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Communication de crise : l’offensive von der Leyen

Puisque c’est au pied du mur que l’on apprend le métier de maçon, observons la communication autour de la gestion de la crise la plus importante des dernières décennies de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Que peut-on en dire face au mur des attentes et des critiques ?

Du bon usage de Twitter en comm’ de crise : les vidéos statement et breaking news

Première séquence : les vidéos – statement

Lors des premiers temps de la gestion de crise, la coordination entre les Etats-membres est réduite dans leur décision de limitation des déplacements, de fermeture des frontières, de réquisition de matériel médical. A ce stade de confusion, la solidarité européenne, qu’il aurait été attendu qu’Ursula von der Leyen incarne, a tardé à se faire entendre.

C’est le moment que la présidente de la Commission européenne choisi pour introduire un nouveau format dans sa communication : la vidéo – statement. Elle se fait filmer face caméra, en plan fixe, dans une séquence un peu trop clinique, souvent froide et peu chaleureuse.

Ainsi, le 11 mars, elle s’adresse sur Twitter en italien dans son message et sa vidéo, avec des stats importantes : plus 6 700 retweets, 20 000 likes et près de 600 000 vues. Autrement dit, ce message de soutien, quoique tardif, était indispensable.

Le 15 mars, elle publie un message sur la réponse européenne au #coronavirus : protéger la santé des personnes et assurer la circulation des produits dans le marché intérieur, en français (110 000 vues), en allemand (50 000 vues) et en anglais (plus de 500 000 vues).

Ce format définitif dans les 3 langues officielles de l’UE sera repris quasi quotidiennement dans les jours suivants pour d’autres points autour de la gestion de crise, avec même un pic de consultation à plus d’un million de vues d’une de ses vidéos en anglais.

Deuxième séquence : les vidéo – breaking news

Contrevenant aux usages, ce qui déplu aux journalistes européens, la présidente de la Commission européenne a dévoilé plusieurs initiatives de la Commission européenne via des vidéos sur son compte Twitter, sans conférence de presse et sans documentation détaillant les mesures.

Le 1er avril, c’est le programme SURE doté de 100 milliards d’euros de maintien partiel à l’emploi pour l’ensemble des États-membres, sur le modèle des mesures en Allemagne qui est annoncé en 5 langues, avec l’italien et l’espagnol.

Ainsi, le 3 avril, c’est la suppression temporaire des impôts sur les importations d’équipements médicaux ; le 6 avril, des mesures de soutien aux agriculteurs. Et surtout, le 7 avril, Ursula von der Leyen annonce une garantie de 15 milliards d’euros pour aider nos partenaires dans le monde à lutter contre la pandémie.

Ainsi, alors que la 1e séquence est plutôt improvisée et tardive, la 2e séquence plus proactive montre une reprise en main des annonces et une maîtrise en partie des prochaines étapes, comme sur les recommandations autour du déconfinement.

De la nécessité d’exister dans les médias audiovisuels : le cas français

Un regard rapide sur le plan média, en tout cas ce qui semble le plus visible, de la présidente de la Commission européenne, montre qu’Ursula von der Leyen est intervenu dans plusieurs grands médias audiovisuels à des heures de grande écoute.

Ainsi, le 3 avril, Ursula von der Leyen est invitée dans la matinale d’Europe 1 pour ce qui est présenté comme étant son premier entretien radio en France depuis sa nomination.

Surtout, Ursula von der Leyen participe sur France 2, le 16 avril, à « #EtAprès, la grande émission des Européens », un rendez-vous inédit pour réfléchir à la sortie de crise : nouvelles solidarités, nouveaux modes de vie, nouvelle économie ; entre portraits de citoyens européens engagés et interventions d’invités, dont la présidente de la Commission européenne.

Des résonnances des interviews dans la presse européenne : le spill-over effect

Dans ses prises de parole, dans la presse, au cours de la gestion de crise, la présidente de la Commission européenne semble découvrir à son corps défendant le spill-over effect qui veut qu’une prise de parole dans un média national (ses réserves sur les Coronabonds dans un média allemand) fasse l’objet de traduction, de reprises et de critiques dans d’autres médias nationaux (en particulier en Italie).

La « géopolitique des Eurobonds », autrement dit, les positions des différents acteurs européens sur les moyens financiers de répondre à la crise constitue pour Sébastien Lumet l’opportunité d’observer « un phénomène d’européanisation des opinions publiques nationales qui renforce l’expérience concrète d’un véritable espace public européen et contribue à l’émergence d’une scène politique à l’échelle continentale ».

Au travers de sa présence sur Twitter, dans les médias audiovisuels et plus largement la presse européenne, Ursula von der Leyen fait un apprentissage accéléré notamment de l’usage du breaking news ou du spill-over effect.

« Parlement » la série TV sur l’Europe

Après les mythiques séries dédiées à la vie politique tant en Grande-Bretagne avec « House of Cards » ou « Yes Minister » qu’aux Etats-Unis avec « The West Wing » ou « Veep », c’est alors que nous ne l’attendions plus qu’arrive la série « Parlement » consacrée en 10 épisode diffusé par France Télévisions à la politique européenne…

PARLEMENT

Une satire initiatique sur la vie politique bruxelloise

La revue de presse est en elle-même significative des totems et des tabous qui frappent aujourd’hui l’Europe :

  • Pour Télérama, le spécialiste de la critique qui découvre : « “Parlement” sur France.tv : la série qui prouve qu’on peut rire avec l’administration européenne » ;
  • Pour Médiapart, forcément dubitatif : « Le Parlement européen est-il cinégénique? » (…) avec l’espoir – impossible ? – de déverrouiller un imaginaire européen déprimé ;
  • Par Le Parisien, pragmatique et ludique : « «Parlement» : 5 bonnes raisons de regarder la comédie politique de france.tv ».

Tous les articles insistent sur l’importance de donner un visage à l’Europe, de donner à voir le Parlement européen, loin de toute propagande ou idéologie pro ou anti européenne.

Une écriture à la fois de fiction et de comédie

Ce ne sont pas moins de quatre co-auteurs européens : Noé Debré (née à Strasbourg) Maxime Calligaro (eurocrate averti, on a déjà signalé son polar « Les Compromis »), Pierre Dorac et Daran Johnson, dont deux travaillent dans les institutions européennes pour écrire les scénarios des 10 épisodes, afin de parler au-delà de la bulle bruxelloise et de passer au-delà des préjugés.

« La comédie, la satire, n’est pas un moyen de se moquer ou de dénoncer mais bien de donner un visage à l’Europe, à ce Parlement tant critiqué mais dont les peuples, pour la plupart, ignorent tout. Nous voulons donc avec cette série ‘donner à voir’, prêter à rire et créer de l’identification et de l’empathie avec les gens qui font l’Europe. Ce n’est pas une série à message, c’est un grand cri d’amour au projet européen », explique Noé Debré à Ouest France.

Ne ratez pas l’ensemble de la série « Parlement » sur France Télévisions.

Comment assurer plus d’Europe dans l’audiovisuel public ?

Entre déficit de l’offre (pas assez d’info sur l’Europe proposée par les médias) et déficit de la demande (pas assez d’intérêt pour l’Europe chez les citoyens), le débat est définitivement tranché avec la hausse de participation aux élections européennes. Pourtant, avec 73% des Français se déclarant mal informés sur les questions européennes, notre pays se place dernier des 28 États-membres de l’UE : le déficit d’information des Français sur l’Union européenne pose vraiment problème. L’institut Jacques Delors / Notre Europe saisit l’opportunité de la future loi sur l’audiovisuel public pour poser des propositions dans « Plus d’Europe dans les médias français à la faveur de la réforme de l’audiovisuel public » pour les chaînes de télévision et stations de radios du service public…

Quelles obligations « européennes » pour les chaînes de télévision et stations de radios publiques ?

Les entités de l’audiovisuel public font apparaître une grande hétérogénéité et des lacunes importantes en matière d’information sur l’Europe que la future gouvernance unique, avec France Médias pourrait réformer afin de renforcer la dimension européenne des obligations éditoriales et de se hisser à la hauteur des enjeux que portent aujourd’hui l’Union européenne dans notre vie quotidienne.

Radio France, le parent pauvre de l’information européenne

La pire situation concerne Radio France où il n’existe ni obligation relative à l’information sur l’Europe, ni évaluation objective de la place qu’occupe l’actualité européenne sur les radios du service public.

France Médias Monde, le média de l’actualité européenne

Le groupe France Médias Monde (France 24 et RFI) destiné aux publics internationaux informe davantage sur l’Europe. Outre la volonté affirmée de couvrir l’actualité de l’Union européenne dans le cahier des charges, le Contrat d’objectifs et de moyens vise à intensifier l’engagement éditorial européen « au travers des dizaines de rendez-vous hebdomadaires qui permettent de décrypter, expliciter, illustrer l’Europe et débattre avec ceux qui la font à Bruxelles et à Strasbourg, mais aussi avec ceux qui la vivent au quotidien ». Cette intégration d’un volet Europe à la stratégie des chaînes conduit au suivi et au contrôle qualitatif de cet objectif dans l’évaluation menée par le CSA.

France Télévisions, un engagement éditorial européen mentionné dans le cahier des charges mais sans indicateurs formels ou données chiffrées précises de suivi

Le cahier des charges du groupe France Télévisions fixe pour mission de s’attacher à intégrer la dimension européenne afin de renforcer les liens entre les citoyens européens et favoriser une meilleure compréhension du fonctionnement démocratique des institutions européennes dans :

L’ensemble de ses programmes (documentaires, fictions, jeux, spectacles vivants, etc.) ;

  • Des émissions spécifiquement consacrées à l’Europe (programmes courts, émissions régulières ou correspondant à des événements à caractère européen, etc.) ;
  • Les journaux et magazines d’information, qui accordent une large place à la connaissance des enjeux communautaires et à l’expression d’une identité européenne.

Mais la vision ambitieuse des lignes directrices du cahier des charges ne se traduit pas dans le concret du Contrat d’objectifs et de moyens qui détaille les lignes éditoriales des différentes chaînes du groupe ne comporte aucun engagement relatif à la diffusion de programmes d’information à caractère européen.

À date, le CSA ne mentionne donc pas l’actualité européenne dans son évaluation annuelle du groupe audiovisuel. En l’absence d’indicateurs chiffrés en veillant à la transparence du processus et à la publicité des données produites, il est impossible pour le CSA – et donc l’ensemble des pouvoirs publics – d’évaluer précisément la mise en lumière de l’actualité de l’Union européenne à France Télévisions, contrairement à l’Outre-Mer.

Quelles recommandations « européennes » pour renforcer la couverture médiatique de l’Union européenne dans l’audiovisuel public ?

La réforme de l’audiovisuel public est l’opportunité à saisir afin d’améliorer le traitement de l’actualité européenne :

1. Intégration dans le document de cadrage de l’activité de la future holding France Médias d’objectifs ambitieux relatifs à la couverture de l’actualité de l’Union européenne par l’ensemble des chaînes de l’audiovisuel public.

2. Évaluation annuelle des engagements de l’audiovisuel public et publication des données collectées en toute transparence.

3. Concernant Radio France, alignement du traitement de l’information des institutions européennes sur celui des institutions françaises puisque les décisions prises au niveau communautaire ont, dans leur domaine de compétences spécifiques, un impact tout aussi important sur la vie des Français.

4. Concernant France Télévisions, intégration de la dimension européenne et de l’Union européenne dans les lignes éditoriales.

5. Formation pour l’ensemble des journalistes travaillant dans des domaines de compétences liées à l’action de l’UE (économie, sciences, droit, justice, culture, etc.).

Au total, tous ces éléments permettant de réduire les difficultés de l’audiovisuel public à traiter les questions européennes devraient être complétés par une nouvelle ambition, via la croissance et la mise en commun des ressources européennes des futures chaînes de l’audiovisuel public afin notamment de renforcer la présence permanente auprès des institutions européennes de journalistes spécialisés en provenance du service public et de faire du bureau bruxellois un pôle puissant et dynamique, à même de générer un suivi attractif de l’actualité de l’Union.

Comment s’informer sur l’Europe en France ?

Le paysage des médias n’a jamais été favorables à l’information européenne, faute d’intérêt des citoyens côté pile ou faute d’investissement des journalistes côté face. Malgré tout, quelques émissions, rubriques ou sites spécialisés permettent de s’informer sur l’Europe en France…

Moins d’une dizaine d’émissions pour la télévision ou pour la radio

Le portail Touteleurope vient d’actualiser une sélection d’émissions de télévision et de radio sur l’Europe.

L’émission TV la plus connue Avenue de l’Europe sur France 3 a récemment fait l’objet d’une double rétrogradation en passant sur un format mensuel et diffusé le mercredi très tard, à 23h20. Le mercredi, c’est la journée de l’Europe puisque toute les semaines, la chaîne parlementaire diffuse Europe Hebdo en début de soirée.

D’ailleurs, c’est plutôt service minimum pour le service public de l’audiovisuel français, puisque les autres émissions sont sur France 24 : Ici l’Europe (côté entretien) et L’Europe dans tous ses états (côté reportages) le samedi midi ou sur TV5 Monde avec Bar de l’Europe le dimanche midi.

Après, il reste les incontournables : la chaîne Euronews pour ceux qui la captent et Arte qui assure le job avec des émissions le week-end : Vox Pop et Yourope.

Au total, aucune émission consacrée à l’Europe sur les chaînes « commerciales » comme TF1, le groupe Canal + ou les autres chaînes de la TNT. On vous dit que l’Europe, ça ne fait pas vendre. En tout cas, personne n’essaye vraiment.

Pour la radio, même punition. Seules les chaînes du groupe Radio France parlent d’Europe sur les ondes :

Il ne faudrait pas oublier dans ce tableau l’émission qui est à la fois diffusée à la télévision et à la radio et en plus sur une chaîne privée, puisqu’il s’agit de 500 millions d’Européens sur BFM Business. Un miracle qui ne tient que par les financements du programme européen Euranet plus.

Davantage de rubriques ou de sites spécialisés

Du côté de la presse, Touteleurope comptabilise une douzaine de rubriques « Europe » dans la presse quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle – un palmarès pluraliste mais décevant :Challenges ; Courrier international ; La Croix ; Les Echos ; L’Express ; Le Figaro ; L’Humanité ; Le Monde ; Le Monde diplomatique ; Le Point ; L’Obs ; Slate ; La Tribune ; 20 minutes.

Du côté des médias spécialisés, les choses évoluent peu entre Coulisses de Bruxelles : le blog de Jean Quatremer et le blog Bruxelles 2 sur les questions de défense en Europe, les pure players européens comme Euractiv.fr, Contexte, Myeurop et VoxEurop (ex Presseurop) et les médias participatifs comme Café Babel, Le Taurillon et les Euros du Village.

Au total, dans les médias audiovisuels, l’actualité européenne apparaît clairement comme un sujet de niche, qui incombe quasi exclusivement au service public TV ou radio tandis que dans la presse, les rubriques Europe demeurent encore, face à quelques médias spécialisés.

Comment faire de l’Europe à la télévision ?

Alors que les budgets permettent rarement à la communication européenne d’apparaître à la télévision, l’exemple de la campagne française « l’Européen d’à côté » – récemment primée en or au Brand content Award 2015 et 2e prix de la communication publique européenne à la conférence EuropCom – démontre que c’est parfois possible…

Un format adapté à la chaîne et au contenu

Lors de la conférence annuelle Europcom, Sandra Chaignon du Commissariat Général à l’Egalité des Territoires présente la série TV « l’Européen d’à côté » destiné à présenter aux citoyens les projets cofinancés par l’UE « à côté de chez eux ».

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Plusieurs facteurs concourent au succès :

  • Une sélection drastique des projets basée sur la sélectivité des gestionnaires, la représentativité des fonds européens et la disponibilité des porteurs de projets ;
  • Une multiplication des vidéos pour illustrer la diversité des aides européennes (66 vidéos sur des porteurs de projets de 1’30’’ – voir la playlist Youtube) ;
  • Une programmation judicieuse sur une chaîne à la fois nationale et locale ;
  • Une diffusion pendant les mois d’été du 9 juin au 8 septembre ;
  • Un annonceur présent sous une marque unique clairement identifiable : « l’Europe s’engage en France » ;
  • Un démenti au sentiment d’éloignement de l’UE avec une double proximité : géographique (des actions partout sur le territoire) ; et psychologique (des priorités en prise directe avec les préoccupations tangibles et quotidiennes).

Des résultats au rendez-vous de l’investissement

Selon l’agence à l’origine de la campagne, le « programme (est) plébiscité par les Antennes Régionales de France 3 qui le rediffusent gratuitement et des audiences au rendez-vous avec en moyenne près de 2 millions de téléspectateurs chaque soir soit 15% de part d’audience ».

Avec plus de 468 millions de contacts et près de 20 millions de personnes ayant vu au moins un épisode sur toute la durée de la campagne, les résultats se comptent parmi les meilleures campagnes de communication sur l’Europe en France au cours de ces dernières années.

Au total, la campagne « l’Européen d’à côté » tire son épingle du jeu à la TV avec une combinaison heureuse entre la puissance du média et la richesse des projets cofinancés par l’UE.