« On ne pourra bien dessiner le simple qu’après une étude approfondie du complexe » Gaston Bachelard
Euro-Lab, Groupement d’Intérêt Scientifique et réseau interdisciplinaire de recherche sur l’Union européenne réalise un « Bilan de la 9e législature du Parlement européen (2019-2024) », afin d’éclairer le débat public dans une campagne électorale européenne aux enjeux majeurs, en mettant à disposition du public une analyse rigoureuse.
« L’Europe est une entreprise de raison, non de sentiment » Robert Schuman
Les élections européennes du 9 juin 2024 se profilent dans un espace public français largement ignorant des travaux du Parlement européen. Les Français font partie des habitants de l’Union européenne les moins informés de ses débats par les médias nationaux selon l’eurobaromètre de juin 2023.
Vers une certaine normalisation de l’activité parlementaire européenne
Par le passé, les débats parlementaires étaient structurés par un clivage minorité extrême-droite et extrême-gauche contre la plupart des textes ambitieux et une majorité modérée pro-européenne, allant droite modérée, socialistes libéraux et Verts.
Depuis quelques années, émerge un clivage droite-gauche, qui fait évoluer le Parlement européen en une chambre plus classique. Ce mouvement est nettement visible sur les questions de police et de migration, la gauche parlementaire cherchant à limiter le virage sécuritaire encouragé par la droite. La même tendance est perceptible sur la question environnementale avec la contestation croissante de ces législations protectrices.
Certes, cette normalisation n’est pas achevée. Sur de nombreux textes, la coalition modérée et européiste a tenu face aux extrêmes qui n’ont pas accepté les textes les plus ambitieux.
Au total, l’Union reste un hybride entre une organisation fédérale et une association d’États-nations, cela se perçoit dans le travail du Parlement européen :
- Soumis à la logique interétatique dans les domaines les plus régaliens, police, justice, défense ;
- Sensiblement plus communautaire dans les dossiers économiques et environnementaux ;
- Questions stratégiques et militaires restent dominées par les logiques nationales et otaniennes.
Le modèle économique et social de l’Union évolue sensiblement
D’une Europe libérale vers une communauté intégrant des dimensions socio-environnementale et de puissance plus affirmées :
Certes, la dynamique libérale reste dominante : l’Union reste avant tout fondée sur un marché unique fondée sur les quatre libertés et la renégociation du Pacte de Stabilité au cœur de l’Union économique et monétaire n’a pas congé les fondamentaux.
Mais la dérégulation s’est tari, pour être remplacée par un libéralisme plus tempéré avec des accords commerciaux intégrant une conditionnalité sociale et environnementale et la régulation du numérique progresse avec les Digital Market Act et Digital Services Act qui visent à contrôler les géants du numérique. L’Europe sociale a également progressé, avec l’adoption de textes sur un salaire minimum européen (salaires qui restent certes différents entre les pays, mais le texte appelle à une relance du dialogue social) et sur la transparence des rémunérations hommes-femmes.
Sur le projet le plus emblématique de la mandature, le Pacte Vert, fixant des cibles ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre, après ses premières adoptions dans un relatif consensus au sein de la majorité, les protestations du monde agricole, se sont traduites par une frilosité accrue des eurodéputés de droite, et parfois du centre, envers les mesures de protection de l’environnement. Les textes sur la réduction des pesticides et sur la préservation de la biodiversité ont été respectivement abandonné et édulcoré.
Enfin, l’Europe puissance s’est considérablement renforcée, pour répondre à un environnement international plus menaçant. La réémergence de l’hydre du protectionnisme a poussé l’Union à durcir son arsenal commercial. Les inquiétudes croissantes envers l’immigration se sont aussi traduites dans les débats parlementaires, avec un accord politique autour d’un Pacte migratoire plus restrictif qu’auparavant. De même la coopération policière s’est renforcée au bénéfice de l’« Union de la sécurité ». Surtout, la guerre en Ukraine a forcé l’Union a investir le domaine militaire, même si son action reste pour l’instant circonscrite à quelques outils de portée limitée et de court terme.
Avec le retour des nationalismes, l’Union investit le domaine de la puissance
Du point de vue français, cette conjoncture a permis de faire adopter à Bruxelles des projets constamment rejetés auparavant, comme la préférence européenne (maintenant possible dans le domaine de la défense), la taxe carbone aux frontières (inspiration du « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ») ou encore le retour de la négociation collective européenne, de nouveau valorisée dans le cadre du dispositif sur les salaires minimaux.
C’est une victoire posthume pour Jacques Delors, récemment décédé, et sa trilogie d’une Europe fondée sur « la concurrence qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce ».
Grandes lignes du débat de la prochaine mandature
L’un des premiers sujets prioritaires sera celui de l’Europe solidaire, sociale et environnementale, entre fin d’avancées liées à des circonstances exceptionnelles avec des dispositifs de solidarité inédits, comme le plan de relance, mais qui sont temporaires ou inflexion de fond avec des mesures plus ambitieuses encore comme une taxation européenne des grandes fortunes, et une lutte plus vigoureuse contre le dumping environnemental.
Une seconde question porte sur l’Europe puissance, entre affirmation ou forces centrifuges ? Un score élevé de partis aux priorités géopolitiques divergentes aux élections du 9 juin pourrait tuer dans l’œuf les velléités de développer la dimension stratégique de l’Union.
Enfin, une troisième question porte sur l’Europe des libertés. Le durcissement sécuritaire, migratoire et commercial se poursuivra-t-il, instaurant une dichotomie entre une Europe mercantile libérale sur le plan interne, et illibérale dans ses autres dimensions ? Toutes ces questions recevront des réponses avec les prochaines législations de la nouvelle mandature décisive pour notre démocratie.