d’État et de gouvernement qui prennent les orientations stratégiques pour l’UE et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est l’institution gardienne des traités, seule habilitée au pouvoir d’initiative à proposer de nouvelles législations.

Une certaine ambiguïté des rôles existe, une marge d’interprétation quant aux compétences respectives des présidents, qui s’est traduite par une rivalité pour la visibilité politique et médiatique avec des conflits à l’agenda et une affirmation du leadership politique européen faisant l’objet d’une rivalité personnelle et politique. LA question d’Henry Kissinger « qui dois-je appeler pour parler avec l’Europe ? » demeure encore d’actualité.

Une réinvention de la fonction à chaque nouvelle personnalité

Alors que pour la fonction présidentielle française, les candidats sont conduits à « rentrer dans les habits du président », à incarner l’autorité et la légitimé de la fonction à partir d’un idéal-type gaullien sous la Ve République, il n’en est rien au niveau européen. Chaque dirigeant européen doit réinventer la fonction à chaque prise de responsabilités – c’est autant une chance qu’une menace.

La présidente de la Commission européenne – Queen of Europe – s’est construit un personnage, à coup de centralisation des efforts de communication et de personnalisation à haute dose de la communication. Ainsi, alors qu’elle n’était pas une Spitzenkandidat, elle s’est offert une construction médiatique à travers une « illusion biographique » liant son parcours au Collège d’Europe, son multilinguisme, en somme, son européanité.

Cet investissement dans la communication n’est pas sans conséquence sur la marque UE. Outre l’impact sémiotique en termes de signes, plusieurs autres leviers comme la capacité à définir l’agenda, l’impulsion initiale de la « Commission géopolitique » ; mais aussi la gestion des crises (covid, Ukraine, climat…) et enfin la mise à l’agenda, le rôle d’agenda-setting leadership, de capacités à trouver des réponses institutionnelles pour rallier un consensus, trouver un agenda normatif, fournir une grille de lecture fondée sur des principes ou des justifications idéologiques. Cette conception personnelle au service d’un agenda politique se traduit aussi par une dimension axiologique, les valeurs de l’UE sont instrumentalisées à l’occasion des discours annuels sur l’état de l’Union sans compter que pour incarner l’agenda politique, Von der Leyen utilise sa personne comme une vitrine communicationnelle.

Faut-il tendre vers une seule présidence ?

Suggéré par Jean-Claude Juncker dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la fusion des deux fonctions présidentielles permettrait d’accroitre l’efficacité. En termes de communication, il s’agirait d’un repère mental sur le marché hyperconcurrentiel du leadership européen, mais aussi une possibilité de mieux sélectionner des éléments dans le flux des signes au sein d’un espace plus géopolitique, pourquoi pas même un remède au déficit d’incarnation même si cela ne résorberait pas pour autant le déficit de légitimité et le manque de transparence dans la nomination des présidents.

Dans la bataille des égos, il faut réussir à inscrire un style, un personnage pouvant incarner la marque Europe.

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